Les nonistes de 2005 au gouvernement : le trio Valls-Montebourg-Fabius poussera-t-il à un changement de la politique de la France sur l’Europe ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Les trois nonistes de 2005.
Les trois nonistes de 2005.
©Reuters

Eurosceptiques ?

Alors que la France s'apprête à entrer dans une passe d'armes avec Bruxelles sur l'objectif de réduction des déficits, il est opportun de noter que trois personnalités phares du nouveau gouvernement ont un temps fait part de leurs oppositions à la Constitution européenne de 2005.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

Voir la bio »

Atlantico : S'ils partagent peu de points d'entente, Arnaud Montebourg, Laurent Fabius et Manuel Valls ont tous trois été des opposants à la Constitution de 2005. Quels sont les arguments qui les y ont poussés ? Peut-on parler d'une "vision commune" sur un tel sujet ?

Bruno Cautrès : Rappelons tout d’abord le contexte de 2005 : François Hollande est alors premier secrétaire du PS, un référendum interne au parti est organisé en décembre 2004 sur la Constitution européenne. Les militants votent alors en faveur du texte du traité constitutionnel européen (59 % des voix). Laurent Fabius (alors numéro 2 du PS) qui avait fait part de ses hésitations à partir de 2003, bascule progressivement vers le « non ». Il avait en fait des conditions pour se déclarer en faveur du « oui », avec un leitmotiv : «tout pour l'emploi et tout contre les délocalisations». Laurent Fabius proposait alors quatre orientations : réviser le pacte de stabilité pour mieux coordonner l'action de l'Europe pour l'emploi ; l’accroissement du budget européen dans les domaines de la recherche; l’harmonisation des systèmes fiscaux pour lutter contre les délocalisations ; la défense au « service public à la française ».

A l’époque, Arnaud Montebourg, qui a fondé au début des années 2000 un courant au sein du PS, le NPS (le Nouveau Parti Socialiste, fondé avec Vincent Peillon, Julien Dray et Benoît Hamon), est également partisan du « non » tout en disant qu’il respecte la position majoritaire du parti. On a observé, à l’époque, qu’il avait ensuite pris peu part à la campagne.

Manuel Valls, à l’époque est également membre de ce courant, composé notamment de cette jeune génération qui veut renouveler le PS après l’échec du 21 avril 2002.  Comme Arnaud Montebourg il défend le « non », mais finalement choisit de soutenir « par discipline » le « oui ». On peut, à l’époque, évoquer certaines convergences entre leurs points de vue, mais chacun exprimant sa propre partition, notamment vis-à-vis de l’opposition à la position majoritaire du PS. Laurent Fabius, alors le plus expérimenté et le plus « titré » des trois, un véritable « poids lourd » du PS, est alors incontestablement le « leader » du « non » socialiste.

Le parcours politique de chacune de ces personnalités permet-il de tirer des enseignements supplémentaires ?

Les évolutions de chacun des trois et de la position du PS (qui a tenté de colmater le gap entre le « oui » et le « non » de 2005) rendent difficile de faire aujourd’hui le lien entre leurs positions sur l’Europe et leurs positions d’alors. On peut néanmoins constater que Laurent Fabius ne vient plus vraiment sur le sujet tandis qu’Arnaud Montebourg a, au contraire, affirmé de manière plus radicale et démonstrative ses positions, n’hésitant pas à fustiger notamment la Commission européenne. Dans son cas, le lien peut être fait entre ses positions de 2005 et sa vision ultérieure de la « démondialisation ». Manuel Valls, lorsqu’il fait campagne pour la primaire socialiste en 2011 se présente en « social-libéral » assez assumé, partisan de davantage d’intégration européenne. Notons qu’au moment du vote du Congrès sur le Traité de Lisbonne, (en 2008), Laurent Fabius et Arnaud Montebourg ont voté contre (Jean-Marc Ayrault et François Hollande s’étant abstenus).

Doit-on s'attendre en conséquence à une fermeté particulière du gouvernement Valls à l'égard de Bruxelles ? (l'expression "gouvernement de combat est-elle finalement pointée en direction de la Commission ?)

On peut penser que Bruxelles doit se poser des interrogations vis-à-vis de l’attelage formé par Michel Sapin et Arnaud Montebourg. Il faudra rapidement que le gouvernement français donne à nos partenaires européens et à Bruxelles le « mode d’emploi » du nouveau gouvernement : qui fait quoi, qui parle à qui et y a-t-il une seule ligne ? On peut s’attendre à ce que les premières rencontres des dirigeants européens avec Manuel Valls constituent des « tests » de chaque côté. Il semble néanmoins très difficile pour la France de revenir vers une séquence du type de celle du début de mandat de François Hollande : plaider pour obtenir de nouveaux délais pour réduire notre endettement, vouloir infléchir l’Europe vers « l’Europe sociale » (à la française). Cette difficulté n’est pas qu’externe vis-à-vis de nos partenaires ; elle est aussi interne : il semble difficile de rejouer cette séquence auprès des électeurs de gauche qui n’ont pas eu le sentiment d’un vrai impact de François Hollande sur la question d’une « autre Europe ».

De Pierre Bérégovoy à Lionel Jospin en passant par Edith Cresson, les premiers ministres socialistes ont toujours fait part d'un européisme affiché. Le gouvernement actuel s'inscrit-il dans cette même dynamique, ou se dirige t-on finalement vers une rupture ?

Le pouvoir exécutif en France peut difficilement échapper à une vision très largement pro-européenne. Les dirigeants français, sans doute profondément marqués dans une période récente par l’engagement européen de Giscard d’Estaing à droite et de Mitterrand à gauche, ne peuvent échapper au prisme, presque obsessionnel en France, du « moteur franco-allemand » de l’Europe. Une rupture avec nos partenaires allemands sur l’Europe est tout simplement impensable. Chaque période de difficultés dans la relation franco-allemande a été suivie d’une période de réchauffement et d’initiatives européennes communes.

Peut-on dire que Matignon, au vu des dernières élections, ait un réel soutien populaire sur ces questions ? Quelles sont concrètement les marges de manœuvres en la matière ?

Pour un pouvoir exécutif de gauche, cette question est très complexe : une très large part de ceux qui avaient voté « non » en 2005, n’est pas composée d’« anti-européens » ou d’«eurosceptiques » (un concept vague auquel on devrait préférer celui de « contestation » vis-à-vis de l’Europe). Ils adhèrent aux principes généraux de l’intégration européenne, à la vision d’une « communauté européenne » et souhaitent même souvent davantage de politiques européennes; mais ils contestent les modalités de cette intégration et sa vision trop économique, trop économiquement « libérale », pas assez redistributive ou citoyenne. Il reste néanmoins à nos dirigeants à devenir de vrais « comparatistes » : l’Europe sociale ce n’est pas forcément, aux yeux des autres européens, la réplication dans d’autres pays du modèle social français.

Les élections européennes du 25 mai prochain seront l’occasion pour le gouvernement français d’exprimer cette dualité ou cette vision en deux dimensions de l’Europe et de tenter de l’expliquer à nos partenaires comme aux électeurs français. Leur marge de manœuvre, au plan européen, est étroite car l’ampleur des déficits publics français et la faible popularité de François Hollande lui « coupent » un peu les ailes au plan européen. Au plan français, elle est également très étroite tant est grande la défiance des français vis-à-vis du discours politique et tant les désillusions sont fortes vis-à-vis des « beaux discours ». Il est plus que temps que nos dirigeants et nos hommes et femmes politiques réalisent qu’il faut expliquer, sans fard, nos difficultés et les reconnaître. Ils essaient bien sûr de le faire, mais ils sont aussi parfois tentés de renvoyer vers les autres les causes de nos échecs ou difficultés (l’autre pouvant être l’Allemagne et sa Chancelière, « Bruxelles », la Commission européenne). Notre pays, comme les autres pays européens, est en fait travaillé en profondeur pour la « grande transformation » dont nous sommes les contemporains : l’ouverture sur le monde, l’économie libérale mondialisée, des bouleversements dans les rapports de force mondiaux et une accélération du temps.  Notre nouveau premier ministre est réputé pour son dynamisme et sa capacité à parler fort. Des qualités sans doute fort utiles dans ce contexte et pour faire de la pédagogie auprès de notre pays.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !