Pourquoi l'Europe n'a pas les moyens de gagner la bataille d’Ukraine<!-- --> | Atlantico.fr
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Les membres d'une unité d'auto défense ukrainienne pro-russe en formation / photo d'illustration.
Les membres d'une unité d'auto défense ukrainienne pro-russe en formation / photo d'illustration.
©Reuters

Perdu d'avance

L'Ukraine est au centre des tensions qui morcellent aujourd'hui le continent européen. Un rapprochement semble s'opérer avec l'Union européenne, au grand dam de la Russie, mais que l'Ukraine pourrait regretter.

Hélène Clément Pitiot

Hélène Clément Pitiot

Hélène Clément Pitiot est chercheuse au CEMI- EHESS. Elle a également été maitre de conférence en Sciences Economiques à l'Université de Cergy Pontoise. Elle est spécialiste des problématiques touchant à la Russie. Elle anime son propre blog, le Carnet Viableco.

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Atlantico : L'Europe doit décider ce lundi de sanctions économiques à l'égard de la Russie en représailles de son attitude dans la crise ukrainienne. A-t-elle les moyens d'entrer dans un conflit économique avec la Russie ? Certains pays européens sont-ils d'ailleurs plus exposés que d'autres à cette menace ?

Hélène Clément Pitiot : Les Etats-Unis et l’Union européenne se sont dit prêts à prendre lundi des « mesures très sérieuses » en réponse au résultat du référendum d’autodétermination des populations de Crimée. C’est ce que la grande presse a annoncé (cf. Le Figaro), relayant la déclaration de John Kerry. Angela Merkel, François Holland, Matteo Rinzi se sont faits l’écho de ces menaces. Parallèlement des rencontres ont eu lieu entre J. Kerry et S. Lavrov, le Ministre Russe des Affaires Etrangères. Considérant le contexte d’ensemble, ils pourraient s’être mis d’accord pour définir les sanctions réciproquement viables tout en préservant la crédibilité des effets de communication. Peut-on douter que l’Europe ne suive le mouvement?

A l’heure du monde multipolaire que les occidentaux s’efforcent de ne pas vouloir voir, que vaut le G8 sans la Chine ? L’exclusion annoncée de la Russie ressemble à une auto-destruction, car elle montrera au grand jour que ce qui compte depuis longtemps ce n’est pas les rencontres du G8 dans des cadres de rêve pour nos élites mais bien plus les discussions dans le cadre du G20. Y a t il eu depuis longtemps une quelconque décision sérieusement constructive prise au G8 ? Il n’en va pas de même du G20 où se profilent les principes de la nouvelle économie mondiale et de la de-dollarisation qui est déjà en route : ventes de bons du trésor US, achats d’or des banques centrales s’accélèrent comme se mettent en place des accords de swaps entre banques centrales qui ouvrent la voie à des règlements commerciaux en d’autres devises que le dollar.

En Europe la question de l’indépendance des positions européennes se pose certes mais plus encore la capacité de décider à 28. Cette difficulté qui se rencontre maintenant à chaque étape «intense» des relations internationales n’est pas nouvelle ; elle est le fruit de choix institutionnels. Le projet économique et monétaire européen a pris radicalement le pas sur le projet politique en dépit des avertissements répétés des spécialistes. Le monde entier est au courant des rigidités institutionnelles qui pèsent sur l’Europe et qui découlent de cette posture. Cette impuissance politique qui se double maintenant d’une impuissance économique devenue bien visible depuis la crise, ne laisse finalement la voix qu’à la rhétorique et aux effets de communication. Vis-à-vis des populations, cette impuissance est bien aussi de plus en plus tangible. Les élites européennes tant sur un plan politique qu’économique se trouvent hors du champs de la réalité, maniant rêves, dénis, mensonges selon les nécessités. Les médias qui ont pu longtemps être timides sur le sujet, poussés par les commentaires du net et par les blogs commencent à porter des témoignages. Ainsi trouve-t-on dans le Figaro une déclaration de M. Paet, chef de la diplomatie estonienne qui exprime son trouble face à l’indifférence des autorités de Kiev faisant suite à celle de Catherine Ashton à propos de l’épisode des snipers sur Maïden à l’origine de massacres. Il avait en effet lui-même prévenu de la possible implication de l'opposition ukrainienne au président Viktor Ianoukovitch dans les assassinats de manifestants mais aussi de policiers.

S’ajoutant au déni qui table sur la dissipation rapide de la mémoire, s’ajoute la gesticulation de la punition : celle de la Grèce, la rhétorique du mauvais élève versus le bon élève. On peut se souvenir que l’Espagne a longtemps été montrée comme le bon élève de l’Europe. Les autorités européennes ont depuis longtemps le mauvais goût de nous servir une rhétorique infantilisante qui lasse les populations...

Point de surprise dans ce contexte que la crédibilité internationale et interne s’effondre de plus en plus. Ajouté à ce panorama et à l’heure de facebook et twitter,  comment pouvons-nous nous étonner que V. Nuland et C. Ashton furent ainsi prises à leur propre piège communicationnel !

Finalement, le plus rassurant à cette heure est que malgré ces agitations de communication, l’opinion démocratique, certes encore en retrait, semble beaucoup plus mesurée et posée. Des voix légitimes de représentants des peuples s’élèvent de-ci de-là : parfois avec véhémence au sujet de l’Ukraine comme ce jeune député, Laurent Louis au Parlement belge ; en France, un rapport à l’Assemblée nationale très lucide « sur la politique française et européenne vis-à-vis de la Russie » vient aussi d’être rendu public ; la diplomatie économique de la France en Russie s’exprime d’une voie forte, celle de Jean-Pierre Chevènement dont la position est bien différente de celles des élites politiciennes et de BHL : "Sans la Russie, il manque quelque chose à l'Europe"

Une erreur est ainsi souvent faite de ne donner qu’une seule voix à l’Europe qui donne dans la caricature ; celle des peuples est parfois plus juste parce qu’elle est plus reliée au réel. L’oubli du réel est en effet une difficulté majeure pour comprendre la dynamique des économies mondiales imbriquées dans les stratégies géopolitiques. Et nous savons combien les surprises bonnes ou mauvaises peuvent être au rendez-vous.

Que les bulgares et les pays baltes aient déjà fait connaître des voies dissonantes sur le thème des sanctions vis-à-vis de la Russie est certainement une des premières surprises ; ils sont traditionnellement peu favorables pour faciliter les avancée de la coopération avec la Russie. La réserve affichée par les Anglais est sur le sujet légendaire, les journalistes qui ont glissé un œil sur le dossier de H. Powell en visite chez D. Cameron n’ont fait que nous le confirmer (the Guardian ). Les responsables des affaires étrangères allemandes ainsi que le Ministre de l’économie et de l’environnement Sigmar Gabriel, semblent aussi beaucoup plus modérés qu’Angela Merkel, cette modération fut aussi reprise par le responsable de l’équivalent du MEDEF allemand et divers entrepreneurs dont Mr. Seele de Wintershall.

Ce que l’on commence à voir poindre et qui devrait encore une nouvelle fois rythmer le réel de l’économie, c’est l’irrésistible montée du jeu de la concurrence entre les économies européennes qui craignent, avant même d’avoir décidé de sanctions, les répercutions qu’elles pourraient avoir sur leurs propres économies. Dans un contexte d’extrême fragilité des économies, d’une part le chômage indomptable lié à la dé-industrialisation et d’autre part l’instabilité majeure de la sphère monétaire et financière, ces préoccupations pourraient sembler raisonnables.

Quels pays seront les plus exposés et qui pourra «passer le mieux à travers les gouttes» ?  La Russie a en effet annoncé que des sanctions réciproques sont déjà prévues et qu’elles seront mises en application en fonction des décisions de chaque pays. La Russie sait ainsi qu’elle va s’appuyer sur le point de faiblesse de l’Union européenne, sa désunion de fait, bien réelle que la rhétorique cherche à cacher. L’Europe s’est construite en affichant cette concurrence comme ferment de l’efficacité économique....ce fut oublier les principes de la dynamique économique que de ne raisonner qu’ainsi et de fonder tout le programme de développement et de construction de l’Europe à partir de Maastricht. L’incertitude a su rattraper les économies avec ses crises, laissant les gouvernements dans le marasme ; les instruments de la politique économique pour y répondre leur faisant brutalement défaut.  Les théories économiques contemporaines nous montrent à l’inverse que la coopération permet de mobiliser plus de forces et d’effet de résilience ; dans le long terme et dans les crises, ces capacités sont salvatrices. L’Europe de la concurrence est bien fragile, depuis 23 ans elle n’a jamais pu venir en aide à l’Ukraine de façon crédible et efficace. La Russie dont l’économie s’est redressée de tant d’épreuves sait tirer les leçons des expériences. Dans le cadre de la mise en place de l’Union Douanière, elle a tout de suite compris que la complémentarité pouvait rendre les économies plus robustes que la concurrence.

A un moment où l’Europe cherche à montrer sa force, elle risque ainsi de pêcher par ses défauts institutionnels mais aussi par ses défaut de conception économique. Comme le soulignait le Ministre A. Montebourg, l’incohérence en matière de concurrence est flagrante : soutenir le renflouement des établissements financiers et ne pas aider les entreprises dans la crise, c’est une distorsion majeure de la concurrence d’un point de vue de la théorie économique. Un secteur économique (service financier) est favorisé au détriment des autres secteurs. Par le jeu d’incitations perverses le mécanisme d’allocation des ressources (capital et travail) devient fondamentalement inefficace et injuste. Le chômage de masse qui en découle est ainsi théoriquement inefficace...et bien dommageable pour les populations. Des experts d’Oxford et Cambridge nous répètent régulièrement dans leur contribution de The Lancet (2014) et leur ouvrage The Body Economic que : « l’austérité tue ». L’Ukraine (hors Crimée) va pouvoir alimenter désormais les nouvelles études de ce groupe de scientifiques, en effet une cure d’austérité est annoncée comme ‘garantie’ fournie aux autorités de Bruxelles et au FMI en échange de l’aide promise (Cf. Le journal Kommersant-Ukraine du 6 mars). La « cure » a déjà commencé pour nombre de retraités ukrainiens dont les pensions vont être divisées par 2 (on part de 120 euros mensuel !) alors que le prix du chauffage, dont la distribution sera contrôlée, gageons-le ,par les sociétés occidentales, augmentera fortement.

Toutes ces défaillances dans l’organisation institutionnelle et économique de l’Europe que tente de cacher la rhétorique agressive, la Chine, la Russie mais aussi les US les connaissent bien et savent parfaitement en jouer voire les orchestrer... suivant leurs propres intérêts par exemple en faisant avancer l’OTAN (Snowden dénonce un «bazar européen» au service des États-Unis). C’est bien la triste réalité qui nous sort d’un rêve d’Europe et de responsabilité trop longtemps non exercées à bon escient.

Cet épisode ukrainien peut offrir des moments de vérité dont l’Europe a besoin pour fonder un nouveau sursaut. "Par quelle secousse faudra-t-il passer pour que, demain, une Europe viable puisse s'organiser entre les Etats-Unis et la Chine ?" C’est la question prophétique que posait Jean-Pierre Chevènement dans son ouvrage : 1914-2014, l’Europe sortie de l’histoire ? p. 174, 2013, Fayard

Nous y sommes...

Il pourrait même se faire que le pire soit déjà là...le pire étant « l’indécidable » qui frapperait à nouveau la finance mondiale. Un niveau record de bons du trésors US a été ainsi vendu depuis quelques semaine. Ces ventes vont-elles anéantir les efforts de QE (quantitative easing) déjà menés et la FED devra t elle redémarrer la mécanique dans ce contexte contraire de dé-dollarisation? On ne saura qu’aux environs de mai, quand le TIC (Treasury international capital system) pourra en publier la liste, qui sont les acteurs qui vendent en ce moment. Des hypothèses se dessinent, certes les russes vendent aussi et se désengagent massivement des banques occidentales  -l’exemple de Chypre a porté - mais il semble que ce soient les Chinois qui vendent et rachètent des euros pour faire encore monter la monnaie européenne. La manipulation est étrange, elle viserait à maintenir le niveau du pouvoir d’achat européen pour assurer la demande de produits chinois. Cependant l’euro toujours plus fort détruit l’économie européenne et cette réalité s’impose de plus en plus (cf. A. Mirlicourtois, «Ah, si l’on pouvait dévaluer l’euro !».

L’Ukraine est actuellement en faillite presque totale et attend de l'Union européenne une aide financière conséquente. L'Europe est-elle aujourd'hui en situation de fournir cette aide ? En quoi cela pourrait-il la fragiliser ?

Les besoins de liquidités de l’Ukraine sont en effet énormes, 35 milliards de dollars d’après les estimations du gouvernement de Kiev sont nécessaires immédiatement pour ne pas faire défaut. Il faut en plus prévoir 10 milliards de plus jusqu’à la fin de l’année. Et toute chose égale par ailleurs, 5 milliards encore pour l’année suivante... Les autorités précisent que la fraude et l’évasion fiscale se chiffrent entre 300 et 500 millions de dollars par mois. Le Ministre des finances, O. Shlapak (Wall Street journal 5/3/2014), explique que le gouvernement envisage de renégocier les dettes qui viennent à échéance en prenant garde d'éviter le défaut et en préservant les euro-bonds. Ainsi veut-il probablement tenter d’éviter un déclenchement trop rapide d’un défaut sur les CDS. Lesquels se sont révélés des instruments majeurs de déstabilisation de la sphère financière mondiale. Pourront-ils contourner le risque de rejouer l’épisode «LTCM» après le défaut russe de 1998 ? Le gouffre est là et il est bien réel. Le souci est qu’il n’emporte pas la finance mondiale (cf. H. Clément-Pitiot VIABLECO – La Russie et la fable de la finance mondiale).

Ces besoins de liquidités de l’Ukraine ne sont pas nouveaux. L’image du tonneau percé serait appropriée ! Les disputes politiques sans fin plus ou moins orchestrées depuis 23 ans n’ont pas permis au pays de trouver un chemin économique viable... L’examen précis des comptes par régions montre qu’un petit nombre de régions exportent plus qu’elles n’importent et qu’une large part du déficit commercial provient de la ville de Kiev (Cf. J. Sapir, Quel avenir pour l’Ukraine? | RussEurope). Il y a fort à parier que les tensions régionales présentes se nourrissent des errements économiques qui brisent les liens des peuples en favorisant ces asymétries.

L'Ukraine attend-elle plus que ce que l'Europe peut lui offrir ? Quels risques prendrait-on à la décevoir ?

Il n’est interdit à personne de rêver, et beaucoup d’Ukrainiens rêvent l’Europe qui nous ferait aussi rêver, celle que nous souhaiterions transmettre à nos enfants. La réalité nous a montré aussi que les rêves peuvent tourner en cauchemars pour un grand nombre de personnes (réduction de 40 % du revenu disponible en Grèce en moins de 4 ans !). Continuer à ignorer les autres Européens fait que les élites se coupent des réalités. Le lien social est mis à mal partout en Europe. L’individu est de plus en plus seul, en proie à un stress permanent. Les rapports sur le stress au travail, l’accroissement de la mortalité due aux conditions d’austérité sont accablants. Il est sûr que l’Ukraine n’aspire pas à cette vie...ni que ces enfants se retrouvent avec plus de facilité dans les bordels « officiels » en Allemagne.

Vendredi, Médiapart nous surprenait, dans une veine bien différente des articles d’investigation dans l’arène nationale qui sont sa spécialité. Dans l’article  « les mineurs de l'est de l'Ukraine, entre crise et bruits de guerre »  les journalistes nous livraient des pages de vies conformes à ce que les spécialistes qui se rendent sur ces lieux ont l’habitude de voir. Des points qui échappent souvent aux professionnels de la rédaction de rapports européens... Ces journalistes se sont rendus sur le terrain en Ukraine dans le Donbass, la région qui fournit les ressources du pays. C’est une région industrielle et majoritairement pro-russe. On y découvre des gens dans des conditions matérielles que nous ne saurions imaginer ; mais ce qui frappe c’est le lien social, la fierté de ce qu’ils font, fierté de leur travail et des taches accomplies. Que de surprises dans cette cure de jouvence venue de l’est de cette région menacée de tout !  L’essentiel pour ces gens n’était pas la richesse matérielle mais humaine. Le lien social, la mémoire, l’attachement, - y compris l’attachement aux lieux -, comptaient ! Nous sommes bien loin du modèle des individus hédonistes et nomades, sans racines dont on nous vente l’adaptabilité au marché mondial !

Pour ne pas décevoir les Ukrainiens, il s’agit de faire l’effort de d’abord les comprendre... avant de juger avec nos critères dont nous ne sommes plus tous très fiers ! Le réel doit primer même si l’Occident en a perdu le sens... il est temps d’y penser.

Cette dissonance cognitive, comme les spécialistes aiment la nommer, elle a déjà provoqué bien des déceptions chez les Ukrainiens. Promettre à l’Ukraine que des armées de jeunes travailleurs semi-clandestins à défaut d’avoir un passeport Schengen pourront venir en Europe...! Pense-t-on vraiment qu’ils viendront y faire du tourisme et remplacer la part des 40 millions de touristes Russes qui vont en Europe chaque année et dont le nombre ne cesse de progresser (ils étaient moins de 8 millions en 2006) ? Quand l’Ukraine ouvre les yeux sur nos faiblesses et l’avenir que nous réservons à nos propres enfants, on peut penser qu’elle en ressente une déception en effet. Mais cette déception, il semble qu’elle est en fait déjà là : le vote des habitants de Crimée en atteste déjà ! La déception serait encore plus grande pour eux envers nous si nous rejetions leur souhait par dogmatisme en cédant à la rhétorique habituelle. Ont-il moins de droits que les Kosovars de s’exprimer ? Ne leur donnerons nous ce droit qu’une fois qu’ils auront suffisamment de morts?

La vérité économique est parfois dure à regarder, aussi préfère-t-on la modifier à sa guise. Tels peuvent en effet se résumer 15 à 20 ans de recherches  économiques menées pour démontrer la convergence en Europe... coûte que coûte ! Le réel a déformé le modèle de nos experts. La convergence est plus celle du malheur des peuples, des destructions industrielles et du chômage de masse. La victoire de l’Europe nous la connaissons bien, c’est Erasmus qui permet de donner des ailes aux jeunes qui en sont capables... et nous les voyons partir à travers le monde avec de moins en moins l’espoir de retour ! Ce monde, cette Europe réelle, pas celle du rêve ukrainien, nous l’avons construit parce que nous avons refusé de voir et de comprendre. L’Ukraine rendrait un immense service à l’Europe et aussi à elle-même si cet épisode aux accents brulants nous permettait d’avoir un regard responsable et courageux.

Aider l'Ukraine aujourd'hui, cela revient à aider qui ?

 L’Ukraine a porté beaucoup d’espoirs européens après la « révolution orange », des entreprises et des banques françaises étaient incitées à y investir plutôt qu’en Russie... L’expérience a révélé que c’était faire fi de la réalité économique du pays et que la corruption endémique et chronique dont aucun des gouvernements successifs n’a pu venir à bout, a contrarié les paris d’investissement... Difficile de croiser une société, grand groupe ou PME qui à la même époque a investi en Russie ou même au Bélarus et qui regrette de ne pas avoir suivi l’option ukrainienne !

L’aide à l’Ukraine agitée depuis tant d’années s’est désintégrée... De l’aveu même de V. Nuland dans une déclaration à Washington en décembre 2013, 5 milliards de dollars auraient été apportés en aide à l’Ukraine par les US depuis 1991. Il y a fort à parier que cette aide ne s’est pas trouvée qu’entre de bonnes mains, soucieuses du développement économique et de la survie des populations.  La prudence appelle à ne plus renouveler les erreurs passées et à retomber dans l’assistance/ingérence qui coûte fort cher structurellement. Le plus souvent une grande partie de l’aide sert à alimenter les armées d’experts étrangers, souvent de l’USAID. Beaucoup de ceux-ci font profession depuis 20 ans des malheurs chroniques du pays. Qui aurait ainsi vraiment intérêt à aider efficacement l’Ukraine à s’en sortir ? C’est bien aussi la question qui se pose ? Elle est fort complexe...

Alimenter des perspective de court terme, des espoirs individuels pour faciliter l’enrichissements rapide d’une minorité ne devrait pas être une option. Une aide qui alimente le seul rêve de fuite pour la jeunesse, comme ne se privent pas de le faire les lobbies installés sur place (cf. Site de  L’Université Continentale  ). Ils choisissent de réduire le projet européen à des pages touristiques dignes des meilleures agences de voyages, vantant la douceur de vivre en Europe pour les populations les plus aisées... Ils font là une grave erreur, et pour l’Ukraine, et pour l’Europe.

Promettre une aide de 11 milliards, mais encore pour demain... car elle ne peut être décaissée que progressivement, suivant les mécanismes du FMI, est ce la réponse à donner aux Ukrainiens ?

A qui donnerait-on cette aide ? Il n’y a pas de gouvernement élu en Ukraine... il faut attendre les élections du 25 mai. Entre temps serait-il raisonnable de fournir les armes demandés par les fractions les plus radicales du gouvernement ? On sait que des dépôts d’armes ont déjà été livrés à des milices parce que les autorités ne peuvent pas contrôler leurs troupes. L’AFP et le Monde nous apprenaient vendredi la création d’une garde nationale en Ukraine. Les autorités ont annoncé que ce corps qui dépendrait du ministère de l’intérieur, sous la direction de A. Avakov, serait composé en priorité de volontaires venant des « groupes d’autodéfense » qui se sont formés à Maïdan... Avant d’alimenter financièrement des enchaînements de ce type, la mémoire nous incite à prôner que soient effectuées quelques investigations. C’est en effet ce que propose le site Les-Crises.fr ; O. Berruyer s’y est livré à une étude détaillées des activistes célébrés sur Maïdan qui sont censés assumer des responsabilités décisives au sein du gouvernement de Kiev ( O. Berruyer « on a oublié de vous dire...» à partir du 9 mars).

Nous sommes bien loin dans ce contexte d’un projet cohérent d’aide tournée vers le futur et le développement économique, pourtant c’est de cela que 45 millions d’Ukrainiens ont besoin.  Alors quand pointe le nez la Troïka UE-FMI avec l’austérité annoncée, et dans l’ombre le renflouement des dettes bancaires mise à la charge de la population, de réelles questions se posent. Quel projet constructif met-on en place ? Il a d’étranges ressemblances avec celui de H. Schacht qui à la tête des finances allemandes dès 1923 déroula la déflation salariale et l’austérité drastique sur les populations,  faisant ainsi le lit des désordres qui font honte à l’Europe.

Existe-t-il des risques diplomatiques à trop s'investir dans ce conflit ?

Il n’y a pas de jeu diplomatique sans risque. Les instances européennes en quête de légitimité à quelques semaines des élections cherchent à justifier leur existence. De grands effets diplomatiques les faisaient elles aussi rêver. Rêves qui convergeaient avec ceux des Ukrainiens de Maïdan. Une victoire criée un peu trop vite, peut-elle compenser et faire écran à la réalité ? Seulement si on n’y regarde pas de prêt, en tablant sur des électeurs mal informés ou aveugles.

Sur un autre aspect, crier et gesticuler c’est aussi un peu mal connaître l’art de la diplomatie, art qui s’enseigne assurément en Russie et en Chine (Cf. Voici comment la Russie a piègé l'occident et récupéré la Crimée sans tirer un seul coup de feu).

La grande victoire que recherche la diplomatie européenne est pourtant à portée de mains, c’est celle de l’ autonomie par rapport aux US ! Relever la tête comme tente de le faire le Parlement européen en refusant une nouvelle fois de signer le traité trans-atlantique de libre échange tant qu'il n’y a pas la preuve de l’arrêt de l’espionnage (NSA-US) sur l’Europe. Des députés européens soucieux de représenter les souhaits de leur électorat ont voulu que leurs électeurs soient témoin de leurs efforts et ont mis devant leur tête des portraits de E. Snowden... Espérons que s’il advenait que le parlement ne ratifie pas ce traité d’association, V. Nuland ne viendrait pas soutenir de ses « encouragements particuliers » les quelques manifestants qui protesteraient... parce que nous aurions démocratiquement refusé « le rêve américain » ! La « bataille diplomatique de l’Ukraine » pourra aussi servir de leçon et nous amener à progresser sur le respect des peuples en évitant de telles extrémités.

Que signifie au juste « l’Europe perd la bataille diplomatique » ? Des idéologues du siècle dernier à l’exemple du mari de Victoria Nuland,  Robert Kagan , peuvent avoir cru que la Guerre froide, son sectarisme et ses conflits pouvaient être ranimés avec profit. Des élites détachées de la réalité et des peuples pourraient avoir emboité le pas dans la précipitation et pourraient avoir perdu ? Dans ce contexte, rien ne dit que le peuple européen perde aussi dans le même mouvement... C’est peut être l’inverse ? Le peuple ne perd que si sa voie est inutile ou rejetée ! Le peuple perd en Europe seulement quand un referendum est soit annulé, soit non pris en compte...

Mais en dépit de cela, l'Europe peut-elle diplomatiquement se permettre de laisser l'Ukraine à Poutine ?

Le terme même de diplomatie européenne est étrange dans le contexte de cette crise Ukrainienne. Est ce le lieu d’exercice d’une diplomatie étrangère que la place publique d’une capitale d’un pays voisin souverain ? C. Ashton est-elle venue s’expliquer devant le Parlement européen sur ses inerties « diplomatiques » face aux déclarations du Ministre des affaires étrangères d’Estonie ? Pour la bonne santé de nos démocraties, espérerons qu’une commission d’enquête est déjà nommée sur le sujet.  Comment prétendre dans le cas contraire qu’une diplomatie européennes existe et soit légitime ? La crainte peut être vive pour chacun de nous que d’imaginer un seul instant que C. Ashton se mette à trouver normal de louer les services des milices dont elle a couvert les agissements pour s’assurer de la discipline populaire plus à l’Ouest de l’Ukraine... L’histoire nous enseigne que les mauvaises habitudes se prennent vite et se quittent difficilement.

A ma connaissance ni VVP ni le Ministre des affaires étrangères de Russie ne sont venus parler sur les places de Crimée, de Donetsk ou de Kharkov.... Dans une longue tradition de savoir faire diplomatique, dont témoigne l’épisode de septembre  2013 en Syrie, il semble que pour eux la diplomatie n’est pas une activité de foire et de places publiques. Le style est différent mais 93 % de la population de Crimée semble être sensible à cette différence diplomatique comme aussi 83 % de la population russe, ce qui fait monter la popularité du président russe à ses sommets. Plus sûrement aussi au-delà de l’esthétique des postures diplomatiques, nous devons tenir compte du réel : pour les retraités ukrainiens, voir leur pension s’ajuster immédiatement sur les pensions des Russes... fait plus rêver et vivre que la cure d’austérité promise par le gouvernement de Maïdan dont le soucis s’affirme déjà plus du côté de la préservation de l’intérêt des créanciers. 

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