Papy boom : pourquoi la surreprésentation des plus de 65 ans aux primaires de gauche et de droite représente un vrai risque de confiscation de la démocratie<!-- --> | Atlantico.fr
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Aux dernières élections régionales de décembre 2015, parmi ceux qui sont allés voter, les différences de comportement en fonction de l’âge sont significatives.
Aux dernières élections régionales de décembre 2015, parmi ceux qui sont allés voter, les différences de comportement en fonction de l’âge sont significatives.
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Les primaires de la droite et de la gauche devraient compter une forte majorité de personnes âgées dans leurs électorats respectifs. Loin d'être anodin, ce constat pourrait bien avoir une incidence réel sur l'offre politique proposée par nos dirigeants.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Selon la dernière étude Ipsos-Cevipof (voir ici), les personnes âgées devraient être les plus représentées dans l'électorat des deux primaires, soit plus de 50% de l'électorat, aussi bien pour le PS que pour les Républicains, alors qu'il ne s'agit que de 33% du corps électoral. Faut-il craindre, dès lors, un verrouillage de l'offre politique par les plus de 65 ans par le biais des primaires, alors que celles-ci étaient annoncées comme une "victoire de la démocratie" ?

Jean Petaux : Aux dernières élections régionales de décembre 2015, une enquête IPSOS-SOPR-STERIA pour France Télévision a montré qu’au premier tour, un électeur sur deux s’est abstenu. Parmi ceux qui sont allés voter, les différences de comportement en fonction de l’âge sont significatives. La synthèse de l’enquête était ainsi présentée : "Alors que les personnes âgées de 60 ans et plus se sont fortement mobilisées, avec 67% de votants et 33% d'abstentionnistes, les jeunes électeurs, ont, eux, clairement boudé les urnes. Ainsi, 65% des 18-24 ans se sont abstenus. Dans la tranche d'âge suivante, les 25-34 ans, l'abstention est même un peu plus forte : 66%. Enfin, chez les 35-59 ans, elle est de 52%". A la dernière présidentielle (2012), le taux de participation a été beaucoup plus élevé puisqu’il a dépassé les 80% au second tour. Le record (toujours "invaincu") de participation à une présidentielle (l’élection préférée des Français avec les municipales) a été établi au second tour de 1974 : 87,3% ! Près de 9 Français sur 10 en âge de voter (la majorité électorale était encore à 21 ans) se sont déplacés alors pour choisir entre Giscard et Mitterrand.

Quelle que soit l’élection, les personnes âgées entre 60 et 80 ans sont les moins abstentionnistes. Au-delà, la participation chute désormais très fortement sans doute du fait d’une mobilité moindre. Elle rejoint les taux des moins "civiques" des électeurs : les jeunes de 18 à 25 ans. Les primaires, comme on le voit dans l’étude passionnante IPSOS-CEVIPOF, relèvent d’une même logique. Elle est même vraisemblablement accentuée tout simplement parce que le poids relatif des retraités dans le vote des primaires est plus important que celui des actifs et des jeunes moins "passionnés" et "intéressés" que leurs aînés.

D’aucuns considèrent les primaires comme une "victoire de la démocratie". C’est un jugement de valeur qui n’engage que leurs auteurs. Tout dépend ce que l’on entend par démocratie. On peut aussi considérer qu’il s’agit d’une démocratie en "trompe-l’œil" qui est une ruse des partis politiques pour ne pas perdre complètement leur influence et pallier ainsi la désaffection qui les frappe en terme d’adhésions. Il suffit de pointer tous les moments où les partis (en l’occurrence à droite LR et à gauche le PS ou EELV) interviennent dans l’organisation des primaires (parrainages, moyens financiers alloués aux candidats, choix, nombre et implantation des bureaux de vote, organisation matérielle du vote (correspondance, Internet, physique ?), tenue des listes électorales, etc. A chaque fois, les partis sont là et bien là !!! Et ils se chargent de verrouiller… On ne parle même pas ici de l’avantage comparatif que représente par exemple le fait de tenir l’appareil national et départemental d’un parti. Inutile d’épiloguer sur le cas Sarkozy demeuré le plus longtemps possible à la tête de LR… et pas seulement pour voyager en France aux frais du parti en tant que président.

Le fait que les plus de 60 ans représenteront plus de 50% de l’électorat des primaires n’est pas plus ou moins démocratique que s’ils votaient à proportion de leur poids démographique réel dans la société. En revanche, il est vrai que les plus de 60 ans votent plus à droite qu’à gauche. En 2012, au second tour de la présidentielle, Hollande a obtenu 51,6% des voix et Sarkozy 48,4% au résultat final de l’élection.  Dans toutes les tranches d’âge hormis celle des 60 ans et plus, Hollande était majoritaire. Dans cette catégorie (qui a été la plus "participative"), Sarkozy a obtenu 59% des voix et Hollande 41%. La différence avec le résultat général est considérable. C’est chez les 25-34 ans que le président élu a réalisé son plus gros score : 62% des voix.

On le voit clairement : plus on est âgé et plus on vote à droite. Ce qui tendrait à confirmer l’adage amusant du grand Churchill : "Ne pas voter à gauche à 20 ans, c’est ne pas avoir de cœur ; ne pas voter à droite à 40, c’est ne pas avoir de tête…" . C’est de l’humour anglais !

Quels pourraient être les biais imposés par cette surreprésentation des plus de 65 ans au cours des primaires, et ce, aussi bien à droite qu'à gauche ? Peut-on parler pour autant de conflit générationnel ? 

La principale conséquence (plus que les biais), c’est que les thématiques qui ont tendance à être développées sont celles qui intéressent la frange la plus âgée de l’électorat, celle qui vote. Les candidats les plus électoralistes et à l’écoute du corps électoral, parce qu’ils font l’analyse qu’à chaque élection suffit sa peine et qu’un discours différent peut-être tenu en fonction du type d’élection, vont ainsi faire œuvre de démagogie. Ils vont aller au-devant des attentes de l’électorat âgé et conservateur pour s’attirer ses faveurs. Il n’y a pas de conflit générationnel ici. Il y a simplement le développement de stratégies électorales que l’on peut considérer comme cyniques, malhonnêtes et trompeuses à l’égard de l’électorat. Mais c’est une autre histoire. On n’est pas dans la morale ici, on est dans la politique…

De la même façon que pour les autres sociétés occidentales, le vieillissement démographique de la France induit un poids de plus en plus important des personnes âgées dans l'électorat. Quels ont été les effets de ce vieillissement sur l'offre politique en général ? En quoi cette accentuation du phénomène par le biais des primaires pourrait-il totalement verrouiller le schéma politique français ?

Les chiffres parlent d’eux-mêmes et sont spectaculaires. 200 centenaires en France en 1950, 23 000 en 2014 et on estime qu’il y en aura 140 000 en 2040… Chaque année, les Français voient leur espérance de vie s’accroître d’un trimestre, soit une année tous les quatre ans. La France vieillit, certes, mais en même temps elle est le pays européen qui connaît la plus forte vitalité démographique avec plus de 3,2 millions de bébés nés entre le 1er janvier 2011 et le 31 décembre 2015, même si l’année 2015 a vu un léger fléchissement du chiffre des naissances : 800 000 contre 818 000 en 2014 (-2,2%).

L’offre politique n’est pas déterminée uniquement par la question de l’âge des électeurs. Il serait totalement erroné de considérer que parce que l’électorat serait de plus en plus âgé ou parce que cette tranche d’âge serait plus participationniste que les autres, il faudrait principalement ne "parler qu’aux vieux", ne faire des propositions qu’à destination des "vieux", etc. Les plus âgés des électeurs, retraités ou pas, ont des enfants et surtout des petits-enfants qui sont, pour ces derniers, les premiers touchés par le chômage en France ou par la crise du système de formation. Ils peuvent donc être particulièrement sensibles et sensibilisés aux politiques publiques en matière d’emploi des jeunes ou de formation de ceux-ci. De la même manière, il existe des questions trans-générationnelles (problèmes de société, questions environnementales, pouvoir d’achat et surtout politique fiscale voire remboursement des frais de santé, etc.) qui impactent tout aussi bien les "jeunes" que les "plus âgés".

Les conséquences du "vote vieux" aux primaires ne sont pas centrales et on ne peut absolument pas dire qu’avec ce vote le schéma politique français va être (ou pas) verrouillé. Il est intéressant de constater d’ailleurs que parmi ceux qui se disent certains d’aller voter à la primaire socialiste, les 65 ans et plus sont 16% de moins que les 35-64 ans. En revanche, à droite, ce sont les plus nombreux (44% des plus de 65 ans contre 42% des 35-64 ans) qui se disent certains d’aller voter les 20 et 27 novembre prochains. On peut simplement considérer que l’électorat qui se mobilise le plus pour la primaire de la droite est aussi le plus âgé. Mais il serait abusif de considérer qu’il s’agit aussi de la frange la plus conservatrice de l’électorat de droite qui va se déplacer pour voter. En dépit de la forte audience de Nicolas Sarkozy parmi le noyau dur de l’électorat LR. Tout simplement aussi parce qu’il faudrait s’entendre sur le sens et la définition exacte du mot "conservatisme". Nicolas Sarkozy est-il plus ou moins "conservateur" qu’Alain Juppé, François Fillon ou Bruno Le Maire pour ne citer que les quatre premiers des sondages sur la primaire de la droite ? C’est une question qui, elle-même, peut générer d’intenses débats…

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