La présidente du syndicat de la magistrature mise en examen : ce que le "mur des cons" révélé par Atlantico pourrait finalement changer au sein de la magistrature française <!-- --> | Atlantico.fr
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Le "Mur des cons" du Syndicat de la magistrature.
Le "Mur des cons" du Syndicat de la magistrature.
©DR

Déverrouillage ?

La mise en examen le 17 février de Mme Françoise Martres pour "injure publique" pourrait marquer le début d'une remise en cause bien nécessaire de la politisation des magistrats français.

Olivier Pluen

Olivier Pluen

Olivier Pluen est Maître de conférences en droit public à l'UAG (Université des Antilles et de la Guyane). Prix de l'Ordre des avocats aux Conseils. Il est l’auteur de L’inamovibilité des magistrats : un modèle ?

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Atlantico : La présidente du Syndicat de la magistrature a été mise en examen le 17 février dernier pour injure publique suite à la révélation de l'affaire du "Mur des cons" par Atlantico.fr. Quelle est la solidité des accusations portées actuellement ? Quels sont les dénouements possibles ?

Olivier Pluen : Cette mise en examen et ses conséquences méritent d’être appréhendées avec précaution. Il existe des faits, à savoir l’existence, au sein d’un local théoriquement à usage privé d’une organisation syndicale, d’un panneau sur lequel étaient affichées, sous cette appellation « fleurie », des photos de diverses personnalités. Il existe des interrogations, comme par exemple le lien exact qu’il convient d’établir entre cet affichage et la présidente du SM envisagée en cette qualité. En l’occurrence, la mise en examen semble avoir été prononcée « en sa qualité présumée d’éditrice ». Il existe enfin plusieurs éventualités, à l’appréciation du juge, telle une qualification d’« injure publique », qui est un délit, ou une requalification en « injure non publique », qui est une contravention, voire un non lieu.

Quelles réflexions cette affaire permet de mener sur la déontologie de la magistrature en France ? Se dirige-t-on finalement vers une évolution ?

La déontologie est une quête permanente pour celui qui en relève, et ce d’autant plus pour le titulaire d’une fonction juridictionnelle dont il est attendu qu’il participe à cette mission – centrale dans toute société – consistant à rendre une justice impartiale. C’est ainsi que la présentation du Recueil des obligations déontologiques des magistrats judiciaires, adopté en 2010 par le CSM, s’achève sur ces termes très forts : « La justice est rendue au nom du peuple français. Le magistrat se doit de prêter attention à ceux qu’il juge, comme à ceux qui l’entourent, sans jamais attenter à la dignité de quiconque, en préservant l’image de l’institution judiciaire et en respectant le devoir de réserve ».
Mais toute la difficulté tient au fait qu’il convient de concilier les obligations qui pèsent sur le magistrat en cette qualité, avec les droits dont il bénéficie en tant qu’individu (droit au respect de la vie privée), en tant que citoyen (droit d’avoir des opinions politiques), ou encore en tant que travailleur (liberté syndicale).

C’est ce qu’a justement cherché à faire le CSM au travers du Recueil précité. Celui-ci rappelle en un sens que le magistrat bénéficie des droits reconnus à tout citoyen d’adhérer à un parti politique ou à un syndicat professionnel. Dans l’autre, il souligne que le même magistrat reste soumis à une stricte obligation de probité et de délicatesse dans sa vie privée. Les règles déontologiques existent donc et ne sont d’ailleurs pas nouvelles, puisque les fameuses « mercuriales » de l’Ancien Régime constituaient autant d’occasions de les rappeler à la magistrature.

Toutefois, un grand fossé sépare parfois l’énoncé des règles de la prise de conscience individuelle. Ceci n’est pas propre à la magistrature judiciaire et il serait intéressant de faire un sondage sur le nombre de citoyens français capables de citer à la fois le préambule et les principes énoncés dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. La question est dès lors de savoir comment permettre le passage à cette conscience individuelle. Doit-elle résulter de la vocation appréciée au moment du recrutement des magistrats ? Doit-elle plutôt résulter de la formation initiale et continue ? Doit-elle encore passer par le mécanisme de la sanction ?

Le CSM et le Conseil d’Etat ont dégagé de nombreuses règles déontologiques à l’occasion de leurs décisions. Mais la discipline ne saurait constituer la porte d’entrée de la déontologie. De même, le CSM peut être saisi de toute question déontologique formulée par le ministre de la justice, depuis 2008. Mais l’affaire du « mur des cons » a démontré les limites d’une telle compétence puisque, à cette occasion, le CSM a indiqué ne pouvoir connaître que de questions d’ordre général et ne pouvoir se placer dans une situation le conduisant à préjuger d’une affaire susceptible d’avoir des implications disciplinaires. Dès lors, une troisième voie, complémentaire des deux autres, consisterait à mettre en place, sur l’exemple de la juridiction administrative, un « conseil de déontologie » chargé de formuler des avis vis-à-vis de situations concrètes, à la demande des magistrats et de l’Autorité judiciaire.

La responsabilité disciplinaire des magistrats judiciaire en France est-elle aujourd'hui adaptée au regard des exigences démocratiques ?

Lorsqu’il est question des magistrats de carrière de l’ordre judiciaire, cela recouvre aujourd’hui deux réalités différentes en France : les magistrats du siège qui relèvent de la loi et de leur propre conscience, et qui sont inamovibles ; et les magistrats du parquet qui relèvent de l’autorité hiérarchique du garde des Sceaux, et qui sont amovibles. Ils possèdent néanmoins un point commun puisqu’ils appartiennent à un même corps et que tout magistrat a vocation à exercer à la fois des fonctions du siège et du parquet au cours de sa carrière.

La responsabilité disciplinaire des magistrats du parquet ne pose théoriquement pas de difficulté au regard de l’exigence démocratique, puisqu’ils peuvent être sanctionnés par l’autorité de nomination – en l’occurrence le Président de la République – sur simple avis d’une formation du CSM. Or le chef de l’Etat est élu au suffrage universel direct depuis 1962. De même, le Garde des Sceaux exerce son autorité sur les membres du ministère public et intervient dans la procédure disciplinaire à leur égard. Or, le ministre de la justice siège dans un Gouvernement, responsable de la politique pénale de la Nation devant le Parlement et le Président.

Il en va, au premier abord, différemment des magistrats du siège. En effet, bien que nommés, comme les magistrats du parquet par le Président de la République, ils peuvent uniquement être sanctionnés par une formation du CSM ayant le caractère d’une juridiction. Faut-il pour autant voir dans cette conséquence de l’inamovibilité une atteinte aux exigences démocratiques ? Rien n’est moins sûr puisque les justiciables appellent justement de leurs vœux une justice composée de personnes pleinement capables de trancher les litiges de manière indépendante et impartiale. En attestent historiquement l’échec du système de l’élection des juges sous la Révolution, l’absence d’implantation d’un système de révocation populaire inspiré de certains Etats fédérés Etats-Uniens, ou tout simplement le rejet qu’inspire l’immixtion supputée d’un Président de la République ou d’un garde des Sceaux pourtant susceptibles de se prévaloir respectivement d’une légitimité populaire directe et indirecte.

Certes, il pourrait être envisagé un mécanisme de responsabilité alliant mise en cause par le Parlement et destitution par une cour constitutionnelle, comme c’est le cas en Allemagne pour les manquements graves aux principes de la Constitution. Mais, de l’aveu même des intéressés, elle revêt une dimension essentiellement préventive et symbolique, comme la révocation par le Parlement britannique ou la destitution dans le cadre de l’Impeachment Etats-unien.

Quelles mesures conviendrait-il de prendre pour réduire le risque de politisation des magistrats judiciaires ?

Les mesures susceptibles d’être envisagées sont multiples, sachant toutefois que certaines sont déjà prévues. La plus emblématique résulte de l’article 10 du Statut de la magistrature, suivant lequel : « Toute manifestation d’hostilité au principe ou à la forme du gouvernement de la République est interdite aux magistrats, de même que toute démonstration de nature politique incompatible avec la réserve que leur imposent leur fonction ». De même, et sans que cela soit propre à la magistrature judiciaire, la licéité d’un syndicat professionnel repose, comme son nom l’indique, sur la défense d’intérêts professionnels, à l’exclusion des intérêts politiques. Le Recueil des obligations déontologiques des magistrats vient encore rappeler les limites éthiques qu’impose nécessairement la qualité de magistrat à tout engagement politique.

Pour autant, des mesures supplémentaires mériteraient d’être explorées, comme par exemple un renforcement des incompatibilités entre la magistrature judiciaire et un mandat politique européen, national ou local. En 2010, l’Assemblée nationale avait ainsi adopté – avant qu’il ne soit supprimé – un amendement qui imposait à tout fonctionnaire ou magistrat de choisir, au terme de deux mandats consécutifs de parlementaire, entre la fonction publique et le Parlement. Bien qu’il n’ait pas réintégré son corps d’origine, Jean Tibéri, magistrat judiciaire de profession, a en effet été député de 1968 à 2002. De même, magistrat de la Cour des comptes de profession, François Hollande pourrait tout à fait réintégrer son corps d’origine en cas de non réélection à la présidence de la République en 2017.

Il est en toute hypothèse une certitude : le recrutement de principe par concours, autour de vingt-cinq ans, ne garantit aucunement l’absence de politisation initiale du jeune magistrat, non plus que l’absence de politisation de celui-ci au cours de la carrière. Au final, et comme cela est souvent dit pour l’indépendance, la politisation ou l’absence de politisation est d’abord une question de personne et d’esprit. Mais à la réflexion, il est tout aussi juste de dire qu’elle est fonction de la capacité du corps judiciaire tout entier à rappeler, sans cesse à ses membres, que le service de la justice doit d’abord poursuivre cet idéal qui consiste à garantir aux justiciables que leurs litiges soient réglés de manière impartiale en vertu de considérations juridiques et non politiques.

Le projet de réforme constitutionnelle du Conseil supérieur de la magistrature déposé par le Gouvernement au mois de mars 2013 peut-il faire avancer la situation ?

C’est l’espoir que tout lecteur de ce texte devrait pouvoir nourrir à la connaissance de ces mots de l’exposé des motifs : « la nomination des magistrats, qu’ils appartiennent au siège ou au parquet, et les conditions dans lesquelles ils exercent leurs fonctions doivent être entourées des garanties les plus fortes, de manière à assurer à nos concitoyens un service public de la justice à l’impartialité insoupçonnable, inspirant à chacun la conviction que les décisions prises ne le sont que dans l’intérêt de la loi et des justiciables ».
De fait, le projet de loi constitutionnelle suggère plusieurs évolutions positives. La première d’entre-elles est sans conteste la disposition qui vise à faire bénéficier les magistrats du parquet des mêmes garanties que la grande majorité des magistrats du siège en matière de nomination et que l’ensemble de ceux-ci sur le plan disciplinaire. Sachant que – encore une fois – les magistrats judiciaires ont vocation à exercer à la fois des fonctions du siège et du parquet au cours de leur carrière, une telle modification ne serait pas neutre pour l’indépendance du siège. De même, le projet propose de rétablir une majorité de magistrats au sein du CSM alors que, sauf exception, ceux-ci étaient devenus minoritaires à l’occasion de la dernière réforme de l’institution survenue en 2008. En cela, ce texte permettrait à la France de répondre de nouveau aux recommandations formulées par les instances consultatives du Conseil de l’Europe. Autre évolution positive, le CSM cesserait d’« assister » un président de la République érigé en garant de l’indépendance de l’Autorité judiciaire, pour désormais « concourir » avec lui à cette indépendance. Enfin, le CSM pourrait à l’avenir se saisir d’office de toute question portant sur la déontologie des magistrats et l’indépendance de la justice.

Si cette réforme constitutionnelle devait être adoptée – avec l’aide de l’opposition parlementaire qui dénonce aujourd’hui les atteintes portées à l’indépendance de la justice par la majorité présidentielle et gouvernementale – la France se verrait dorénavant dotée d’un CSM plus proche des conseils de justice des autres Etats européens, que ce n’est le cas aujourd’hui. Ceci est d’autant plus paradoxal que la France a été le premier pays à se doter d’un CSM en 1883, sous la IIIème République, avant d’inspirer ses voisins, puis de se faire doubler par eux sur le terrain de l’indépendance de la justice vis-à-vis du pouvoir politique…

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