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Derrière la question du jour de carence pour maladie, l’énorme problème de la souffrance au travail dans la fonction publique
©MARC LE CHELARD / AFP

Les yeux grands fermés

Supprimé par la gauche à son arrivée au pouvoir, le jour de carence pour les fonctionnaires malades fait son retour dans le débat politique. C'est la nouvelle proposition de loi portée par des députés UMP, elle sera examinée en avril par l'Assemblée nationale. Elle ranime ainsi les problèmes liés à l'absentéisme dans la fonction publique. Un absentéisme symptôme d'un profond mal être.

Luc Rouban

Luc Rouban

Luc Rouban est directeur de recherches au CNRS et travaille au Cevipof depuis 1996 et à Sciences Po depuis 1987.

Il est l'auteur de La fonction publique en débat (Documentation française, 2014), Quel avenir pour la fonction publique ? (Documentation française, 2017), La démocratie représentative est-elle en crise ? (Documentation française, 2018) et Le paradoxe du macronisme (Les Presses de Sciences po, 2018) et La matière noire de la démocratie (Les Presses de Sciences Po, 2019), "Quel avenir pour les maires ?" à la Documentation française (2020). Il a publié en 2022 Les raisons de la défiance aux Presses de Sciences Po. Il a également publié en 2022 La vraie victoire du RN aux Presses de Sciences Po. En 2024, il a publié Les racines sociales de la violence politique aux éditions de l'Aube.

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Atlantico : Des députés UMP veulent rétablir le jour de carence pour les fonctionnaires supprimé en 2012 à l'arrivée de la gauche au pouvoir. La fonction publique, que d'aucuns montrent parfois du doigt, connaît-elle un taux d’absentéisme plus élevée que le secteur privé ? 

Luc Rouban : Premièrement, on a un gros problème de suivi statistique de l'absentéisme dans les trois fonctions publiques. Dans le privé, le calcul se fait en jours d'absence par rapport au nombre de jours de travail théoriques. En revanche, dans la fonction publique de l'Etat, c'est en fonction du nombre de personnes absentes pour différentes causes, avec certaines complications parce qu'on ne connait pas les raisons (congés maladies, accident du travail, congés particuliers, etc.) : dans la territoriale, c'est le nombre d'absences par rapport aux effectifs physiques permanents, c'est-à-dire qu'on exclut les contractuels, pourtant très nombreux. Dans l'hospitalière, c'est le nombre de jour d'absences par rapport aux équivalents temps pleins. Donc on ne connaît pas la réalité, il est très difficile de dire que l'absentéisme est plus important dans les fonctions publiques que dans le secteur privé. Les chiffres datent au minimum de deux ou trois ans pour les plus récents.

Mais qu'il y ait davantage d'absentéisme dans le public que dans le privé n'est pas tellement étonnant pour une raison très simple : le travail dans les fonctions publiques notamment pour les employés (la catégorie C) est de plus en plus difficile. Sur les chiffres des différentes enquêtes sur le monde du travail, on s'aperçoit que le fait d'exercer le droit de retrait s'accentue. 13% des fonctionnaires et 16% des agents des entreprises publiques ont exercé leur droit le retrait, un événement souvent lié à des actes de violences physiques, et 12% dans le privé. D'une manière générale, les seuls fonctionnaires constituent presque 40% de tous les salariés ayant évoqués ce droit à la suite d'une agression. Il y a un vrai problème donc, notamment pour les agents de catégorie C, ceux qui ont un contact direct avec le public. 21% des salariés dans la fonction publique de l'Etat ont déclaré être victime dans les 12 derniers mois d'une agression verbale, 22% dans la fonction publique territoriale, 29% dans la fonction publique hospitalière, contre 13% dans le secteur privé.

Néanmoins, il faut quand même noter que l'absentéisme à globalement baisser entre le début et la fin des années 2000. Le pourcentage de personnes absentes est passé de 17,9% en 2004 à 17,1% en 2010 (hors éducation nationale). Donc on ne peut pas dire qu'il y ait une explosion de l'absentéisme, en revanche, il y a une dégradation très sensible de la vie professionnelle.   

Quels sont les principales raisons de l'absentéisme dans la fonction publique ? 

Il s'agit des conséquences de l'association de la réduction des effectifs et la demande croissante de service publique surtout en période de crise. On parle de tous les services d'aides sociales comme l'hôpital, et les secteurs régaliens, comme la police ou la justice. On peut également évoquer la complexification du droit notamment en matière sociale. Il y a aussi des cas de détresse sociale complexes et tous les problèmes de violences à l'hôpital.

La fonction publique est-elle davantage touchée par le mal-être au travail que le secteur privé ? Quelles sont les particularités ? 

Oui tout à fait, c'est notamment du à l'idée de ramener l'activité administrative à la production de statistiques, donc à un rendement. Les critères d'évaluation sont parfois assez formels et abstraits. Il faut se rendre compte que le travail des fonctionnaires est souvent plus compliqué à niveau égal que celui des salariés du privé. Le travail personnel est très mal reconnu, même si vous vous donnez beaucoup de mal. Parfois, les carrières sont déconnectées des résultats réels.

De nombreux fonctionnaires ne sont pas à des postes où leurs compétences sont correctement exploitées. Cette situation peut-elle expliquer en partie l'absentéisme ? Est-ce différent du privé ?

Non je ne pense pas. Par contre, le problème qui se pose souvent c'est qu'on a des fonctionnaires sur diplômés par rapport aux fonctions qu'ils occupent. Ils ne se sentent pas à leur place, mais je ne crois pas que c'est à prendre en compte dans l'absentéisme, plus on a de diplômes mieux on est armé psychologiquement pour faire face à certaines situations.

S'agit-il d'une exception française ?

Il n'y a pas beaucoup d'éléments de comparaison fiables, parce que l'organisation des systèmes est très différente. Dans les pays où on a fortement joué la carte de la nouvelle gestion publique on a eu tendance surtout à transférer un certain nombre de fonctions d'exécution, on voit que ça ne change pas grand-chose finalement.

Le débat actuel sur le changement de statut est un faux débat, car il ne s'agit pas d'une question de statut, même si on privatise le personnel, le métier ne changera pas, et au fait qu'il faut répondre en nombre réduit à des demandes croissantes. Globalement les tensions entre les usagers et les agents de services publics sont moins fortes en France que dans d'autres pays, comme au Royaume-Uni qui a beaucoup privatisé.   

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