Comment les dérives autour des régimes anti-gras nous ont rendu gros et malades <!-- --> | Atlantico.fr
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Kris Gunnars, un spécialiste anglo-saxon de la nutrition, a procédé à une étude qui soulignerait d'après lui les méfaits des régimes prônés aujourd'hui.
Kris Gunnars, un spécialiste anglo-saxon de la nutrition, a procédé à une étude qui soulignerait d'après lui les méfaits des régimes prônés aujourd'hui.
©Reuters

Obèses

Les régimes, principales causes de nos rondeurs et de nos problèmes cardiaques ? Pas si improbable d'après certains nutritionnistes anglo-saxons.

Patrick Tounian

Patrick Tounian

Patrick Tounian est professeur de pédiatrie, chef du service de nutrition et gastroentérologie pédiatrique de l'hôpital Trousseau à Paris.

Il dirige le diplôme universitaire " Nutrition et Obésité de l'enfant et de l'adolescent " à Sorbonne Université et intervient comme expert reconnu en nutrition pédiatrique dans de nombreuses conférences.

Ancien secrétaire général de la Société française de pédiatrie et président de la Société francophone de gastroentérologie et nutrition pédiatriques, il est actuellement président de l’Association des pédiatres de langue française. Il est l’auteur de nombreux livres et publications scientifiques sur la nutrition et l'obésité de l'enfant et de l'adolescent.

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Atlantico : Kris Gunnars, un spécialiste anglo-saxon de la nutrition, a procédé à une étude qui soulignerait d'après lui les méfaits des régimes prônés aujourd'hui. Quels sont-ils, d'après vous ?

Patrick Tounian : Le principe du régime, et ce qu'on parle de régime restrictif ou de théorie comportementale, les deux grandes écoles de pensées du régime, c'est de manger moins que sa faim ne l'exige. C'est ce déséquilibre qui est dangereux, car un régime déséquilibré peut effectivement provoquer des méfaits en aboutissant à des carences. Et le problème des carences, c'est qu'elles ne se voient pas, ou mal. Les syndromes ne deviennent visible que des mois, voire des années plus tard. Ne mangez plus de calcium : vous souffrirez d'une carence en calcium, mais il faudra tout un temps avant que cela ne fragilise suffisamment vos os pour que vous connaissiez une susceptibilité accrue aux fractures.

L'enfant qui souffre de carences sera plus exposé aux infections, à la fatigue, à l'anémie. C'est également source de trouble du développement, de troubles cognitifs, de moins bons résultats à l'école… Tandis que chez l'adulte on constatera d'avantages des troubles du comportement.

Des carences sur quelques semaines ou sur quelques mois n'ont pas de conséquences. Maintenues sur des années, elles peuvent représenter un danger, comme une fragilisation du système immunitaire qui rendrait plus sensible aux maladies. Néanmoins, pour en arriver à un tel résultat, il faut faire face à un régime prolongé et qui est assez déséquilibré pour provoquer une dénutrition qualitative.

Kris Gunnars fait également une corrélation surprenante : en 1977, on assiste aux États-Unis à l'arrivée du premier guide régime. L'obésité apparaît d'après lui à la même période. Les régimes rendent-ils vraiment obèse ? Pourquoi ? Comment expliquer qu'une pratique sensée amincir provoque un impact négatif ?

Dire d'un régime qu'il fait grossir c'est tout simplement stupide. Le régime, par définition, fait maigrir. L'idée du régime qui rend obèse est une idée couramment développée dans certains de courants de pensées, chez certains nutritionnistes. Dans certains cas, effectivement, le régime provoque des troubles du comportement alimentaire, voir une certaine forme d'asociabilité, cependant ça reste très marginal.

Il existe, comme je le disais, deux grandes écoles de pensées en termes de régime. Au final, si elles prônent deux méthodes différentes, le résultat est le même. La première, le régime restrictif, consiste à se restreindre dès lors qu'on est à table pour ne pas manger trop. La seconde, qu'on appelle théorie comportementale, cherche quant à elle à détecter une sensation de satiété partielle. Puisque le corps humain est fait de telle façon qu'il ne passe de la faim la plus totale au rassasiement le plus complet en quelques secondes, on cherche un juste milieu à partir duquel on arrêtera de manger. Et finalement, quel que soit le régime qu'on applique, on mange moins que de raison, et souvent de façon déséquilibrée.

Tenter de faire manger des légumes matin, midi et soir à quelqu'un qui ne supporte pas ça ne fonctionnera pas. Et l'arrêt d'un régime, bien plus que le régime en lui-même qui ne fait pas grossir, peut provoquer une prise de poids. En fait, quand on arrête un régime on a même tendance à reprendre plus qu'avant de l'avoir commencé ; et ce particulièrement quand on faisait déjà attention à ce que l'on mangeait. Quelqu'un d'attentif et qui se restreint avant de se lancer dans un régime particulièrement dur ensuite aura tendance à reprendre le poids qu'il aurait du prendre avant.

Le concept de régime est-il pas mauvais en soi ? En quoi changer ses habitudes alimentaires du tout au tout peut-il représenter un danger ?

Il existe, au fond, autant de régimes que de nutritionnistes, et bien souvent quand on dit du régime du voisin qu'il est mauvais c'est d'avantage fondé sur une lutte de pensée et de pouvoir que sur des arguments raisonnés. En vérité, tous les régimes, pour peu qu'ils soient équilibrés, c'est là une condition sine qua non, se valent.

Quand quelqu'un se décide à faire un régime, ce n'est pas par hasard : il y a une raison derrière cette intention, qui motive la décision de se mettre au régime. Il s'agit parfois d'une raison d'ordre médical, de santé, et parfois tout simplement d'une question d'esthétique et de goût. Dans tous les cas, maigrir ne peut se faire qu'au travers du régime. Il n'est pas possible de s'amincir sans changer ses habitudes alimentaires. Je ne crois pas qu'il s'agisse d'un danger, sauf à changer radicalement. Il est évident que quelqu'un qui se met à ne manger que de la viande rouge et ne boire plus que du coca light prends des risques… Mais tant que le changement reste rationnel, ça n'est pas dangereux et c'est de toute façon indispensable.

Il faut voir le régime comme un médicament. Oui, ça peut avoir des effets indésirables, comme n'importe quel traitement. Non, il ne faut pas en avoir peur pour autant : comme la majorité des médicaments, le régime a bien plus d'effets bénéfiques que d'effets délétères.

Si tous ces soucis persistent, pourquoi continuons-nous à nous fier aux régimes ? N'y a-t-il aucun bon régime ? Quels conseils donneriez-vous à quelqu'un qui souhaite affiner sa silhouette ?

Maigrir est impensable sans pratiquer de régime, aussi le seul conseil que je puis donner est le suivant : mettez-vous au régime ! Il faut savoir qu'un régime alimentaire est d'autant plus efficace quand on reste proche de ses habitudes culinaires, culturelles et gustatives. Forcer quelqu'un à manger ce qu'il n'aime pas n'aura pas vraiment les effets attendus. Il ne faut pas avoir peur du mot régime. Pour maigrir, il faut changer sa façon de manger, et changer sa façon de manger ça s'appelle faire un régime. Il faut désacraliser ce mot qui fait peur. Certains parviendront à s'y mettre seuls, d'autres auront besoin d'être accompagnés pour ne pas tomber dans certaines dérives.

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