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Les Allemands ont-ils encore besoin de nous et de la zone euro (à part pour les week-ends Angela-François) ?
©REUTERS/Thomas Peter

Cavalier seul

Sortir ou rester dans la zone euro, telle est la question que se posent bon nombre d'économistes au sujet de l'Allemagne. Pour certains, le pays n'en a plus besoin, pour d'autres, celui-ci est trop dépendant de ses partenaires pour effectuer le grand saut. Un bon sujet de conversation entre François Hollande et Angela Merkel, dont le weekend au bord de la Baltique se termine ce samedi.

Quelle est la part de l'économie allemande qui joue ailleurs qu'en Europe ?

Bernard Maris :"En 1992, François Mitterrand a ouvert une deuxième guerre de Trente ans en croyant par la monnaie unique arrimer l’Allemagne à l’Europe.

L’Allemagne réalise sans le vouloir par l’économie ce qu’un chancelier fou avait déjà réalisé par la guerre : elle détruit à petit feu l’économie française. Certes, elle n’est pas responsable de cette situation, au contraire ; elle n’est jamais intervenue dans la politique intérieure de la France, elle a tendu la main aux Français du temps de Balladur pour réaliser un début d’unité fiscale et budgétaire (qui lui fut refusée).

C’est François Mitterrand qui à deux reprises a voulu arrimer la politique monétaire de la France à celle de l’Allemagne, détruisant une industrie qui n’allait pas bien fort : en 1983 d’abord, avec le tournant de la rigueur et la politique du "Franc fort", en 1989 ensuite, en paniquant après la réunification allemande, et en avalisant celle-ci au prix d’une monnaie unique et d’un fonctionnement de la BCE calqué sur celui de la Bundesbank.

Plus de vingt ans de guerre économique ont passé, et l’industrie allemande a laminé les industries italienne et surtout française. Aujourd’hui la guerre est terminée et gagnée. La part des exportations de l’Allemagne en zone euro représente 10% du total. Le reste est hors zone euro, aux Etats-Unis et en Asie. L’Allemagne n’a plus besoin de la zone euro. Au contraire : la zone euro commence à lui coûter cher, à travers les plans de soutien à la Grèce, au Portugal, et à l’Espagne, à tel point qu’elle songe elle aussi à quitter l’euro."


Atlantico : Bernard Maris, dans son article (voir ici), prétend que "l'Allemagne n'a plus besoin de la zone euro" du fait de son économie puissante et de ses exportations qui seraient faites à 90% hors de la zone euro. Pourquoi cette situation lui permettrait-elle de se passer de la monnaie unique ? Est-ce aussi "simple" que cela ?

Bruno Bertez : Première remarque, ce n’est pas pour cela que l’Allemagne est en position de force : elle a des créances considérables sur l’Europe et ne veut pas les perdre; c’est le passé ainsi cristallisé et c’est sa faiblesse, en particulier bancaire.

Seconde remarque, l’Europe est le cache-sexe de l’Allemagne, le string de son impudeur, elle peut grâce à l’Europe mener une politique mercantiliste, sans être trop critiquée et attaquée. Elle est utile dans le dispositif global Américain car elle affaiblit géopolitiquement la France, cet empêcheur traditionnel de "baiser" le monde en rond. L’optimum Allemand est un sous optimum partiel Américain.

Troisième remarque, l’Allemagne est compétitive mondialement parce qu’elle étale déjà une partie de ses coûts fixes sur ses vassaux Européens. Les pourcentages d’export en regard des exports totaux induisent en erreur, car la compétitivité se joue à la marge, tout comme les cash-flow et les marges bénéficiaires. C’est la même chose avec la Suisse, le surproduit de la rente bancaire irrigue toute l’économie, bien au-delà de sa part dans le GDP.

L’exemple des crises monétaires passées et en particulier celui de la crise de 1992 montre que la dislocation monétaire est gérable et que l’argument du tsunami est un argument de propagande (Voir les études des constitutionnalistes allemands et celles de la Banque d’Angleterre. Sur un plan plus théorique et libéral, voir les travaux de J.J. Rosa). On ne justifie plus le maintien de la monnaie unique que par la terreur de sa disparition, c’est là qu’il faut se battre et c’est là qu’il faut travailler à démystifier. Il est évident que lorsque ce sera l’intérêt des pays de la zone Mark de sortir, alors la propagande va s’inverser, on montrera que l’opération est gérable. Et les économistes à la botte prêteront leur concours.

Je doute que le Sud soit perdant. Tout dépendra des modalités et surtout des mesures d’accompagnement. Si des mesures fiscales adaptées sont prises, si des moratoires et restructurations de dettes sont mises en place, si les banques sont mises sous tutelle temporaire, alors l’avenir sera déblayé et les conditions de redressement seront réunies.

Nicolas Goetzmann : Selon les derniers chiffres fournis par l’agence de statistique officielle allemande, Destatis, les exportations de biens en provenance d’Allemagne et destinés à la zone euro représentent 57% et non 10% du total du pays. La France importe à elle seule 100 milliards de biens alors qu’elle n’exporte "que" l’équivalent de 64 milliards en Allemagne. Le déficit français vis-à-vis de son partenaire est donc de 36 milliards d’euros, on peut donc considérer que la France a "offert" 1 point de croissance à l’Allemagne en 2013. L’Allemagne est en fait totalement dépendante de la zone euro car ses exportations constituent 50% du total de son PIB. Il s’agit du modèle allemand, tourné vers l’export. Le pays n’a pas connu de déficit commercial depuis 1951, cela fait partie de l’ADN du pays. Il en va tout autrement de la France qui est un modèle bien plus tourné vers l’intérieur. Cette différence résume assez bien les difficultés de la zone euro car la doctrine monétaire européenne "contraint" la France à changer son modèle. Et pourtant, il n’est en rien avéré que l’un serait supérieur à l’autre. Par exemple, Les Etats-Unis ressemblent plus à la France qu’à l’Allemagne dans ce domaine. Ils n’ont pas connu de surplus commercial depuis près de 40 ans et ne s’en portent pas plus mal.

Mais ce n’est pas tout. Le déficit commercial français est le plus important de la zone euro. La France est ainsi le "maillon faible" de la zone qui permet à l’euro de ne pas s’envoler à un niveau encore plus élevé que celui que nous connaissons aujourd’hui. Ce qui est un coup de pouce supplémentaire apporté à notre voisin pour ses exportations hors zone euro. Même si les exportations à destination de l’Asie et de  l’Amérique ne représentent respectivement que 18% et 8% du total. Encore une fois, l’Allemagne est bien eurodépendante.

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Les pays du sud, un fardeau pour l'Allemagne ?

Bernard Maris :"Il est bien évident que ni la Grèce, ni le Portugal, ni l’Espagne, ni même la France et l’Italie ne pourront jamais rembourser leur dette avec une croissance atone et une industrie dévastée. La zone euro éclatera donc à la prochaine grave crise de spéculation contre l’un des cinq pays précités.

La Chine et les Etats-Unis contemplent avec ravissement cette deuxième guerre civile interminable, et se préparent (pour les Etats-Unis une deuxième fois) à tirer les marrons du feu. La Chine et les Etats-Unis pratiquent une politique monétaire astucieuse et laxiste. On pourrait ajouter à la liste des pays pratiquant une politique monétaire intelligente la Corée du Sud, et aujourd’hui le Japon. La Grande Bretagne, elle, prépare tout simplement un référendum pour sortir de l’Europe."


Atlantico : L'Allemagne développe un sentiment eurosceptique de plus en plus important, notamment à l'égard des pays du Sud. Pour quelles raisons ?  

Nicolas Goetzmann : L’Allemagne est le plus vertueux des pays de la zone euro en termes de budget, budget qui devrait être équilibré pour l’année en cours. La comparaison avec les autres pays de la zone laisse penser à la population allemande qu’elle paye pour les autres, pour les Grecs, les Espagnols, les Français etc... Ce sentiment s’est également accentué suite aux interventions de Mario Draghi au cours des deux dernières années, qui ont fait croire à la population qu’ils seraient les victimes d’une telle politique. Encore une fois. Ces deux facteurs ont effectivement fait naître un sentiment eurosceptique assez surprenant, car bien que premier bénéficiaire de la monnaie unique, le pays est plus méfiant que la Grèce par exemple, vis-à-vis de l’euro. Les différents plans de sauvetage qui ont été menés en Europe sont également perçus comme étant des "dons" faits par l’Allemagne aux pays du sud. La réalité est que la mise en place de ces plans a surtout permis aux banques allemandes de ne pas exploser. Parce que les vilaines dettes du sud étaient détenues par ces mêmes banques. Sauver le sud, c’était sauver le système bancaire local.

Je suis à peu près convaincu que les élites allemandes sont conscientes du bénéfice que le pays tire de la zone euro. Et ce bénéfice est gigantesque car il permet à un pays en situation de fort déclin démographique de s’en sortir par le haut. Le coût est immense pour les pays du sud et pour la France, il serait donc grand temps d’équilibrer le débat pour éviter d’atteindre le point de non-retour. La France est le premier client de l’Allemagne, et notre exécutif semble avoir oublié que le client est roi.

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Sortir de l'euro : à la manière forte, ou en douceur ?

Bernard Maris :"On a le choix : sortir de l’euro ou mourir à petit feu. Sinon, le dilemme pour les pays de la zone euro est assez simple : sortir de façon coordonnée et en douceur, ou attendre le tsunami financier.

Une sortie coopérative et en douceur aurait le mérite de préserver un peu de construction européenne, un tsunami sera l’équivalent du Traité de Versailles, les perdants étant cette fois les pays du Sud. Et au-delà des pays du Sud, toute l’Europe.

La sortie douce et coordonnée est assez simple, et a été déjà envisagée par nombre d’économistes. Il s’agit tout simplement de revenir à une monnaie commune, servant de référentiel aux différentes monnaies nationales. Cette monnaie commune, définie par un "panier de monnaies" nationales, atténue les spéculations contre les monnaies nationales."


Atlantico : Si l'Allemagne sortait de l'euro unilatéralement, quelles seraient concrètement les conséquences ? 

Nicolas Goetzmann : Un scénario de sortie de la zone euro ne vaut que si on propose réellement quelque chose de concret à la place. Admettons que pour l’Allemagne, le projet soit de maintenir une politique de monnaie forte, et un modèle tourné vers l’export. Dans un tel cas, la monnaie locale deviendrait immédiatement plus forte que l’ensemble des monnaies de ses anciens partenaires européens. Deux conséquences; les exportations subiraient une perte de « compétitivité » et les produits d’importations deviendraient plus attractifs. La balance commerciale en prendrait un sérieux coup et la croissance avec elle. Ce qui nous amène au deuxième effet kiss-cool : l’Allemagne est en situation de déclin démographique à raison de 200 000 personnes en moins chaque année. Pour pallier cela, le pays permet l’immigration de 500 000 personnes tous les ans pour parvenir à un accroissement de la population de 300 000 personnes. Une chute de croissance et une perte d’attractivité ne permettrait pas à l’Allemagne de faire venir suffisamment d’immigrés qualifiés pour couvrir ses besoins. Immigrés cruellement utiles pour soutenir la croissance et payer les retraites. Ce qui signifie que le pays serait contraint de relancer l’activité par la voie monétaire, c’est-à-dire exactement ce qu’il se refuse de faire pour la zone euro aujourd’hui. Sans l’euro, ce serait l’austérité et la déflation en Allemagne.

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Le retour au Franc, une douce illusion ?

Bernard Maris : "C’est un retour au SME (Système monétaire européen) ? Oui. Des marges de fluctuations autour de la monnaie commune. Une stabilisation de la spéculation par des limitations des mouvements de capitaux, stabilisation qui pourrait être accrue par une taxe type Tobin sur ces mêmes mouvements de capitaux. Mais le SME a échoué, direz-vous… Oui, parce que le SME ne s’était pas donné de lutter contre la spéculation, et n’avait pas adopté une "Chambre de compensation" comme la souhaitait Keynes dans son projet pour Bretton Woods (abandonné au profit du projet américain).

Le meilleur moyen de rendre l’Europe odieuse, détestable pour longtemps, de faire le lit des nationalismes les plus étroits, est de poursuivre cette politique imbécile de monnaie unique associée à une "concurrence libre et non faussée" qui fait se pâmer de joie ceux qui en profitent, Chinois, Américains et autres BRICs.

Bien évidemment la mainmise du politique sur la monnaie ne suffit pas à faire une économie puissante : la recherche, l’éducation, la solidarité sont certainement aussi importantes. Mais laisser les "marchés" gouverner les pays est tout simplement une honteuse lâcheté."


Atlantico : Un retour au franc, à plus ou moins long terme, est-il inéluctable ? L'euro peut-il se remettre un jour de la tendance défavorable qui l'accompagne pratiquement depuis sa création ? 

Bruno Bertez : Il est évident que si aucune mesure d’accompagnement n’est prise et que la sortie ou l’éclatement ne correspondent qu’à un objectif, pouvoir retrouver les délices des financements monétaires, alors il vaut mieux ne rien changer du tout.

Retrouver la souveraineté monétaire ne doit pas équivaloir à retrouver la maîtrise de la planche à billets pour financer la consommation, les super bénéfices des ultra-riches et des kleptocrates. Une réforme en profondeur qui réoriente les ressources, réduit les inégalités, met le secteur financier à la portion congrue, interdit le clientélisme, réforme la Constitution et les lois électorales, etc. s’impose.

En fait la perte de souveraineté a dénaturé la démocratie et même le système politique. Nous sommes dans un système à deux vitesses, un système compradore. Sortir du carcan européen est un projet politique.

Il faut être ambitieux et voir grand, je répète, il n’est de Vérité - et d’efficacité - que du tout.

La mise en place d’un Grand Projet pour la France ne peut se faire en douceur. Cela est désolant, mais c’est ainsi. Il ne faut pas rêver d’un miracle qui changerait les Français d’une part et leur donnerait un personnel politique valable d’autre part. L’un est le reflet de l’autre ou plutôt, c’est la concrétisation, la cristallisation d’un système.

Nicolas Goetzmann : Dans la configuration actuelle, c’est-à-dire un euro à la mode Bundesbank et Banque de France, la mort à petit feu me semble être un acquis. Quand on voit le gouvernement espagnol faire des prévisions hasardeuses sur le retour de la croissance tout en se réjouissant de prévoir la baisse du taux de chômage sous le niveau de 20% en 2017, on peut se rendre compte de l’absurdité totale de la situation actuelle.  

Par contre il n’est pas interdit de réformer la BCE, même si les paroles en ce sens n’ont jamais été suivies d’effets. Le minimum vital serait de mettre la BCE sur la même ligne que la Réserve Fédérale américaine, c’est-à-dire un mandat "dual" : maîtrise des prix et recherche du plein emploi. Pour le moment, seule compte la maîtrise des prix et on voit bien le résultat sur l’emploi. C’est évidemment la piste à privilégier: un euro de la croissance.

Sans cela, et en refusant le scénario de la mort à petit feu qui se profile pour le moment, la sortie est en effet inéluctable. Un tel scénario relève de la politique fiction, mais l’essentiel serait ici de proposer une alternative crédible à la monnaie unique. Et notamment de chercher un banquier central de niveau mondial pour prendre en charge l’opération.

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Les fragments ci-dessus sont extraits d’un article de Bernard Maris initialement publié sur le blog de Gilles Raveaud pour l’Économie politique. Vous trouvez à leur suite les réponses de l’économiste Bruno Bertez (tirées du Blog A Lupus) et de Nicolas Goetzmann, responsable du pôle économie d’Atlantico.


Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"


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