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Il n'y a pas que les pauvres
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Protections sociales

Selon un rapport parlementaire, les fraudes sociales s'élèvent chaque année à 20 milliards d'euros, en France. Au premier rang des accusés : les patrons qui privilégient le travail au noir.

Julien Damon

Julien Damon

Julien Damon est professeur associé à Sciences Po, enseignant à HEC et chroniqueur au Échos

Fondateur de la société de conseil Eclairs, il a publié, récemment, Les familles recomposées (PUF, 2012), Intérêt Général : que peut l’entreprise ? (Les Belles Lettres),  Les classes moyennes (PUF, 2013)

Il a aussi publié en 2010 Eliminer la pauvreté (PUF).

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Atlantico : Comment peut-on expliquer le chiffre de 20 milliards de fraudes sociales évoqué dans le rapport parlementaire ?

Julien Damon : Ce ne peut être qu’une estimation à la louche. On ne peut, en effet, connaître exactement le montant des fraudes. Comme les statistiques de la délinquance sont d’abord une mesure des activités de la police, on peut approcher les fraudes grâce aux statistiques de luttes contre les fraudes. Au-delà des débats techniques, on trouve ainsi 500 millions d’euros de fraudes l’an dernier.

Le chiffre de 20 milliards d’euros est une extrapolation, très probablement hasardeuse. Ce n’est certainement pas « le » chiffre de la fraude. Ce chiffre-là, est assurément significativement plus élevé que 500 millions d’euros. Mais nous ne pouvons savoir s’il atteint 20 milliards. Pour ce qui s’agit de la différence avec l’année précédente, c’est-à-dire une augmentation de 20 % des fraudes sociales, on peut d’abord l’expliquer par ce fait très simple : plus on lutte contre la fraude, plus on en débusque. Plus il y a de policiers dans la rue, plus on trouve d’infractions. 

Qui sont les responsables de cette situation ?

Pour les fraudes sociales, il faut distinguer deux choses. D’une part, il existe la fraude aux cotisations, des patrons, et d’autre part, la fraude aux prestations. La fraude la plus importante est celle liée aux cotisations. C’est un terme pompeux pour dire travail au noir. Dans le rapport qui a été rendu à Xavier Bertrand, sur les 20 milliards de fraudes sociales, les trois quarts relèvent du travail au noir, dont on ne connait pas, en réalité, toute l’ampleur.

Le deuxième chiffre, tout de même important, est celui des fraudes à l’assurance maladie sous toutes ces formes. Cela peut-être du trafic de carte vitale ou des irrégularités commises par des professionnels de santé. Il existe des petits réseaux organisés pour truander la sécurité sociale mais aussi des médecins plus ou moins indélicats. Troisième élément, c’est la fraude aux prestations logements, aux prestations familiales et aux minima sociaux comme le RSA. Le montant de la fraude repérée au RSA pour l’an dernier s’élève à 60 millions d’euros.

Que peut-on faire pour lutter contre les fraudes sociales à la fois sur le travail au noir et aux prestations sociales puisque ce sont deux terrains différents ?

Le chiffre de 20 milliards d’euros de fraude doit, d’abord, être rapporté au total des dépenses des prestations sociales. On atteint, en France, 600 milliards d’euros, ce qui nous place au premier rang mondial des dépenses sociales lorsqu’on les rapporte au PIB. Vu l’état de la pauvreté dans la rue, vu les insatisfactions dans nombre de domaines de protection sociale, on doit pouvoir être plus efficient.

En matière de lutte contre la fraude on peut aussi faire mieux. Cela peut passer par des moyens renforcés. C’est ce qui est demandé par Dominique Tian dans ce fameux rapport, qui de plus n’est pas un rapport partisan mais un rapport de la MECSS (Mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale), co-signé par un parlementaire UMP et un parlementaire PS. Ce rapport expose des propositions techniques de transformation à la marge du droit et de rationalisation des systèmes d’information. Ce qui est parfaitement utile.

Il existe un deuxième sujet, à mon sens plus fondamental. Nous vivons dans un système de protection social qui est un des plus dense du monde mais surtout un des plus compliqué. Toutes les petites niches de la législation permettent deux choses. Soit des erreurs c’est-à-dire que les fraudeurs ne sont pas là intentionnellement pour frauder. Soit elles permettent une organisation parfois mafieuse afin de tromper la sécurité sociale. Pour contrer ces phénomènes tout comme pour une meilleure performance générale du système la règle d’or réside dans la simplification des prestations sociales et de leur organisation. Quand vous avez plusieurs services qui mettent des dossiers dans tous les coins, vous multipliez les possibilités de fraude. Donc il faut simplifier. La complexité est fraudogène !

Pensez vous que les mesures annoncées par le gouvernement peuvent être efficaces pour lutter contre les fraudes sociales, comme la mise en place d’une carte vitale biométrique par exemple ?

On a voulu mettre d’abord une photo, c’est très couteux et cela ne sert à rien. Le biométrique risque d’être encore plus couteux et cela pourra diminuer certaines fraudes. Mais cela reste une annonce spectaculaire. Elle ne répond pas au sujet premier de la complexité et de l’insuffisante intégration des institutions, des régimes, des systèmes d’information.

La fraude sociale est-elle un problème culturel français ?

Selon des enquêtes au sein de l’Union européenne, la France ne se distingue pas du tout de ses voisins en terme de tolérance à l’égard de la fraude. Un point où la France se distingue, en revanche c’est la tolérance à l’égard de la fraude dans les transports en commun, mais pas la fraude sociale. L’opinion publique française, sur ces questions de fraude, se situe dans la moyenne européenne.

Un point important dans ce que l’on pourrait appeler la « culture » française (en l’occurrence publique) de lutte contre la fraude, est la concentration de l’attention sur l’isolement, sur les minima sociaux… La fraude des pauvres est, en réalité, une pauvre fraude : ce sont des petits sous que l’on récupère. Soulignons bien, elle est illégale, inadmissible, mais elle se comprend aisément. D’un point de vue macroéconomique, il vaut mieux des sanctions plus élevées contre le travail au noir et contre des professionnels de santé qui passent au travers de la législation. Je pense par exemple à certains ambulanciers qui, en principe, sont deux et qui parfois sont seuls…

La position de droite, c’est de dire : « les fraudeurs sont des assistés qui, en plus, en profitent ». La position de gauche est de rétorquer: « Regardez, les patrons fraudent ». Il faut avoir à l’esprit que les fraudes à la cotisation sont incontestablement les plus importantes et pèsent sur l’équilibre de la sécurité sociale et sur nous tous. Cependant qui n’a jamais été payé au noir ou qui n’a jamais payé au noir (pour du jardinage, des cours particuliers, du bricolage) ? Que le premier absolu non fraudeur jette la pierre…

Comment cela se passe-t-il à l’étranger ? 

Je ne saurais rien dire de général. Mais pour s’étonner citons le cas britannique. L’administration outre-Manche propose des pages, sur le site Internet de la sécurité sociale britannique, pour télécharger des formulaires officiels de dénonciation des fraudeurs… Les Britanniques sont pour la tolérance zéro. Et frauder là-bas, est peut-être plus risqué. Mais nous n’avons pas les mêmes appréciations sur les méthodes légitimes.

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