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Syndicats sous influence : sectes trotskystes, partis politiques, francs-maçons, entreprises… ceux qui agissent dans l’ombre
©REUTERS / Ueslei Marcelino

Loin des regards

Le décès récent de Marc Blondel, ancien leader de Force ouvrière, a été l'occasion de nombreux hommages, mais aussi de quelques articles rappelant son adhésion au "lambertisme", doctrine trotskyste privilégiant l'infiltration des syndicats et des partis afin de peser sur leur ligne politique. Un fait qui soulève en creux des questions sur la légitimité de structures où les réseaux d'influences ont leurs ronds de nappe.

Hubert Landier

Hubert Landier

Hubert Landier est expert indépendant, vice-président de l’Institut international de l’audit social et professeur émérite à l’Académie du travail et de relations sociales (Moscou).

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Atlantico :  Ce type d'allégeance discrète, parfois inavouée, est-il un fait récurrent de l'univers syndical ?

Hubert Landier : L’échiquier syndical en France s’explique par la diversité des opinions philosophiques, idéologiques et doctrinales. Ce sont elles qui expliquent les scissions qui ont émaillé l’histoire du syndicalisme dans notre pays. En 1947, notamment, la CGT a éclaté en deux morceaux. Ceux des militants qui refusaient l’emprise du Parti communiste français sont partis créer la CGT-FO, qui se réclamait des traditions de pluralisme de la vieille CGT. On y trouvait donc des trotskistes, des anarchistes, des socialistes et des réformistes qui avaient en commun de s’opposer aux staliniens de la CGT et à leurs "compagnons de route". Force ouvrière n’a jamais été une organisation spécifiquement réformiste, même si les réformistes y sont majoritaires.

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Dans ce contexte, les "Lambertistes", du nom du courant trotskiste créé par Pierre Boussel, alias Pierre Lambert, y jouent un certain rôle, même s’ils sont très minoritaires. Ce sont eux qui ont assuré l’élection de Marc Blondel comme secrétaire général après le retrait d’André Bergeron alors que le candidat de celui-ci était Claude Pitous. De même Jean-Claude Mailly, l’actuel secrétaire général de Force Ouvrière, vient-il du trotskisme. Ceci s’est traduit par une inflexion dans le sens d’un discours plus teinté de références à la lutte des classes qu’à l’époque d’André Bergeron. Mais cette influence n’est pas la seule à s’exercer sur la politique de Force ouvrière. Il faut aussi compter sur les porteurs d’une tradition républicaine et laïque, voire anticléricale, et notamment sur l’influence des loges maçonniques.

Plus largement, quels sont les réseaux d'influence les plus à l’œuvre au sein des mouvements ouvriers ?

Les références philosophiques, idéologiques ou doctrinales se font évidemment sentir sur l'ensemble du mouvement syndical. Il ne faut pas oublier, par exemple, que la CFDT, et bien sûr la CFTC, viennent du catholicisme. Les syndicats chrétiens se sont créés dans le sillage de l’Eglise catholique. Et même si la CFDT s’est « déconfessionnalisée » en 1964, provoquent le départ des militants qui ont choisi de maintenir la CFTC, cette influence est encore perceptible. Nombre de ses dirigeants sont de purs produits de la jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) et de l’Action catholique ouvrière (ACO), même si cette influence est probablement sur le déclin.

A la CGT, l’influence déterminante qu’exerçait le Parti communiste français a laissé place à une influence croissante du Front de Gauche et du NPA, et donc des trotskistes. Ce sont eux qui, expliquent, en contradiction avec les orientations actuelles de la confédération, le comportement des syndicats CGT dans des conflits comme celui de Goodyear. Ce qu’il y a de nouveau, c’est que la CGT est devenue une organisation plurielle : il y a ceux qui essayent de jouer la carte de la négociation et de la recherche du compromis, et ceux qui en sont restés à un anticapitalisme pur et dur.

Qu'en est-il pour les syndicats dits "patronaux" ?

Le patronat a mieux réussi à préserver son unité que les organisations syndicales de salariés, encore qu’il y ait périodiquement des tensions entre la MEDEF, la CGPME et l’UPA. Mais aujourd’hui, contrairement peut-être à l’époque de François Ceyrac, quand il était président du CNPF et qu’il mettait en avant l’idée de "politique contractuelle" face à l’idée de lutte des classes, il n’y a plus vraiment de doctrine patronale. Le discours du MEDEF s’inspire de la vulgate libérale : promouvoir la liberté d’entreprendre contre l’emprise jugée excessive des pouvoirs publics, tenter d’obtenir des baisses de charges ou des possibilités accrues de « flexibilité ». La place du patronat institutionnel dans le débat des idées est aujourd’hui devenue très marginale.

Outre le politique, les entreprises exercent-elles une influence sur les syndicats ? Si oui, comment se traduit-elle dans les faits ?

Officiellement, il est difficile pour les entreprises d'exercer une influence car ce serait un délit de discrimination syndicale. Ceci dit, il est clair que certains syndicats, selon les entreprises, ont la préférence des employeurs. Ces préférences, aujourd'hui, ne sont pas tellement liées à l'enseigne syndicale, mais davantage à la personnalité et au comportement du militant. Mais dans les faits les entreprises disposent de peu de moyens pour peser sur l'échiquier syndical, surtout avec les accords conclus ces dernières années sur les modalités d'exercice des fonctions de représentation du personnel, et qui prévoient souvent une subvention de la part de l'entreprise, qui est répartie entre les différentes organisations au prorata des résultats aux élections professionnelles.

Les rapports de force idéologique se retrouvent-ils dans les mêmes proportions chez nos voisins européens ? Peut-on parler d'un fait typiquement français ?

Les influences social-démocrates, laïques et chrétiennes sont visibles dans le syndicalisme de nos voisins européens. Ceci dit, nulle part ailleurs les confrontations idéologiques n’ont été aussi fortes qu’en France. Ceci s’explique par les circonstances historiques. En France, la Loi Le Chapelier, en 1791, est venue interdire la constitution de corps intermédiaires visant à défendre les "supposés intérêts communs" entre membres d’une même communauté professionnelle. Le syndicalisme n’a été officiellement reconnu qu’en 1884. Avant cela, son rôle n’étant pas reconnu dans la société telle qu’elle était et se trouvant dépourvus de moyens légaux de négociation, les syndicalistes français se sont projetés dans l’avenir. Les uns se sont tournés vers les idées anarchistes, d’autres vers le marxisme, d’autres encore vers la doctrine sociale de l’Eglise ou vers le positivisme.

Ces influences sont toujours présentes, même si elles ont beaucoup perdu en intensité, les Français s’étant détournés des controverses idéologiques qui les opposaient les uns aux autres il y a encore vingt ans. On peut le regretter mais c’est ainsi. On se syndique de moins en moins pour défendre des idées, et de plus en plus pour des raisons pragmatiques, voire triviales. Il en résulte que le pluralisme syndical qui se justifiait par ses références diverses apparaît de plus en plus, aux yeux des salariés, comme une aberration qui s’expliquerait par des questions de rivalité de pouvoir et des querelles de boutique. Autrement dit, au-delà de buttes témoins de l’histoire des idées sociales, le syndicalisme est peut-être à réinventer.

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