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Christiane Taubira à l'heure du bilan : une haute opinion de soi mais une justice en déshérence
©Reuters

Bonnes feuilles

Peines de substitution, probation : du vent, de la démagogie, de l'idéologie. La garde des Sceaux pratique la politique du verbe. Elle incarne toutes les tares d'une gauche morale qui fait fi des réalités. Cet essai dresse un tableau sans concession de notre justice. Extrait de "Contre la justice laxiste", de Philippe Bilger, aux éditions l'Archipel (1/2).

Philippe Bilger

Philippe Bilger

Philippe Bilger est président de l'Institut de la parole. Il a exercé pendant plus de vingt ans la fonction d'avocat général à la Cour d'assises de Paris, et est aujourd'hui magistrat honoraire. Il a été amené à requérir dans des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire et politique (Le Pen, Duverger-Pétain, René Bousquet, Bob Denard, le gang des Barbares, Hélène Castel, etc.), mais aussi dans les grands scandales financiers des années 1990 (affaire Carrefour du développement, Pasqua). Il est l'auteur de La France en miettes (éditions Fayard), Ordre et Désordre (éditions Le Passeur, 2015). En 2017, il a publié La parole, rien qu'elle et Moi, Emmanuel Macron, je me dis que..., tous les deux aux Editions Le Cerf.

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Dénoncer la gauche à cause de sa vision judiciaire pourrait laisser croire à une détestation obsessionnelle qui, par idéologie, s’acharnerait à ne chercher que du négatif dans la masse qui viendrait emplir le réel de sa substance.

Nulle possibilité, face à un tel thème, d’échapper à Christiane Taubira, qui représente dans sa perfection perverse un socialisme de l’inabouti, de l’irénique et du conceptuel. Elle a poussé au paroxysme cette tendance à ne rien faire pour éviter le honteux reproche de prétendre s’attaquer à l’insécurité par des moyens qui seraient efficaces, certes, mais de droite, donc inadmissibles. Il y a eu, en matière de justice, des politiques de gauche. Depuis le mois de mai 2012, Taubira, sa personnalité et son verbe profus, représentent à eux seuls la politique de gauche. Le flacon est vide, mais certains énamourés déclarent qu’il a belle allure… et qu’il est donc plein.

Difficile de ne pas s’en prendre au tempérament même de la ministre, à son narcissisme somptueux, en donnant l’impression d’offenses indélicates et personnelles – alors que, pour quitter ce terrain intime, il faudrait nous en laisser le choix. Pour arbitrer entre la personne et ses actes – et opter, si nécessaire, pour la critique de ceux-ci –, il faudrait que l’emprise de la subjectivité ne pèse pas plus lourd, voire remplace ces derniers.

Avec c, c’est elle ou rien, elle ou nous. Idolâtrie ou révélation du simulacre, levée des illusions : entre ces extrémités, il n’existe aucun juste milieu permettant de mettre de l’eau dans son vin, de la nuance et de l’analyse dans sa perception, du ministre dans Taubira et du Taubira dans la garde des Sceaux.

Christiane Taubira nous condamne à demeurer face à elle et à nous persuader que la justice de gauche consiste en ses mots doux pour la délinquance et la criminalité, en son empathie pour cette part du pays qui ne vote pas FN – dont les électeurs sont forcément des salauds et des brutes –, et des maux pour une société dont son progressisme si chargé de poésie et de fl ou ne raffole pas.

À bien y regarder, Christiane Taubira, c’est une haute opinion de soi, mais une justice fortement en baisse. Et pour cause !

La loi en faveur du mariage pour tous, une loi contre le harcèlement, un projet de loi qui ne permettra pas de prévenir la récidive – au contraire, le récidiviste ne sera plus distingué, pour l’aggravation, du délinquant primaire –, mais qui rendra la société moins sûre, plus dangereuse… Qu’une immense part de l’opinion publique – 85 % – soit persuadée d’un sombre avenir n’arrêtera pas la gauche, mais la confi rmera dans l’idée qu’un processus pénal détesté par le peuple ne peut pas être tout à fait mauvais !

Des prisons laissées en l’état, mais avec des larmes de « crocodile » humaniste sur elles. On débattra après les municipales… mais il y a loin de la coupe aux lèvres, de l’adhésion fl atteuse et sans risque à des mesures suicidaires au risque d’une politique fondée sur elles, de la célébration parisianiste et inconditionnelle de Christiane Taubira – qu’on n’avait jamais deviné tant aimée au long de son parcours, à la fois honorable et chaotique, minoritaire et fl uctuant – à l’acceptation par le Parlement d’un programme qui amplifi era l’insécurité et donc les peurs et les angoisses citoyennes.

Il serait injuste de ne pas retenir que la ministre continue d’agir – à sa manière, c’està- dire en reculant. Avec elle, on ne peut plus se permettre de faire les diffi ciles ! Alors que la réforme des tribunaux de commerce avait été promise il y a un an par le Premier ministre dans le pacte de compétitivité, qu’elle était attendue par les entreprises et la justice, que les parlementaires socialistes avaient rendu un rapport de qualité indiquant la marche à suivre pour cette rénovation, et que la ministre aurait eu l’appui unanime de la majorité pour cet objectif… elle a abandonné ! Le projet de loi sur la protection des sources, soutenu par les journalistes, même s’ils l’espéraient plus ferme, a été reporté au 14 mai 2014, à cause, paraît-il, de « l’embouteillage législatif ».

Cette attitude est très révélatrice, à un double titre. La ministre ne profi te pas de son aura politico-médiatique pour aller de l’avant, même quand la voie est royale. Elle n’apprécie que les causes venant fl atter son narcissisme – qu’elle en sorte victorieuse, comme avec le mariage pour tous, ou blessée, dans le cas du racisme. Le tout-venant, pourtant nécessaire, n’est pas pour elle !

Qu’il est compliqué d’évaluer ce qui existe à peine, ou refuse obstinément d’avoir une consistance objectivement appréciable ! Plus les élections municipales approchent, plus Christiane Taubira multiplie ce qui lui plaît par-dessus tout et offre le grand avantage de ressembler à l’action, sans en être : elle s’abandonne aux délices d’un comportement ministériel ne prenant jamais aucun risque, et donc à peu près assurée du soutien d’une majorité qui, n’étant confrontée à rien de diffi cile et de concret, applaudira la richesse verbale qu’on lui prodigue à foison.

Christiane Taubira défait, recule (les tribunaux de commerce et les journalistes), gèle (l’ouverture du tribunal des étrangers à Roissy), prévoit, annonce, met en chantier.

Il paraît que nous aurons, en 2014, une refonte totale de la justice des mineurs et de l’ordonnance de 1945 avec l’éducatif comme priorité et, par conséquent, la suppression des tribunaux correctionnels pour les mineurs de seize à dix-huit ans. Il est normal qu’on abolisse cette disposition de l’ancien quinquennat, puisqu’elle était judicieuse, et qu’on replonge donc la justice des mineurs dans un climat de mansuétude compréhensive – et outrée de n’être pas partagée par beaucoup. Violents de plus en plus jeunes, ces « enfants » – comme il faut paraît-il affectueusement les désigner – seront traités, grâce à ce que nous préparent les services de la garde des Sceaux, avec la douceur et la tendresse que leur précocité justifi e, mais que leurs délits et crimes devraient interdire.

Extrait de "Contre la justice laxiste", de Philippe Bilger, aux éditions l'Archipel, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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