Salaires et retraites : qui a vraiment gagné, qui a perdu depuis 10 ans<!-- --> | Atlantico.fr
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Seuls 41 % des Français sont partis en vacances l'an dernier.
Seuls 41 % des Français sont partis en vacances l'an dernier.
©Reuters

Qui perd le moins ?

Les Français partent de moins en moins en vacances, faute de revenus suffisants. Et ce n'est pas une coïncidence si dans le même temps les pensions sont gelées pour six mois, et si le gouvernement réfléchit également à geler l'avancement des fonctionnaires.

Atlantico : Deux millions et demi de Français ont renoncé à s'offrir des vacances ou des courts séjours payants l'an dernier et seuls 41 % des Français sont partis, selon une étude publiée ce mardi par Protourisme. Est-ce le symptôme d'une évolution insuffisante des salaires au regard du coût de la vie ? Toutes les catégories professionnelles sont-elles également concernées ?

Philippe Crevel : La France a toujours été coupée en deux pour les vacances. Néanmoins, l’étude de Promotourisme souligne que le nombre de Français déclarant s’offrir des vacances diminue. Jusqu’en 2004, une augmentation était enregistrée. Si la crise peut expliquer le retournement, elle n’est pas la seule en cause. Il faut prendre en compte la multiplication des visites dans la famille qui sont mal ou peu comptabilisées et les allers-retours dans les résidences secondaires pour ceux qui ont la chance d’en posséder une. Par ailleurs, il y a des changements de comportements dans les modes de consommation des ménages. Les Français ont multiplié les postes de dépenses dans le domaine des loisirs. Les activités culturelles, le jardinage, le bricolage ont pris un essor ces dix dernières années obligeant les Français à effectuer des arbitrages. Mais, sans conteste, les incertitudes économiques et sociales conduisent les Français à renoncer à partir en vacances. Ce sont les catégories sociales les plus modestes qui sont les premières concernées. Les parents isolés ayant des enfants à charge sont également particulièrement impactés.

Vincent Touzé : On peut considérer que la crise constitue un frein à la progression des revenus des ménages, qu’elle ralentit la hausse des salaires dans les entreprises, et qu’elle entraîne un gel depuis quelques années dans la fonction publique. Ce sont des éléments objectifs qui limitent la hausse des revenus. Car selon un vieux principe d’économie, plus le taux de chômage est élevé, plus il est compliqué de négocier des hausses de salaire. Les indépendants ont vu leurs revenus se réduire à cause de la crise, et donc de leur baisse d’activité. En revanche les revenus salariaux, eux, sont fixés à l'avance.

Un projet de gel de l'avancement des fonctionnaires, a été mis sur la table du gouvernement en février. Les salaires de cette catégorie professionnelle ont-ils tout de même connu une évolution satisfaisante depuis dix ans ? L’État a-t-il pallié "l'effet crise" ?

Philippe Crevel : Un agent de la fonction publique d’Etat perçoit un salaire net moyen de 2 434 euros par mois contre 2 130 euros pour un salarié d’une entreprise privée ou publique. Pour les titulaires de la fonction publique d’Etat, le salaire net moyen a baissé de 0,2 % en euros constant en 2011 par rapport à 2010. Ce phénomène est lié à la faible revalorisation du point de l’indice, + 0,6 point en 2012. En revanche, en 2009, la rémunération moyenne des fonctionnaires d’Etat, toujours en euros constants, avait augmenté de 0,9 %. Depuis 2006, la hausse annuelle moyenne est de 2,1 %. Si l’indice est mal revalorisé, il faut prendre en compte, dans la fonction publique, le « Glissement Vieillesse technicité » et les primes qui permettent aux rémunérations, de continuer  à augmenter. Sur dix ans, l’évolution du traitement dans la fonction publique est contrasté. L’Etat a pesé sur l’indice pour réduire le coût de la fonction publique ; en revanche, il a dû, dans le cadre des négociations avec les partenaires, accepter des mesures compensatrices dont l’évaluation est délicate. La requalification de certaines fonctions, l’octroi de primes, des majorations de points ont compensé la rigueur apparente.

Vincent Touzé : Depuis 2007-2008, on observe un quasi-gel au sein de la fonction publique. Il faut ici rappeler que dans l’évolution des salaires de la fonction publique, il y a l’avancement à l’ancienneté, qui dépend d’une grille elle-même indexée sur l’inflation. Et comme je le disais, le pouvoir d’achat de la grille n’évolue pas.    

Qu'en est-il des salaires du privé ? Comment ont-ils progressé sur cette période, et ont-ils été plus affectés que ceux du secteur public ? Y a-t-il eu différence de traitement entre les catégories qui le composent et entre les secteurs d'activité ? Les cadres ont-ils été épargnés ?

Philippe Crevel : Après la crise, les salaires dans le privé ont continué d’augmenter de 0,5 % en 2010 en euros constants et de 0,2 % en 2011. En 2012, l’augmentation a été de 0,4 %. En 2013, du fait de la désinflation, les salaires ont dû augmenter de plus d’un point. En revanche, le pouvoir d’achat des ménages a diminué en raison des augmentations des prélèvements depuis le début de la crise, la baisse avait atteint 0,9 % en 2012. Pour l’année dernière, en raison de la faible inflation, une hausse est attendue.

Vincent Touzé : En ce qui concerne le secteur privé, c’est très disparate. Certains travailleurs sont moins exposés à la précarité de l’emploi, quand d’autres comme les moins qualifiés peuvent subir de plein fouet la crise. Et même s’ils retrouvent du travail après licenciement, ils peuvent rarement espérer une aussi bonne rémunération. Si on regarde les chiffres de l’Insee, on s’aperçoit que les CSP les plus touchées, ce sont les employés (- 2.5 % en quatre ans) et les ouvriers (-0.6 %).

Les cadres supérieurs en revanche voient leurs revenus continuer d’augmenter en moyenne sur quatre ans (3.5 %).

Qu'en est-il des revenus des indépendants ? Et des entrepreneurs ?

Philippe Crevel : Depuis le début de la crise en 2008/2009, ce sont les chefs d’entreprise qui ont subi la plus forte contraction de leurs revenus. Ainsi, en euros courants, leur rémunération est passée de 77 500 euros en 2007 à 66 000 euros en 2010.Pour les indépendants, la chute avait été sévère en 2008 et 2009. Depuis, une progression est enregistrée leur permettant de retrouver leur niveau de rémunération de 2007.

Vincent Touzé : Les indépendants, sur les dernières années, ont vu leurs revenus baisser malgré de légères fluctuations. Ces revenus n’étant pas fixés à l’avance, ils sont dépendants de l’activité. Même si les activités sont très variées, ces travailleurs se retrouvent pour la plupart dans la même situation délicate.

Les entrepreneurs recouvrent différentes situations, selon qu’on parle de grandes ou de petites entreprises ; d’un petit agriculteur ou d’un gros exploitant agricole. Et les entreprises n’ont pas forcément licencié massivement, elles ont simplement réduit leurs marges. Pour un entrepreneur, cela revient à réduire son revenu, puisqu’il doit bien continuer de payer ses salariés.

Au final, quels sont les actifs Français dont on peut supposer qu'ils ont le plus souffert d'une baisse de revenus ? Des profils types se dégagent-ils ?

Philippe Crevel : Les chefs d’entreprise et les cadres supérieurs sont depuis six ans confrontés à une baisse ou à une stagnation de leurs revenus. Néanmoins, la crise impacte fortement les salariés modestes en temps partiel, en intérim ou en contrat à durée déterminée. Il faut souligner que les salaires français sont faibles à l’échelle européenne. Ainsi, le salaire annuel moyen brut était, en France, de 34 850 euros, en 2011, contre 56 500 euros au Danemark, 47 000 euros en Irlande, 46 000 euros aux Pays-Bas ou 42 000 en Allemagne. Se situe derrière nous l’Espagne, avec 27 600 euros.

Vincent Touzé : Les employés ont beaucoup souffert, et les ouvriers se trouvent dans une situation intermédiaire. Les indépendants, eux, sont assez disparates, mais on se doute que les faillites personnelles sont fatales, car ils passent sans transition d’un revenu, à rien du tout. Les salariés précaires ont tout de même des revenus compensatoires s’ils perdent leur emploi, ce que n’a pas l’artisan. S’ils se retrouvent au chômage, cela baisse leur salaire, s’ils obtiennent un nouvel emploi, celui-ci est moins bien rémunéré, ce qui baisse leur pouvoir d’achat ; s’ils sont au chômage, leurs revenus baissent forcément, et s’ils se retrouvent au chômage de longue durée, ils touchent les minima sociaux… Un travailleur précaire peut aussi enchaîner contrat sur contrat. Sans compter que rien n’oblige le privé à indexer ses salaires sur l’inflation.

Les pensions de base des 15 millions de retraités ne seront pas revalorisées le 1er avril comme cela aurait dû se faire normalement, mais le 1er octobre, soit un gel  de six mois. Dans le même temps les retraites complémentaires Arrco et Agirc versées aux retraités du privé vont, elles aussi, stagner cette année. Est-ce un coup dur pour le pouvoir d'achat des seniors ?

Philippe Crevel : Du fait de l’application de la loi 2013 sur les retraites, là l’exception des minimas sociaux (minimum vieillesse), la revalorisation des pensions interviendra au 1er octobre au lieu du 1er avril, permettant aux régimes de base de réaliser une économie de 600 à 800 millions d’euros. Ce dispositif ne s’applique pas à la fonction publique, qui est régie par d’autres règles. Il n’y a pas de régime des retraites des fonctionnaires, leurs pensions sont calculées en fonction des traitements des six derniers mois et directement versés à partir du budget de l’Etat. Si le montant moyen de la retraite, tous régimes confondus, est, en France, de 1 256 euros, il atteint 1 937 euros pour les fonctionnaires de l’Etat et 2 366 euros pour les salariés de l’industrie énergétique (EDF, ERF…).

Les partenaires sociaux ont signé le 13 mars 2013 un accord national interprofessionnel qui fixe les règles d’indexation des pensions jusqu’en 2015. En vertu de cet accord, le point Agirc des retraites qui concerne les cadres  a été en 2013 revalorisé de 0,5 %, soit moins que le taux d’inflation, qui a été de 0,74 %. Pour les non-cadres, le taux de revalorisation a été de 0,8 %, soit tout juste le taux d’inflation. Pour 2014 et 2015, les partenaires ont prévu que la revalorisation serait égale au taux d’inflation – 1 point. Comme l’inflation est de 0,7 % à l’heure actuelle, les pensions pourraient diminuer ; or une clause fixe un taux planché à 0 %. Cette mesure devrait permettre la réalisation de 2 milliards d’euros d’économies d’ici 2015. La perte de pouvoir d'achat est évaluée sur la période 2013-2015 à 400 euros par an  pour un cadre ayant une pension de 2 600 euros et à 250 euros par an pour un salarié non cadre ayant une retraite de 1 300 euros par mois. Par ailleurs, l’accord du 13 mars 2013 s’accompagne d’une augmentation des cotisations.  Par définition, les retraités issus de la fonction publique ou  couverts par  un régime spécial (transports, énergie…) ne sont pas concernés par ce gel. En revanche, ils peuvent l’être par celui du point d’indice de la fonction publique. 

Vincent Touzé : On annonce une désindexation de six mois pour les retraites, ce qui revient à ne les augmenter que de 0.35 % au lieu de 0.7 %, soit la moitié de l’inflation de 2013. On peut dire que les retraités s’en sortent bien, de la même manière que les cadres supérieurs.

Entre la période précédant la crise de 2008-2009 et celle qui a suivi, quelle a été la progression des pensions versées aux salariés du privé et du public ? Quelles différences relève-t-on, et l'évolution est-elle comparable à celle des salaires ?

Philippe Crevel : Depuis la crise, le pouvoir d’achat des retraités, fonctionnaires ou pas, est mis à mal par le relèvement des prélèvements et par une indexation de plus en plus faible.

Depuis 2006, les retraites des fonctionnaires ont augmenté de 0,6 % par an en euros constants, soit moins que les pensions du régime de base, qui ont progressé en moyenne de 3,1 %. Cette moindre revalorisation des retraites des fonctionnaires est imputable à celle du point d’indice des traitements de la fonction publique.

Les retraités du secteur privé sont surtout pénalisés par la baisse du rendement des complémentaires. Depuis 2006, la perte de pouvoir d’achat des pensions Agirc versées aux cadres a été de 9,2 % en moyenne annuelle.

Vincent Touzé : Entre 2002 et 2007 les pensions ont augmenté de 4 %, ainsi que 2,4 % entre 2007 et 2011. A part les cadres supérieurs, qui ont fait mieux en pouvoir d’achat que les retraités, les autres salariés ont baissé. Les retraités vous diront que l’avantage de la retraite, c’est que leurs revenus augmentent en fonction de l’inflation, ce qui n’est pas le cas des salariés. Un salarié qui ne peut plus espérer être augmenté à l’ancienneté ou promu perdra forcément du pouvoir d’achat… On peut donc dire que les retraités sont mieux payés que les salariés. Ne pas indexer le salaire des fonctionnaires, cela revient implicitement à le taxer pour financer le fonctionnement de l’Etat ou assurer le financement des pensions de la fonction publique.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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