Les Roms ou la France bobo face à ses hypocrisies<!-- --> | Atlantico.fr
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Une note interne à un commissariat du 6e arrondissement de Paris demande "de localiser les familles roms vivant dans la rue et de les évincer systématiquement"
Une note interne à un commissariat du 6e arrondissement de Paris demande "de localiser les familles roms vivant dans la rue et de les évincer systématiquement"
©Reuters

Polémique

Stéphane Le Foll, le porte-parole du gouvernement, a provoqué un tollé médiatique ce mardi en affirmant à propos des Roms "qu’il faut chercher à les faire retourner d’où ils viennent", tentant de justifier une politique de fermeté qui doit "rester humaine". Mais , en réalité, pour que l’intégration fonctionne, il ne faut pas la rendre impossible par une facilitation sans limite de l’immigration, qui conduirait à un phénomène Roms bien plus explosif encore.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Atlantico : La polémique sur les Roms s'invite à nouveau dans le débat alors que Stéphane Le Foll a déclaré ce mardi qu'il fallait "chercher à faire retourner [les Roms] d'où ils viennent". Des propos qui ont provoqué un petit tollé médiatique. Comment expliquer une position aussi ferme de la part d'un dirigeant socialiste ? Pourquoi un tel retournement ?

Guylain Chevrier : On se rappelle des propos de l’actuel Premier ministre en septembre 2013 sur les Roms, lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, qu'il n'y aurait qu'une minorité de Roms à vouloir s'intégrer en France et pour résumer qu’il serait " illusoire de penser qu'on réglera le problème des populations Roms à travers uniquement l'insertion". Aujourd’hui, c’est le porte-parole de l’Elysée qui explique à propos des Roms « qu’il faut chercher à les faire retourner d’où ils viennent », tentant de justifier une politique de fermeté qui doit « rester humaine ». Interviewé sur RTL, il a répondu à un auditeur en colère contre ce qu’il désignait comme une "invasion" de camps, "véritables bidonvilles" près de Paris : "Je ne crois pas qu'il y ait à dire ce matin qu'il y a une invasion et qu'il y aurait une augmentation du nombre de Roms qui arriveraient aujourd'hui…"

En réalité, nous nous trouvons face à un phénomène de plus en plus prégnant qui contraint le gouvernement à évoluer. Bien sûr, parler d’invasion est hors de propos, mais la situation actuelle est des plus favorable à une immigration intra-européenne appelée à prendre de l’ampleur, surtout chez ceux qui sont poussés par le vent de la misère alors que s’offre à eux un espace européen ouvert au nom du marché sans frontière que l’Union européenne a cru bon de créer. En réalité, on a fait prévaloir dans la construction européenne le Marché sur toute autre considération, en créant un espace de libre circulation des hommes parallèlement aux capitaux, sans le moins du monde anticiper sur les disparités sociales des Etats membres. C’est cela qui crée le phénomène d’immigration actuel des anciens pays de l’Est communistes vers les pays développés de l’Ouest à fort niveau de protection sociale. La France est de ce point de vue d’ailleurs en haut du palmarès et de plus en plus prisée.

Le gouvernement devrait en tirer les conséquences et envoyer un signal d’alarme à l’Europe, car cette situation ne sera gérable qu’un temps. S’il n’y a pas pour l’instant "invasion", dans les quartiers situés à proximité de l’implantation des camps de Roms, il peut il y avoir un sentiment de mal être face à une misère importée que l’on ne connaissait plus à cette échelle en France, avec tous ses attributs dont l’insalubrité, des enfants vivant dans le dénuement total, une mendicité parfois agressive et même avec un climat d’insécurité qui en résulte.

A l'origine du scandale, une note récemment révélée du commissariat du VIe arrondissement de Paris qui évoquait la nécessité "d'évincer" ces populations du quartier. Comment expliquer une telle mesure alors que des bidonvilles Roms fleurissent en banlieue parisienne depuis des années ?

Cette note qui émane de la police résonne d’une certaine façon d’une situation un peu désespérée. Il faut dire qu’elle a fort à faire face à ces situations de familles avec enfants sur le trottoir, fréquemment face à des mineurs quasi dans l’impunité qui jouent de cette situation, pris parfois dans des réseaux mafieux, sans que leurs familles ne mesurent la réalité des choses du fait d’une véritable culture de la misère que ces populations apportent avec elles. On en arrive ainsi à des mots exprimés sur un mode administratif qui peuvent être perçus effectivement comme stigmatisant, mais qui reflètent malgré tout un vrai problème susceptible d’interroger toute personne normalement constituée qui ne peut qu’être affectée par les situations terribles qui se donnent à voir. Pour autant, on ne peut laisser les choses en l’état et ne pas réagir, sans pour autant bien sûr suivre le contenu de cette note qui franchit la limite.

Quelles que soient les villes, toutes recourent à des expulsions de camps de Roms car on ne peut laisser des situations d’insalubrité et d’insécurité pour les familles Roms elles-mêmes perdurer sans risques pour tous. Mais ces camps ne font que se déplacer après avoir été rasés, car les solutions miracles n’existent pas. Il est un fait que ce n’est pas à l’échelle d’une ville ou de notre pays que les choses peuvent trouver des réponses, mais à l’échelle de cette Europe qui en a créé le problème.

Quelques semaines avant, un haut-fonctionnaire se définissant lui même comme "socialiste" et "humaniste" résidant dans le VIIe arrondissement déversait de la javel sur des Roms situés en bas de sa porte. Les bobos des grands centres urbains ne sont-ils pas finalement en train de perdre leurs valeurs une fois qu'ils se retrouvent confrontés aux réalités de l'immigration ?

Les élus sont piégés entre la nécessaire prise en compte d’une réalité humaine aux contours insupportables et ce que cela produit d’effets sur l’environnement immédiat, avec des riverains qui en général n‘en peuvent plus au bout de quelques mois même pour ceux, qui fréquemment à l’origine, pouvaient prendre leur parti. Il y a des nuisances qui, à l’usure, ferait changer d’opinion les plus convaincus. On ne peut demander à ceux qui vivent à proximité des camps de Roms de faire comme les grands médias qui présentent la chose sous un angle uniquement idéologique, en oubliant la réalité des faits et du vécu. Cette attitude de trop de médias est d’ailleurs largement contre-productive. Elle amène à des réactions d’écœurement et de rejet là où il y aurait besoin d’une écoute attentive des habitants qui peuvent avoir l’impression d’être abandonnés et de plus pointés du doigt comme intolérants voire racistes.

A trop cultiver un humanisme distant vis à vis de l'immigration, n'en vient-on pas à oublier les problèmes sociaux, économiques et républicains qui sont posés par les flux actuels ? Assiste-t-on finalement à un retour de bâton actuellement ?

L’humanisme est exigeant, il relève d’une entreprise cohérente, qui doit prendre en compte l’ensemble des enjeux en les reliant, comme on doit le faire entre la place qui peut être donnée à l’immigration et la préservation d’équilibres économiques, sociaux et même politiques qui ne peuvent être ignorés. Une politique de l’accueil est une politique raisonnée qui ne peut se décider sous les rapports de forces qui se jouent au niveau des alliances politiques qui génèrent la captation de tel ou tel électorat. Ce calcul politicien peut nous mener à la catastrophe, il suffit de regarder les scores promis au FN par les enquêtes d’opinion à quelques semaines des élections européennes pour en prendre toute la mesure, et ce n’est peut-être qu’un début. Ou encore, se référer aux récentes élections municipales où le FN a remporté des villes avec un fort électorat populaire et ouvrier, le désespoir et la colère conduisant à bruler le torchon.

La démocratie ne peut qu’en sortir affaiblie en ces temps où elle est déjà fragilisée par un système économique qui ne regarde que du côté du profit et de la finance en faisant se creuser les inégalités. Le sursaut républicain tient dans la capacité à mettre des règles dans le jeu qui permettent à l’intégration de ne pas perdre son sens humaniste, celui de donner à chacun sa chance de trouver sa place au sein de notre société sous le signe de sa devise « Liberté-égalité- fraternité », la plus haute sur l’échelle des valeurs et donc la plus précieuse, mais aussi peut-être bien la plus fragile.

En vient à se poser la question de notre perception même de l'intégration. Pour que l’intégration fonctionne, il ne faut pas la rendre impossible par une facilitation sans limite de l’immigration, qui conduirait à un phénomène Roms bien plus explosif encore. Car, si les conditions de l’intégration ne sont pas réunies par une augmentation incontrôlée de l’immigration, c’est la certitude de favoriser des regroupements communautaires par origine et religion. Ce qui ne peut que conduire notre société, dont la République garantissait jusque-là la qualité de notre vivre-ensemble, à des séparations dramatiques et la production de groupes rivaux dont on sait les risques de division que cela comprend et de conflits intercommunautaires potentiels. C’est une société en lambeaux à laquelle nous aboutirions.

S’en serait fini d’une société du mélange, alors que l’on vient de rappeler dans l’actualité récente cette spécificité française du plus grand nombre de couples mixtes mariés qui nous place au sommet du palmarès mondial, atteignant 27% de la population, alors qu’en 2010 aux Etats-Unis par exemple, ils n’étaient que 0,69%. Même si on peut dénoter parfois derrière ces mariages mixtes une stratégie d’immigration, la tendance générale n’est pas remise en cause. La façon dont la problématique des Roms est prise par le gouvernement n’est que la répétition générale d’autres problèmes encore plus aigus qui l’attendent s’il ne prend pas une autre voie que celle actuelle d’une politique tendanciellement laxiste en matière d’immigration.

On sait par exemple que, les mesures prises pour rendre plus facile l’accès au statut de mineur isolé étranger en France par la circulaire Taubira, mise en œuvre à ce sujet en novembre dernier alliée à la circulaire Valls de 2012, ont fait se multiplier les candidats à ce statut. Ceci, alors que fréquemment des majeurs se trouvent reconnus à présent comme mineurs du fait du protocole actuel de prise en charge qui avant lui, étaient déclarés majeurs. On constate le doublement du nombre de mineurs isolés étrangers en quelques années (10.000) avec un phénomène qui s’accélère, débordant littéralement les services de l’Aide Sociale à l’Enfance des départements avec des financements qui explosent.

Là encore, on attend que la situation devienne intenable pour réagir, c’est-à-dire que des Présidents de Conseils généraux refusent d’accueillir de nouveaux mineurs isolés qui sont actuellement répartis sur toute la France, pour s’interroger. Qu’en sera-t-il de leur intégration si on laisse filer les choses et est-ce bien rendre service à ceux-ci que de ne pas réagir en laissant un véritable appel d’air se faire ainsi en direction d’une immigration économique qui utilise cette voie d’eau pour s’installer en France ? Les mineurs isolés qui ont besoin d’être accueillis sur notre sol pour de bonnes raisons, risquent bien de se retrouver noyés derrière cette immigration économique cachée derrière de bonnes intentions gouvernementales qui risquent de s’avérer irresponsables à l’arrivée, pour faire imploser tout simplement le système. Sans oublier au passage ce que cela fournit d’arguments en or à l’extrême-droite.

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