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Moralisation de la vie publique : ces leçons du passé à méditer par le gouvernement avant de se lancer dans un référendum portant sur le volet constitutionnel de la loi
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Le Garde des Sceaux envisage de recourir au référendum pour faire passer sa réforme constitutionnelle. Un outil politique qui est tout sauf neutre...

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : François Bayrou a déclaré que le gouvernement proposerait sa réforme constitutionnelle par référendum si le Congrès la rejetait cet été. Quelles leçons peut-on tirer des précédents référendums pour éclairer cette proposition ?

Jean Petaux : Rappelons tout d’abord que l’article 89 portant révision de la Constitution du 4 octobre 1958 prévoit, avant que le Congrès ne s’exprime et n’adopte à la majorité qualifiée des trois-cinquièmes un projet de loi modifiant la Constitution, que ce texte doit être adopté préalablement, en termes identiques, à la virgule près, par chacune des deux chambres (l’Assemblée et le Sénat) à la majorité des suffrages exprimés. Si le gouvernement constate que le Congrès (les deux chambres réunies) ne dégagera pas cette majorité des 3/5èmes alors il peut utiliser le référendum, deuxième voie pour réviser la Constitution, mais en aucun cas cela ne l’exonère du « passage obligé » qui est donc le « premier étage de la fusée de la révision » : le vote du même texte (qui sera donc soumis au référendum) par chacune des deux chambres.

En octobre 1962 lorsque le général de Gaulle, sérieusement « secoué » par la tentative d’attentat du Petit-Clamart, sentant intuitivement que les « partis » n’avaient qu’une envie, une fois la France sortie du « bourbier algérien », celle de le renvoyer rapidement à Colombey-les-Deux-églises, poussa les feux d’une réforme constitutionnelle dont il était seul, avec les Français, à apprécier positivement l’importance : faire élire le président de la République au suffrage universel direct. Dernier exemple en date, alors, 1848… Souvenirs, souvenirs !

Sachant pertinemment qu’il ne parviendrait  jamais à faire adopter par le Sénat (qui lui était hostile) et même par l’Assemblée nationale élue en novembre 1958 et où il ne disposait que d’une majorité relative, le texte de révision de la Constitution, le Général décida de « passer en force ». Il considéra (et eu l’opportunité de faire en sorte que le Conseil constitutionnel, encore vagissant et fort docile, pense comme lui) que l’élection du président de la République procédait de « l’organisation des pouvoirs publics » et pouvait donc passer par la procédure directe du référendum (article 11) sans emprunter la voie de l’article 89… Voilà qui court-circuitait radicalement le Parlement et permettait de passer par-dessus les partis pour s’adresser directement au peuple français. On n’imagine même pas aujourd’hui le tollé… Le « Cartel des Non » qui se constitua rassemblait toutes les formations politiques sauf l’UNR-UDT (le parti gaulliste). C’était plus que gonflé. Et cela fonctionna. A la manière de de Gaulle. Ce référendum-là eût toutes les allures d’un plébiscite. L’Assemblée nationale qui sortit des urnes des législatives anticipées provoquées par la dissolution d’octobre 1962 fut une « chambre introuvable » entièrement dévolue au général de Gaulle. Les députés (la seule fois dans toute la Vème République) voulurent faire les malins et renversèrent le gouvernement Pompidou en adoptant une motion de censure contre le projet de référendum. Le gouvernement Pompidou tomba. La foudre gaullienne frappa le même jour et l’Assemblée fut dissoute. Le peuple français trancha : le Général vit revenir à l’Assemblée une armée de « députés-godillots » telle qu’il ne l’espéra jamais. On en conviendra aisément à la lecture de cet épisode : le référendum est une arme fatale dont l’usage initial, sous la Vème République, fut plutôt « létal » pour les adversaires du père-fondateur de la Vème République, jusqu’à ce que (suicide ou perte de jugement) le même génie politique se tire une balle non pas dans le pied mais dans le cœur, un certain 27 avril 1969. Cette date marque un tournant politique dans la Vème République : avec ce dernier référendum de l’ère gaullienne s’ouvrait le temps de l’ordinaire.

Comment ont voté les Français lors des précédents référendums ? Quels sont les référendums qui ont pu se "transformer" en une question pour ou contre l’exécutif en place, et quelles en ont été les conséquences ?

On dénombre dix référendums depuis 1958. Cinq sous la présidence de Gaulle, le premier ayant lieu le 28 septembre 1958 et portant sur la nouvelle constitution, le dernier (précédemment évoqué) organisé le 27 avril 1969 et portant sur la participation et la réforme de l’Etat. Les cinq autres suivants ont été organisés entre le 23 avril 1972 (sous la présidence Pompidou) sur l’élargissement des Communautés européennes (au Royaume-Uni, Eire, Danemark) et le 29 mai 2005 sur le Traité constitutionnel européen - TCE - (présidence Chirac). Parmi les sept présidents de la République (sans compter Emmanuel Macron), quatre seulement ont eu recours à la procédure référendaire : de Gaulle (cinq fois on l’a vu) ; Pompidou (une fois) ; Mitterrand (deux fois) et Chirac (deux fois). Sur les dix référendums organisés depuis 1958, deux seulement ont recueilli une majorité de « non » : celui du 27 avril 1969 et celui du 29 mai 2005. Dans le premier cas cette victoire du « non » entraina immédiatement, le lendemain à midi, le départ du général de Gaulle de l’Elysée. Dans le second cas, la victoire du « non » provoqua un changement de premier ministre le surlendemain du vote : le départ de Jean-Pierre Raffarin de Matignon et son remplacement par Dominique de Villepin. Autres temps, autres mœurs. Jacques Chirac qui avait « survécu » politiquement à une « dissolution de convenance » en avril 1997 génératrice de cinq années de cohabitation, n’allait quand même pas quitter l’Elysée pour un référendum raté…

Nicolas Sarkozy, toujours prompt à fustiger les « corps intermédiaires » et à revendiquer le dialogue direct avec « le peuple » prit bien soin de ne jamais organiser de référendum, confirmant ainsi que, chez lui, le verbe (haut) compensait facilement le courage (moyen) et la dimension historique (petite). Quant à Hollande, faible parmi les faibles en matière d’opinion publique, il ne pouvait attendre d’un référendum qu’un « non » franc et massif, sans même préciser la nature de la question posée. Comme un réflexe de rejet en somme. Il commit des erreurs durant son quinquennat, celle-là il s’en dispensa.

Plus intéressante encore se trouve être l’analyse de la participation aux référendums. Les cinq premiers, les « gaulliens », recueillent une adhésion massive des Français quant au principe même de la consultation : entre 73,7% et 80,6% de participation, ce qui est tout à fait remarquable. En revanche, pour ce qui concerne les cinq derniers, les « ordinaires », on trouve des situations totalement disparates. Deux référendums n’intéressent qu’un tiers des électeurs : celui de 1988 sur l’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie mobilise 36,9% des Français, et, pire, celui sur le quinquennat tout juste 30,2% des électeurs inscrits, soit moins d’un Français sur trois qui va se déplacer en 2000 pour adopter cette réforme constitutionnelle pourtant fondamentale. On s’en rend compte aujourd’hui. A son sujet, Jacques Chirac président de la République avait dit : « Votez oui, votez non… faites comme vous voulez mais votre réponse n’aura pas d’incidence sur mon mandat ni sur celui du premier ministre (Lionel Jospin) ». Manière à peine voilée de dire : « Votez comme vous voulez, je m’en fous ». Deux autres référendum, « jumeaux » en quelque sorte, à 13 ans de distance, 1992 et 2005, portent sur deux traités européens (Maastricht, 1992 et TCE, 2005). Etrangement ils vont mobiliser pratiquement la même proportion d’électeurs : 69,69% pour le premier et 69,37% pour le second. Le troisième référendum organisé sur une question en rapport avec l’Europe, celui sur « l’élargissement » (1992) va recueillir un peu plus de 60% de participation, ce qui n’est pas si mal pour une consultation voulue par Georges Pompidou, totalement artificielle car visant, à des fins de politique intérieure, à enfoncer un coin entre le PCF et le PS signant ensemble alors le « Programme commun de l’Union de la Gauche » et destiné à montrer, au plus grand nombre, leur différence de lignes sur la question européenne… Déjà !...

Si l’on observe maintenant les pourcentages de « oui » et de « non », on constate là aussi de singulières différences. Alors que dans la grande majorité des cas lorsque le « oui » l’a emporté (8 fois sur 10) le niveau atteint peut être très élevé (le record étant le référendum sur l’indépendance de l’Algérie, le 8 avril 1962 : 90,81% de « oui », mais les 82% obtenus pour la constitution de la Cinquième république ne sont pas « vilains » non plus, tout comme les 80% pour la Nouvelle-Calédonie), il en va tout différemment pour les « non ». Les deux fois où les « non » ont gagné, ils l’ont fait de manière presqu’étriquée : 52,41% en 1969 et 54,67% en 2005. La seule fois où le « oui » l’a emporté de peu c’était en 1992, pour le Traité de Maastricht avec un « petit » 51,05%.

En 1992, Jean d’Ormesson, égal à lui-même, brillant, ironique, malin et subtil, proposa l’équation suivante à un François Mitterrand, luttant jusqu’au bout de ses souffrances, pour que le « oui » au Traité de Maastricht l’emporte. Lors de l’émission de télévision qui allait passer à la postérité et qui vit s’opposer Mitterrand et Séguin, dans une séquence précédente, l’Académicien éditorialiste au « Figaro » exposa ceci à Mitterrand : « Si vous tenez tellement à ce que le « oui » l’emporte, Monsieur le Président, proposez aux Français la chose suivante : « Si vous votez majoritairement « oui » je démissionnerai aussitôt de mon mandat de Président ». Mitterrand eut encore la force d’en rire, trouva la réponse qu’il fallait face à Jean d’Ormesson et l’affaire en resta-là. Mais la réflexion de d’Ormesson, outre le piège (léger) qu’elle tendait à Mitterrand était tout sauf sotte. Elle consistait en quelque sorte à inventer le « plébiscite inversé ». On sait, dorénavant, que le risque est grand, dans un référendum, de coaliser les « non » (encore que l’on a vu que ceux-ci se mobilisent en quantité moindre que les « oui » quand ils l’emportent) en regroupant tous les « antis », tous les « râleurs » et les « mauvais coucheurs »). Ceux qui sont, par principe, « contre tout ce qui est pour » et « pour tout ce qui est contre ». Si donc, contre un « oui » peut s’échanger une « sanction », une « censure », alors le « oui » deviendrait le viatique nécessaire… Mais l’horizon qui porterait cette pratique demeure encore bien chimérique. Et il n’est pas forcément proche le jour où la « tactique d’Ormesson » sera appliquée.

Reste la dimension plébiscitaire du référendum. On a vu précédemment que le général de Gaulle usa du référendum comme d’une pompe à vélo regonflant sa légitimité politique et souveraine lorsqu’elle connaissait un « coup de moins bien » comme disait alors les cyclistes du Tour de France dont l’illustre citoyen de Colombey était un grand admirateur… Quatre fois il menaça de claquer la porte si le « non » l’emportait. La quatrième fut, pour paraphraser le mot qu’il utilisa juste après l’attentat du Petit-Clamart : la plus « tangente ». Destiné à frapper fort et à renverser la table, mettant tout son poids dans la balance, de Gaulle pour le référendum du 28 octobre 1962 met les Français au défi. Il leur dit en substance : « Je ne me contenterai pas d’un « oui » timide et frileux. Je le veux franc et massif  sinon je m’en vais »… En stratège il ne commet pas ce qui aurait pu être irrécupérable : l’erreur de préciser à quelle hauteur se situait le « franc et massif ». Il va donc prendre ce qu’il va trouver, au soir du 28 octobre, comme « franc à défaut d’être massif ». A l’aune des consultations précédentes, les 62,25% de « oui » font un peu « maigrelets » (on sait aujourd’hui que d’autres s’en pourlècheraient…). Rapportés aux « Inscrits », les « oui » atteignent tout juste 46,66%. C’est, là encore, remarquable, mais pour de Gaulle c’est assez vexant… C’est sans doute à l’occasion de tels désamours passagers que de Gaulle traita les Français de veaux… A titre de comparaison, adopté par 73,21% de « oui » le « quinquennat », compte tenu de la très faible participation électorale n’a obtenu que 18,55% des inscrits… De quoi méditer sur les vertus de l’appel direct à un peuple qui n’est pas passionné par toutes les questions…

Au regard des risques encourus, quels sont les écueils à éviter pour la mise en place d'un référendum sur cette réforme constitutionnelle ? L'apparent fort consensus existant dans la population sur cette question de moralisation peut-elle être un piège pour le gouvernement ?

Soyons clair. Pour qu’une consultation électorale fonctionne bien, qu’elle mobilise des électeurs, qu’elle passionne les foules, même si celles-ci, par principe, par distinction, critiquent le casting, le scénario, les dialogues, l’intrigue et surtout le jeu des acteurs, il faut du sexe, du sang, des rebondissements, des meurtres symboliques, des personnages nouveaux, des trahisons, des dingues, de vrais méchants, de faux faux-culs, de gentils cons et des gentils tout court. Il faut que tout semble écrit mais qu’un rien surprenne. Jusqu’au « bouquet final » : le duel à mort entre les deux tours. Rituel quasi ethno-anthropologique qui rappelle la séquence finale mythique « d’Apocalypse Now » quand Martin Sheen tue Marlon Brando… Scène génialissime inspirée de la nouvelle très noire de Joseph Conrad, « Au cœur des ténèbres ». Un référendum ne pourra jamais revêtir une telle intensité dramaturgique. Pour tenter d’y atteindre, il faudra qu’il s’incarne dans des héros qui vont porter le « oui » ou le « non ». Même le référendum sur le traité de Maastricht et celui sur le Traité constitutionnel européen n’ont pas connu le dixième de la folie de la dernière présidentielle. On discutera lors d’une campagne référendaire sur des enjeux programmatiques, à partir de constructions rhétoriques parfois spécieuses, malhonnêtes, exagérées, destinées à cliver, à inquiéter, à mobiliser les « pour » ou les « contre ». Mais on ne parviendra pas à opposer des personnages entre eux avec une passion telle que la mobilisation des spectateurs, même les plus froids, les plus désabusés, les plus revenus de tout, sera maximum comme elle l’est pour une campagne présidentielle. Il existe dès lors une exception à cette apparence de « domination » de l’élection d’un homme ou d’une femme à la plus haute fonction par rapport à la consultation référendaire : lorsque le référendum se transforme en vote pour ou contre la personne qui pose la question. Lorsque la question est en fait : « M’aimez-vous toujours ? ». « Si « oui » : je reste. Si « non » : je pars ». C’est la seule véritable intensité dramatique qui prévaut ici. C’est celle que le général de Gaulle pratiqua en 1969 : « Si, par malheur pour la France, vous choisissiez de voter « non », j’en tirerais immédiatement les conséquences… ». Autrement dit : « Si vous me faites ce coup-là que voulez-vous que nous continuions à faire ensemble ? ».

Si Emmanuel Macron veut faire passer, coûte que coûte, sa réforme sur « la moralisation de la vie publique » dont le titre est déjà une ineptie, dont le contenu n’est pas loin de ressembler à une vaste fumisterie et dont la raison d’être est la satisfaction des instincts démagogiques les plus primaires, pur-produits de la fashion-démocratie low-cost, il peut toujours essayer de passer par la voie référendaire. Il aura fort à faire pour mobiliser des Français qui auront trouvé d’autres jouets entre temps et qui se moqueront comme d’une guigne de savoir s’il est plus scandaleux d’embaucher sa femme que sa maitresse comme assistante parlementaire ou d’utiliser son mari comme jardinier et/ou chauffeur quand on est maire d’une grande ville que de s’en servir comme secrétaire particulier ou bricoleur du dimanche… Il faudra à Emmanuel Macron trouver les ingrédients du drame pour remplir les urnes. En (jeune) homme de théâtre qu’il fut, cet impératif ne devrait pas lui demander un effort démesuré. Mais il y a fort à parier que si une réforme constitutionnelle est nécessaire, la voie du Congrès évite de passer par le référendum… Lâches comme ils savent l’être parfois quand ils n’écoutent que leur courage qui ne leur dit rien, les parlementaires trop peureux devant les réactions négatives d’un peuple aisément antiparlementariste iront au-devant de leurs contempteurs et se passeront la corde que les « dégagistes » de tout poil leur proposeront. Ils resserreront eux-mêmes la chaine qui les enserre : limitation des mandats dans la durée, transparence dans la pureté et pénitence dans la pauvreté. Les démagogues marqueront des points. Pas certain que la démocratie s’y retrouve à moyen et long terme.

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