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Héroïsme : au bal des hypocrites, il y a du monde au balcon
©Reuters

France éternelle

Mamoudou Gassama n’a pas sauvé un petit garçon en tant que « sans-papiers », « noir » ou « Malien », dans l’espoir de déclencher un débat sur la politique migratoire ou de servir d’argument pratique aux récupérateurs de tout poil. Il s’est juste comporté en héros et a été récompensé comme tel.

Hugues Serraf

Hugues Serraf

Hugues Serraf est écrivain et journaliste. Son dernier roman : La vie, au fond, Intervalles, 2022

 

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Un type marche dans la rue. Il lève le nez en l’air, aperçoit un petit garçon suspendu au balcon du quatrième étage d'un immeuble, à deux doigts de lâcher prise. Mais par miracle, le type n’est pas n’importe qui : il est plus courageux, plus vif, plus agile et surtout plus costaud que le badaud moyen.

Plus toutes ces choses que vous et moi, quoi...

Il ne réfléchit pas plus que ça, s’élance, escalade les quatre étages en moins de temps qu’il n’en faut pour les parcourir en ascenseur, et sauve le mioche de l'écrabouillement. Il vient de faire un truc que personne ou presque ne pourrait faire — ou tenterait seulement de faire —, mettant sa propre vie en péril. C’est un héros.

Mais au siècle de l’iPhone, la scène est filmée et fait le tour du Web. On apprend qu’au-delà de son talent et de sa bravoure, Spiderman est un « sans papiers » malien. Épaté, comme à peu près tout le monde, Macron le reçoit à l’Élysée et lui offre, en récompense, un passeport français et un contrat chez les pompiers. Il ne le fait d’ailleurs pas par simple et archaïque « fait du prince », mais au titre d’une tripotée de lois et décrets prévoyant une procédure de naturalisation express pour « services exceptionnels rendus à la nation »...

Fin de la belle histoire, tout le monde est content. Mamoudou parce qu’il a enfin des papiers et un job à la mesure de ses capacités ; le petit garçon parce qu’il peut recommencer à mettre les doigts dans la prise pendant que son paternel est au bistrot ; nous tous, parce que nous vivons dans un pays où l’on sait encore rendre hommage au courage sachant que, vraisemblablement, n’importe lequel de nos présidents — Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Hollande —, en aurait fait autant.

« Parce que c’est notre projet » en tant que nation, comme dirait l’autre…

L'héroïsme, insupportable élitisme au pays du débat à la con

On ne se comporte d’ailleurs pas de la même manière sous tous les climats. Chez nos voisins du dessus, pour filer la métaphore de l’immeuble à étages, un Zimbabwéen qui avait lui, au mépris de sa propre sécurité, sauvé des gosses d’un incendie, s’est vu décerner un coup de pied au cul et un ordre d’expulsion. Si ça n’est pas de la perfidie albionesque, ça…

Mais bon, la France n’est pas seulement un pays où le courage, le panache et l’altruisme valent reconnaissance concrète. Non, la France est aussi le pays du débat à la con. Le pays de la querelle stérile et de la transformation immédiate d’un conte de fée en épisode sordide d’une parodie de « Fais pas ci ! Fais pas ça ! ».

A droite, on fait mine de s’inquiéter de « l’appel d’air » auquel conduira forcément l’événement. « Quoi, comment, que me dites-vous ? On régularise un clandestin sous prétexte d’héroïsme ? Mais si l’on se met à filer des casques de pompiers à tous les sans-papiers qui sauvent des petits enfants, nous serons bientôt submergés ! ». On comprend le raisonnement. Importer davantage de jeunes gens courageux, dynamiques et volontaires, c’est effectivement la pire chose qui puisse nous arriver. Il ne manquerait plus qu’elles nous grand-remplacent, ces crapules à super-pouvoirs ! Quel est ce président indigne et irresponsable qui se permet une telle saloperie !

A gauche, c’est pareil tout en étant le contraire. « Quoi, comment, que me dites-vous ? On régularise un héros mais pas l’Afrique toute entière ? Quelle incohérence manifeste ! Et il faudrait maintenant sauver des petits enfants pour obtenir des papiers en Chronopost ? Pourquoi pas des bonnes notes pour une licence de socio à Tolbiac, si on va par là ? ». Là encore, on comprend la logique : la notion même d’héroïsme est un élitisme scandaleux. Tous héros ! Quel est le président indigne et quasiment criminel qui se permet une telle horreur ? Un vrai Pétain, tiens !

Et comme si les deux factions ne suffisaient pas à nous pourrir la vie et à gâcher la fête, voici que débarquent les complotistes qui, en pause-café pendant un séminaire des amis de la Terre plate, se mêlent de décrypter la vidéo : « Le gosse, le saviez-vous, il avait un harnais et avait été déposé sur son balcon par un comité de droit-de-l’hommistes financés par George Soros et le Mossad. Et d’abord, ça n’était même pas vraiment un gosse mais un nain cascadeur. Un gosse de quatre ans avec de la barbe, merde ! Et tu parles d’un héros ! En analysant le clip aux rayons X, on distingue parfaitement le fil ! ».

Mais bon, il s’en fout, le Mamoudou. Il n’est pas rancunier. Et c’est d’ailleurs une bonne chose pour les récupérateurs de gauche ou de droite, pour ne rien dire des conspirationnistes à deux balles : si leur immeuble crame un beau matin, ou qu'ils glissent par la fenêtre, il les sauvera eux aussi. Ni comme « sans-papiers », ni comme « noir », ni comme « Malien ». Juste comme pompier.

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