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Transition énergétique : comment rendre l'électricité solaire compétitive
©REUTERS/Carlos Barria

Bonnes feuilles

La transition énergétique ou passage des énergies anciennes aux énergies renouvelables est un débat crucial pour au moins trois raisons : la rapide diminution des réserves de pétrole, le réchauffement climatique et le coût prohibitif des 65 milliards d'euros d'énergies fossiles importées chaque année. Extrait de "La Transition énergétique", de Philippe Murer, aux éditions Fayard (2/2).

Philippe Murer

Philippe Murer

Philippe Murer est professeur de finance vacataire à la Sorbonne et membre du Forum démocratique.

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Comment résoudre ces problèmes et rendre l’électricité solaire compétitive ? Nous partons du principe que l’État étant indispensable pendant quelque temps pour faire fonctionner le marché de l’énergie solaire, il a un droit de regard sur ce que font les acteurs de cette filière. Si ce n’est au nom de l’État que certains abhorrent, que ce soit au nom des Français qui sont chargés de payer la facture finale !

La première mesure à prendre serait de favoriser la filière solaire sur prés1 ou sur entrepôts, pour laquelle les coûts de l’électricité sont les moins élevés : le tarif de 7,80 centimes par kWh est certes supérieur au coût de l’électricité classique, mais de 25 % seulement. Dans un avenir proche, vu la baisse des prix des panneaux solaires, nous verrons qu’ils seront comparables. Il faut aussi limiter les bénéfices que les banques aspirent sur ce marché lucratif. En effet, et nous touchons là un phénomène récurrent, les banques prêtent à des taux de 4, 5 %, voire 7 %, sur douze ans pour l’installation de panneaux solaires alors même qu’elles empruntent cet argent à la Banque centrale à 1 % en moyenne ! Tout cela dans un marché du solaire dont l’existence actuelle est garantie par l’État, avec ses tarifs de rachat ! Il n’y a donc aucun risque. Il est nécessaire que l’État oblige les banques à baisser leur taux de prêt sur le solaire, l’établissant à un maximum de 1,5 %. En échange de ces prêts à des tarifs compétitifs, la Banque centrale devraient garantir aux banques qu’elles puissent lui emprunter sur vingt ans à des taux bas de 0,5 % (les taux actuels). Cela leur laisse une marge de 1 % par an, soit 20 % sur vingt ans… Si les banques privées ne veulent pas le faire, utilisons 1.

On n’installera les panneaux solaires que sur des terres incultes pour ne pas défavoriser la production agricole.une ou plusieurs banques publiques pour cela. En faisant baisser le taux à 1,5 % pour les projets solaires et en utilisant un acteur public (un « EDF » public, par exemple) ne requérant pas 8 % de rendement sur ses fonds propres, mais 4 %, le coût de revient du solaire sur grand toit ou sur pré baisserait de 9,20 centimes d’euro1 à 6,80 centimes d’euro dès aujourd’hui2. L’électricité solaire coûtera dans ces conditions, dès aujourd’hui, un prix équivalent à celui de l’électricité nucléaire ou fossile. Dans vingt ans, ce coût de revient baissera alors pour s’établir à 3,10 centimes le kWh, grâce à la baisse du prix des panneaux solaires et aux économies d’échelle3 : un prix imbattable !

La deuxième mesure à prendre concerne les petites surfaces de panneaux solaires. Il s’agirait de réglementer les frais d’installation des panneaux photovoltaïques en labellisant des installateurs agréés par l’État, qui ne prendraient qu’un montant maximum de 150 euros par mètre carré posé (soit 3 000 euros pour 20 m2) afin d’éviter 1. On comprend pourquoi il n’y a presque plus de grandes installations solaires mises en place en France en 2013 : les tarifs d’achat sont trop bas aujourd’hui au vu des conditions de financement ! Voir aussi le calcul à l’annexe VII, p. 193.utiles à toute la société. C’est d’ailleurs une des raisons du développement économique important de la France de 1945 à 1973 : permettre des taux bas sur des activités spécifiques afin d’orienter l’activité économique dans la direction que l’on juge souhaitable.

En conclusion, puisque l’État à travers EDF et les tarifs d’achat joue un rôle central sur ce marché, il est nécessaire que l’État le réglemente de façon intelligente. C’est son droit et son devoir. L’utilité sociale et économique des énergies renouvelables justifie que celles-ci bénéficient d’un financement avantageux par la Banque centrale, de monnaie créée à bas prix. Il est évidemment plus utile de financer des panneaux solaires que de spéculer sur le marché des matières premières. Cette réglementation permet de ne pas faire monter le prix de l’électricité et fait passer la filière solaire de la position de « presque compétitive » à la position de « compétitive » avec l’électricité nucléaire et avec l’électricité issue des centrales à gaz et à charbon. Enfin, avec la baisse des prix des panneaux solaires d’un facteur 3 tous les dix ans, le prix de l’électricité solaire passerait à 6,60 centimes d’euro dans vingt ans1 pour les petites surfaces et à 3,10 1 centimes d’euro pour les grandes surfaces : un prix imbattable par rapport à toutes les autres sources d’énergie !

Au- delà de la polémique, regardons sur des graphiques ce qu’il adviendrait. Si l’on retient le principe d’un financement à taux bas, le prix du kilowatt- heure solaire sur les toits des grands entrepôts ou sur les prés reviendrait déjà moins cher que l’électricité venant des énergies fossiles et que l’électricité nucléaire en 2015 (voir graphique ci-dessous).

Le prix est un peu plus élevé pour les maisons individuelles mais converge assez rapidement vers le prix de l’électricité fossile ou nucléaire lorsque le financement se fait à taux bas.Avec un peu de volonté, l’électricité solaire serait donc moins chère que l’énergie fossile dès aujourd’hui pour les grandes surfaces, légèrement plus chère pour les petites surfaces. Elle peut donc être un mode important de production d’électricité avec l’électricité éolienne.

Un autre problème se pose. La surface des toits de France est- elle suffisante ?

Pour remplacer toutes les énergies fossiles par l’électricité solaire, il faudrait installer 5 000 km2 de panneaux solaires. La surface des grands entrepôts en France ne suffira pas. Cependant, la surface bâtie totale en France est d’environ 23 000 km2. Si on suppose que le tiers des surfaces des toits est utilisable (problème d’exposition au soleil et problème de patrimoine historique), nous disposons d’une surface utilisable de près de 8 000 km2, largement suffisante à nos besoins en énergie. En conclusion, les panneaux photovoltaïques permettent de produire sur prés ou sur les entrepôts l’énergie la moins chère du marché dès aujourd’hui. Sur les petites surfaces, l’écart de prix sera très faible dès 2033 et sans doute inférieur, vu la tendance à l’inflation des prix du pétrole, du gaz et du nucléaire. Les citoyens vont devoir faire un choix : soit placer les panneaux solaires uniquement sur du bâti pour un coût un peu plus cher que l’électricité classique, soit les placer aussi sur les prés et avoir une énergie moins chère.

Avantages : l’énergie du Soleil sur la Terre représente 5 000 fois l’énergie utilisée par l’homme pour ses besoins ; en France, on peut estimer que 5 000 km2 de panneaux suffiraient à remplacer les énergies fossiles ; les coûts sont décroissants, compétitifs d’ores et déjà pour le solaire sur prés ou entrepôts (6,80 centimes par kWh, si on consent un financement à 1,5 % public) et le coût de production de l’électricité photovoltaïque sera bientôt le moins cher de loin de toutes les sources d’électricité. Inconvénients : pour éviter que le solaire sur prés ne dévore 5 000 km2 de surface agricole, il faudrait imaginer un système pour que le solaire sur bâti ne coûte pas trop cher à l’installation (accrochage et panneaux de taille standard, installateur agréé, commissions des vendeurs de package limitées et transparentes, financement à 1,5 %) ; cette énergie est intermittente, donc il faut trouver une solution pour le stockage : nous donnerons des solutions à ce problème de stockage dans le chapitre suivant.

Extrait de "La Transition énergétique", de Philippe Murer, aux éditions Fayard, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

A suivre, une interview de Philippe Murer, auteur de  "La Transition énergétique" :

Atlantico : Vous affichez un ton volontariste dans votre titre. Pourquoi le débat sur la transition énergétique semble - t’il bloqué ?

Philippe Murer : Tout d’abord, rappelons les enjeux de cette transition énergétique.

L’enjeu est crucial pour au moins trois raisons.

La première est incontestable, c’est la finitude des réserves de pétrole et le déclin de grands champs pétroliers, la fin du pétrole bon marché et sa raréfaction à terme. La date exacte du pic pétrolier, moment ou la production de pétrole ne peut que baisser, est en revanche inconnue de tous : si chaque pays producteur de pétrole connaît approximativement ses réserves de pétrole exploitables, il s’agit d’un secret stratégique qui n’est en aucun cas révélé à l’extérieur du pays. Ainsi, chacun a une carte du jeu mais personne n’a connaissance de l’ensemble des cartes de ce jeu. Cela explique qu’il y a une incertitude totale sur le pic pétrolier : aura-t’il lieu dans 5 ans, 10 ans, 15 ans ? Aucune personne sensée ne peut prétendre en avoir une connaissance précise.

La deuxième raison, tranchée pour la majorité des scientifiques, controversée par une petite minorité, est le dérèglement/réchauffement climatique dû à la hausse des concentrations de CO2 dans l’atmosphère.

La troisième raison est la possibilité réelle de créer des centaines milliers d’emplois pour produire de l’énergie sur notre sol au lieu d’acheter et de régler une facture de 65 milliards d’euros de pétrole, de gaz et de charbon à l’étranger chaque année.

Au niveau mondial, le débat est bloqué car les dirigeants des pays les plus riches ont pensé le problème comme un problème global nécessitant une réponse globale. La difficulté de s’accorder entre nations aux cultures et niveaux de développement très différents a freiné considérablement les efforts, chaque pays attendant que l’autre fasse l’effort le premier. Il semble évident à tout le monde qu’un problème qui touche toute la planète, doit être adopté par tous les pays en même temps. Oui mais malheureusement, cela ne marche pas du tout dans la pratique! Si les pays d’Europe de l’Ouest ont été très motivés pour faire cette transition, les autres pays ne semblent pas aussi pressés que nous. Les Etats-Unis ont fait le choix de développer massivement le gaz et le pétrole de schiste. L’Inde considère qu’elle a le droit d’attendre que son développement soit plus abouti avant de faire la transition énergétique car elle a très peu pollué la planète depuis le début de son histoire contrairement aux Occidentaux Les Chinois développent massivement les énergies renouvelables mais nettement moins vite que leur utilisation du charbon.

Le problème est global  mais une réponse coordonnée, un accord de tous au même moment semble impossible.

Pourquoi ne pas alors explorer une autre voie ?  Un pays comme la France ou un groupe restreint de pays en accord profond sur le sujet et la manière de procéder ne pourrait-il pas commencer sa transition énergétique seule ? Les lecteurs d’Atlantico étant intéressés par l’économie auront à juste titre remarqué qu’il est alors nécessaire que les coûts de l’énergie n’augmentent pas, restent calés avec le reste du monde. Dans le cas contraire, les entreprises françaises perdraient beaucoup de compétitivité ce qui serait très préjudiciable à l’économie française. Il est donc nécessaire de se poser la question suivante : les énergies renouvelables sont-elles et seront-elles dans l’avenir plus chères ou moins chères que les énergies fossiles et l’énergie nucléaire ?

Justement, les énergies renouvelables ne sont-elles pas beaucoup trop chères ?

En France, une partie importante de l’énergie est nucléaire. Son coût peut être calculé assez simplement en utilisant le très bon rapport de la Cour des Comptes que l’on peut trouver à l’adresse suivante http://www.ccomptes.fr/Publications/Publications/Les-couts-de-la-filiere-electro-nucleaire. En prenant en compte tous les coûts fixes et variables, le kilowatt heure d’électricité nucléaire est compris entre 5,4 et 6,8 centimes d’euros selon le coût de démantèlement final des centrales et de gestion des déchets.

Le coût de production de l’électricité produite par les centrales à charbon et gaz est en 2010 de l’ordre de 6 centimes par kW/h.

Le prix de revient de l’électricité produite par des éoliennes terrestres est de 6 centimes d’euros par kWh. Ce résultat surprenant est démontré en annexe du livre et est partagé par l’étude du très sérieux institut allemand Fraunhofer paru en Novembre 2013 et disponible sur Internet[1]. Enfin, l’autre grande énergie, l’énergie solaire coûte aujourd’hui environ 9 centimes d’euros par kWh pour des grandes surfaces, beaucoup plus cher pour les petites surfaces.

Les autres énergies renouvelables bois, géothermie, hydroliennes etc. sont intéressantes et devront être utilisées mais sont disponibles en quantité trop faible pour changer la donne ou sont encore à l’état de prototype (hydroliennes).

Pour que les coûts restent abordables, il faut donc trouver un moyen de trouver un financement à un taux raisonnable de 1.5% pour le solaire notamment. Vu l’importance de l’enjeu, ce peut être la banque centrale qui finance directement ces activités ou les finance en passant par des banques publiques ou privées. On obtient alors ces 2 graphiques sur les prix de l’électricité montrant que les énergies renouvelables peuvent avoir des coûts abordables.

Les coûts de revient pour la production d’électricité en 2033

Les détracteurs des énergies renouvelables disent fort justement qu’elles sont intermittentes et qu’on ne peut donc pas les adopter à grande échelle. Comment remplacer les énergies fossiles dans ces conditions ?

C’est le 2ème grand sujet après le problème du coût. Les éoliennes produisent de l’électricité lorsque le vent souffle et les panneaux solaires uniquement la journée, lorsque le temps n’est pas complètement voilé. Il y a un décalage évident entre production et consommation d’électricité.

Il est alors clair que l’on doit garder les centrales nucléaires pour un certain temps : elles apporteront le flux d’électricité stable, nécessaire à l’économie. On peut utiliser plus de bois, produire du biogaz mais les quantités d’énergie stockées ainsi sont insuffisantes pour faire face aux besoins. Il devient donc nécessaire de produire de l’hydrogène quand l’électricité produite par les énergies renouvelables est plus importante que nécessaire. Cet hydrogène est produit par le passage de l’électricité dans l’eau, par électrolyse, réaction connue et maîtrisée industriellement. Il sera le vecteur de stockage de l’énergie pour toutes les activités de transport, un peu comme le pétrole aujourd’hui. Les transports fonctionneront avec des piles à combustible, largement éprouvées aujourd’hui.

Je montre dans ce livre que le prix du plein d’hydrogène est presque le même aujourd’hui que le prix du plein d’essence pour la même autonomie. Le Département de l’énergie américain a constaté que le prix des voitures à pile à combustible produites en série descend très vite, plus vite que prévu et sera en 2015 très proche du prix des voitures classiques. D’ailleurs, 3 voitures à pile à combustible de série mais de série trop petite malheureusement sortent en 2015 : une Hyundai, une Honda et une Toyota avec des autonomies de 500 kms.

C’est la clé de la transition énergétique : une économie axée sur l’hydrogène aux coûts comparables au pétrole. Tous les calculs sont repris en annexe dans le livre avec les sources officielles pour montrer au lecteur que ceci est une réalité et non une vue de l’esprit. En revanche, faire la transition énergétique en arrêtant le nucléaire et les énergies fossiles en même temps me semble une vue de l’esprit et être profondément irréaliste.

Comment trouver ces milliards nécessaires à la transition énergétique ?

Le coût actuel des énergies fossiles pour un pays comme la France est de 65 Milliards d’euros chaque année, montant qui peut varier avec les prix du pétrole.

Le coût global de la transition énergétique comprenant l’isolation des bâtiments très mal isolés, la construction des éoliennes et panneaux solaires etc. est de 1500 Milliards d’euros environ sur 20 ans soit 75 Milliards d’euros par an. Les lecteurs feront des bonds en lisant ces chiffres car il ne faut pas oublier de comparer ce chiffre aux 65 Milliards d’euros de coût annuel des énergies fossiles. Ce rendement de 4% (65/1500) est tout à fait intéressant pour un pays comme la France. Il nous affranchit de plus des incertitudes géopolitiques et de la poussée à venir des prix du pétrole et du gaz lorsque nous aurons atteint le pic pétrolier.

En revanche, on remarque qu’un tel coût sur une longue durée n’est réaliste que si la banque centrale prête par le biais de banques publiques ou privées beaucoup d’argent à EDF : c’est sans doute plus intelligent que de faire 4000 Milliards d’euros de quantitative easing comme la Fed pour relancer l’économie par la baisse des taux et la spéculation sur les marchés financiers ! L’Etat est absolument incapable de trouver de telles sommes ; le secteur privé non plus. Le secteur privé n’a d’ailleurs pas des horizons de temps de 20 ans, temps nécessaire pour une politique de l’énergie.

Enfin, pour le pays qui se lance dans la transition énergétique, il est nécessaire qu’une partie importante de la production d’équipements reste sur son territoire, sinon le déficit commercial explosera et le pays finira ruiné. Tout doit être fait pour favoriser les producteurs d’équipement français ou étranger sur le sol français : financements, droits de douanes d’environ 20% sur le secteur.

Dans ces conditions, le premier pays qui s’engagera réellement sur la voie de la transition énergétique verra son économie croître et créera beaucoup emplois tout en ayant une énergie à un prix abordable. Pour remplacer les 65 Milliards d’euros d’énergies fossiles, environ un million de travailleurs supplémentaires sont nécessaires dans les nouveaux secteurs (production d’équipement, production d’énergie…)

Mais pour cela, il faut avoir de l’audace comme les gaullistes ont pu en avoir en lançant le gigantesque plan nucléaire français après 1973. Qui aurait alors cru que la France passerait en 25 ans de 100% de consommation d’énergies fossiles à 50% tout en ayant des coûts énergétiques très bas ?

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