Pourquoi le pacte de responsabilité n'est que la première des révoltes socialistes qui se profilent<!-- --> | Atlantico.fr
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Les élus du Parti socialiste appréhendent déjà les élections cantonales et régionales de 2015.
Les élus du Parti socialiste appréhendent déjà les élections cantonales et régionales de 2015.
©Reuters

Jacquerie

Après la déroute des municipales et l'échec annoncé des européennes, les élus du Parti socialiste appréhendent déjà les élections cantonales et régionales de 2015. Mais ils ne sont pas prêts à laisser François Hollande, selon eux responsable de leurs déconvenues, sacrifier leur réélection sur l'autel de la sienne.

Jean-François Kahn

Jean-François Kahn

Jean-François Kahn est un journaliste et essayiste.

Il a été le créateur et directeur de l'hebdomadaire Marianne.

Il a apporté son soutien à François Bayrou pour la présidentielle de 2007 et 2012.

Il est l'auteur de La catastrophe du 6 mai 2012.

 

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Atlantico : Les chiffres du chômage, le Pacte de responsabilité et les mesures d’économies annoncées ont beaucoup fait pour l’impopularité de l’exécutif, et ont fortement nui à la gauche aux municipales. Le résultat ne devrait pas être meilleur lors des européennes. Qu’en est-il des cantonales et des régionales qui vont suivre en 2015 ? Un désastre à gauche s’annonce-t-il ?

Jean-François Kahn : Les élections municipales sont déjà un désastre pour la gauche, car il s’agit véritablement de l’ancrage sur le terrain, de la gestion de villes importantes, avec tous les réseaux d’influence et la clientèle qui qui y sont associés. Cette défaite est d’une gravité exceptionnelle. Beaucoup de députés maires ont été battus, ce qui laisse entendre qu’ils vont également échouer aux prochaines législatives. Le Sénat aussi, va sans doute être perdu. Les sondages et la sensibilité du pays laissent entendre qu’ils peuvent perdre la quasi-totalité des régions, et des départements aussi, puis de ne pas parvenir au deuxième tour des présidentielles, et enfin se faire laminer aux législatives. Aujourd’hui le PS, ses cadres, ses élus, ses hommes d’appareil, tous, sont mis face à cette réalité. Ils auront de plus en plus tendance à penser que c’est François Hollande qui les a mis dans cette situation. La Une de Marianne, qui se demande si la Gauche peut survivre à François Hollande, est excellente. Elle reflète ce qui se trame dans leur esprit : « Hollande est-il en train de procéder à un assassinat, à une liquidation pure et simple de la gauche ? »

Les élus départementaux et régionaux, socialistes et plus largement de gauche, risquent-il de se sentir « sacrifiés » par la politique de Hollande ? Comprennent-ils seulement la stratégie du président ?

Les médias n’osent pas le dire, mais nous sommes confrontés à une situation des plus extraordinaires. Imaginez qu’un président de droite soit élu, et qu’il mène une politique économique et sociale identique à celle préconisée dans le programme du Parti socialiste, et qu’il aille même encore plus loin : comment voulez-vous que réagissent les députés, les sénateurs, les maires de droite ? Dans un premier temps peut-être, ils resteraient disciplinés, se disant que si au final il peut les faire réélire, alors pourquoi pas. Mais si les défaites électorales en chaîne sont assurées, alors logiquement, une révolte extraordinaire des élus de droite exploserait. Ils crieraient à la trahison, diraient que c’est la politique inverse qui est menée, et qu’en plus on les emmène tout droit vers l’abattoir.

Pourrait-on assister à une levée de boucliers de leur part, pour infléchir la politique socio-économique du gouvernement, et ainsi minimiser les pertes aux prochaines élections ?

Ce qui est extraordinaire, au Parti socialiste, c’est qu’alors que Hollande mène mot pour mot la politique que l’UMP préconisait (relance uniquement par l’offre, réduction du coût du travail, coupes dans les dépenses publiques, une TVA sociale qui ne dit pas son nom mais qui va plus loin que celle de Sarkozy…), depuis deux ans les élus socialistes l’acceptent. Ce qui est inouï, c’est qu’ils ne commencent à se révolter qu’après la débâcle des municipales, et que même confrontés au tête-à-queue de Hollande, ils ne soient que 100 députés à hausser le ton. Logiquement, en l’état actuel, ils devraient tous se révolter.

Mais ça ne va pas durer. Pour les européennes, les sondages les positionnent à 19%, je pense qu’ils peuvent tomber à 14%. Rocard à la tête d’une liste socialiste a déjà atteint ce niveau, face à Tapie. Et là, ce ne seront pas 100 députés, mais l’intégralité des élus PS qui se révolteront, et pas de la manière la plus douce.

En un sens, tout cela n’est pas plus mal pour la France. Notre pays paye très cher ce que l’on a fait des institutions de la Ve République : ce régime présidentiel qui ne dit pas son nom, ce Premier ministre qui n’en est pas un, ce scrutin majoritaire qui déforme complètement la représentation nationale. Tout cela est catastrophique, ce n’est pas pour rien que nous sommes les seuls à avoir un tel système. Une révolte contre le président par son propre camp dynamiterait le système institutionnel.

Parallèlement, et c’est étonnant, on voit bien que l’UMP n’en profite pas tant que ça. Aux municipales notamment, à chaque fois qu’une possibilité autre que le PS ou l’UMP se présentait, les électeurs l’ont saisie. Lorsque le candidat PS se trouvait face à un socialiste dissident, c’est ce dernier qui était élu. A chaque fois que c’était un candidat PS contre un centriste sérieux, c’est celui-ci qui raflait les voix. Et parfois le FN. Et cela contribue, je le répète, au dynamitage du système institutionnel de la Ve République.

De quels moyens les élus PS disposent-ils pour contrer François Hollande ?

D’emblée, on peut faire une croix sur la conservation d’une majorité socialiste dans trois ans. Si les socialistes parviennent à trouver un autre candidat pour 2017, ils auront déjà plus de chances de l’emporter. Et si Sarkozy, qui est toujours très fortement rejeté à gauche, était le candidat de la droite, alors on ne peut pas exclure d’office qu’un président socialiste soit réélu, encore que. La politique de Hollande a tellement dérivé à droite, que Sarkozy tiendrait un discours à gauche, ce qui ne lui poserait aucun problème.

Pour sauver les meubles, le moyen est très simple, ils doivent se conformer à la lettre de la constitution, article 20, c’est-à-dire opter pour la cohabitation. Les députés socialiste décident de voter une motion de censure, pour pouvoir nommer un nouveau Premier ministre qui mène la politique à laquelle ils aspirent. C’est pour eux la seule façon de s’en tirer : établir une cohabitation entre un Premier ministre socialiste et un président qui, à leur sens, n’a plus rien de socialiste.

Pour se faire réélire aux régionales et aux cantonales, certains auront-ils intérêt à jouer la carte de la dissidence ?

Cette remarque est très juste. Le sigle PS étant la meilleure façon de se faire battre aujourd’hui, et les élus régionaux et départementaux ayant vu qu’aux municipales il suffisait de claquer la porte du parti pour gagner, même avec un opposant estampillé PS en face, cela va donner des idées à énormément de monde, aux régionales et aux cantonales. Il est évident que pour toutes les élections qui vont venir, les dissidents vont proliférer.

D’après certains observateurs, Hollande miserait sur une amélioration de la croissance et des chiffres du chômage en 2015-2016 pour ensuite se faire réélire. Ce pari est-il tenable ? Le PS et la gauche sont-ils prêts à le suivre dans cette voie ?

Hollande s’est enfermé dans une bulle qui consiste à expliquer la déroute par le manque de résultats et le chômage en hausse. Mais selon lui il suffira que le chômage baisse, même si ce n’est pas grâce à sa politique, pour que la situation s’inverse en sa faveur. Cette analyse est erronée, puisque le rejet de Hollande ne se fait pas simplement sur une base économique. Il n’est pas très compliqué de reconnaître que sa position est difficile, ou que Sarkozy n’a pas tellement mieux réussi que lui. Le problème n’est donc pas là, c’est le personnage, son style, son manque de projet, que les Français rejettent. Par conséquent, si même d’ici 2017 le chômage baisse, Hollande ne parviendrait pas au second tour d’une élection présidentielle. Or malgré cela, ils ne sont que trois ou quatre socialistes à avoir osé parler de primaires, façon détournée de dire qu’il faudrait en trouver un autre pour les présidentielles.

Des députés PS emmenés par Karine Berger (Hautes-Alpes) ont déposé lundi un plan alternatif sur le bureau de Bruno Le Roux, président du groupe socialiste, visant à trouver un compromis avec Manuel Valls sur son programme d’économies, qui doit être voté par l’Assemblée nationale mardi 29 avril. Est-ce l’une de ces ripostes en douceur que vous évoquiez ?

C’est typique d’un processus qui débouche sur une forme de cohabitation. Les députés socialistes remettent en cause la logique constitutionnelle de la Ve république telle qu’elle a fonctionné jusqu’à présent, en opposant à la volonté présidentielle leur propre plan. D’habitude, c’est l’opposition qui s’en charge. D’une certaine manière, ils se constituent en demi opposition.

Si Manuel Valls ne trouve pas de point d’entente ce mardi avec ces députés, son programme de stabilité pourrait-il ne pas recueillir une majorité lors de son vote ? Serait-ce un désaveu, une gabegie interne au PS ?

Un certain nombre de députés voteront contre, mais pour l’instant Manuel Valls ne court pas le risque de ne pas obtenir de majorité. Dans trois mois en revanche, c’est tout à fait possible. S’il n’obtenait pas la majorité nécessaire chez les socialistes, ce serait un désaveu total, à savoir une cohabitation inéluctable. Autre scénario possible, quelques voix socialistes peuvent manquer, et des députés du centre et de droite pourraient, eux, donner la leur. Se passerait alors ce que se produit partout ailleurs en Europe : les majorités peuvent changer dans leurs composantes.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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