Quelles conséquences la concentration des opérateurs mobiles étrangers a-t-elle eu pour leurs clients ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Bouygues Telecom veut céder son réseau mobile à Free, sous réserve d'un accord de fusion avec SFR.
Bouygues Telecom veut céder son réseau mobile à Free, sous réserve d'un accord de fusion avec SFR.
©Reuters

Réseaux étrangers

Bouygues Telecom veut céder son réseau mobile à Free, sous réserve d'un accord de fusion avec SFR. Une situation exceptionnelle en France, alors que d'autres pays ont passé cette étape depuis longtemps.

Laurent Benzoni

Laurent Benzoni

Laurent Benzoni est un économiste français, spécialiste de d’économie industrielle, de la concurrence et d’économie numérique. Il est professeur d’Economie à l’Université Panthéon-Assas (Paris ) et associé fondateur de Tera Consultants, un cabinet de conseil en économie.

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Atlantico : En Allemagne, depuis la fusion annoncée des opérateurs E-Plus (KPN) et O2 (filiale de l’espagnol Telefonica en Allemagne), respectivement numéro 3 et numéro 4 du marché du mobile outre-Rhin. La nouvelle entité permettra de consolider un marché allemand partagé entre quatre gros acteurs, menés par les poids lourds Deutsche Telekom et Vodafone. Quel impact aurait cette fusion allemande sur le reste du marché européen ?

Laurent Benzoni : Aujourd’hui, la commission européenne regarde de très près le dossier parce que l'Allemagne passe de quatre acteurs historiques à trois. La dynamique du marché allemand est très particulière. Ils avaient distribué six licences de troisième génération, dont une à France Telecom, une à Telefonica, et deux autres avaient payé, mais n’avaient pas déployé de réseaux, et ont rendu leur licences après avoir payé plusieurs milliards pour l’obtenir. L’Allemagne s’est donc retrouvée avec ses quatre opérateurs historiques. La troisième génération ne s’est traduit quant à elle par aucune entrée. Actuellement deux opérateurs historiques cherchent à fusionner sans qu’il y ait menace d’entrée d’un troisième.La commission européenne regarde de très près le dossier parce qu’on passe de quatre acteurs historiques à trois. C’est un cas nouveau et l’Allemagne n’est pas.

La Grande Bretagne est passée de cinq à quatre opérateurs, l’Autriche est passée de cinq à quatre et de quatre à trois, le Danemark également. On observe qu’un marché à quatre dans les configurations des marchés européens, c’est un marché difficilement soutenable à long terme. A cause des coûts fixes d’un opérateur de réseau : dans les réseaux mobiles il y a un renouvellement constant des générations techniques, c'est-à-dire la 3G. Les réseaux ont à peine terminé d’être finalisé en déploiement pour des durées de 15 à 20 ans, qu’on introduit déjà la 4G. Et ce n’est pas fini, la Grande Bretagne et l’Allemagne annonce déjà le développement de la cinquième génération. Quand on tient les prix à quatre trop bas, on n’arrive pas à les rembourser : les opérateurs perdent en rentabilité et en cache lots, servant principalement à réinvestir.

Le Portugal pourrait fournir un cas d’école intéressant dans l'hypothèse où Vivendi choisirait Numericable pour racheter SFR. En janvier 2013, Lisbonne a autorisé la fusion de l’opérateur mobile Optimus avec le câblo-opérateur Zon. La nouvelle entité est ainsi devenue le deuxième opérateur télécoms du pays derrière Portugal Telecom. Un an après quels sont les impacts positifs et négatifs sur les clients ?

Il n’y a pas eu de modifications substantielles du niveau des prix, ni à la hausse ni à la baisse, en l’occurrence parce que les actifs étaient complémentaires.

De plus petits marchés, comme l'Autriche et l'Irlande, ont déjà mis en place leur consolidation et sont passés de quatre à trois opérateurs. Comment les prix ont-ils évolué pour les clients de ces pays ?

L’Autriche est un cas intéressant. La guerre des prix avaient été terrible en Autriche, raison pour laquelle Orange est sorti du pays, faute d’espoir de rentabilisation des investissements réalisés, ils ont donc vendu à l’opérateur chinois 3 (créateur d’Orange revendu à France Telecom). En ce qui concerne les augmentations de prix, il ne faut pas confondre l’Arpu (revenu par utilisateur) et le prix (ce qu’on paye à la minute). L’Arpu c’est le chiffre d’affaires de l’opérateur divisé par le nombre d’abonnés : c’est ce qu’on facture en moyenne à l’abonné, il peut donc augmenter alors même que les prix baissent. Donc le suivi des prix est très complexe. Exemple avec Free : vous avez tout un ensemble de menus pour l’Internet haut débit. Le menu le plus haut de gamme coûte 36 euros, vous avez pour 1,90 euros de plus la télévision alors qu’avant c’était gratuit, pour 5 euros le mobile, et la freebox. Il y a du plus, donc cela justifie des prix plus élevés et donc une facture plus élevée. Bref, on ne sait pas vraiment si c’est moins cher…


La position de Bruxelles en la matière est paradoxale : d’un côté, l’exécutif européen souhaite une diminution du nombre d’acteurs et l’émergence de groupes télécoms transnationaux ; de l’autre, la Commission n’est pas prête à accepter facilement les fusions-acquisitions dans ce secteur au nom de la concurrence. Peut-on imaginer une européanisation de la téléphonie mobile ?

La commission européenne rêve depuis 30 ans de pouvoir attribuer elles mêmes des licences hertziennes. Et depuis 30 ans les Etats lui répondent que les fréquences c’est leur domaine public, leurs recettes, leurs moyens, etc. L’Europe essaie donc de revenir par la création d’un grand marché intérieur, c’est le roaming. Quand vous allez à l’étranger avec un mobile français, vous payez un tarif particulier parce que vous êtes accueilli par un opérateur qui n’est pas le vôtre sur son réseau. C’est cher parce que l’opérateur étranger fait payer cher votre opérateur national. La commission européenne dit que faire payer l’usage de ces réseaux à un tiers européen est non justifié, donc elle veut que les tarifs pratiqués par un opérateur pour une utilisation de son réseau soit les mêmes qu’il pratique pour ses clients. Elle veut créer un grand marché des européens abonnés qui bougent dans l’espace européen sans surtaxes.

Un autre effet pervers d'une concentration entre opérateurs est la suppression d'emploi. C'est la face cachée du modèle américain qui, en 10 ans et après de multiples concentrations, a détruit 500 000 emplois dans le secteur. La France peut-elle éviter cette situation ?

Tout dépend des engagements que vont prendre les opérateurs. Aux États-Unis, il n’y a pas d’engagements sur le maintien de l’emploi, ce n’est pas au centre des débats de la concurrence, ce n’est pas le même contexte. En France on a une sensibilité beaucoup plus forte vis-à-vis de l’emploi. Les américains ne tournent à 10% de chômage structurel, ils sont à 5%. Il faut savoir que c’est un critère systématiquement indiqué dans les attributions de licences pour les opérateurs mobiles. Ce qui fait qu’en France, nous n’avons pas d’attribution de licence mobile aux enchères. Les opérateurs doivent respecter les critères de la couverture, de l’aménagement du territoire, de l’emploi de l’investissement, des prix, de la qualité du service.

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