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La "mère" très sale de l'Inde : où en est le gigantesque projet de nettoyage du Gange ?
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Atlantico Green

Fleuve le plus vénéré au monde, le Gange est également le plus pollué. Une situation qui s'explique par des raisons culturelles, économiques et surtout politiques.

Emilie Crémin

Emilie Crémin

Docteur en géographie

Post-doctorante UNILIM - GEOLAB

Chercheure associée au LADYSS UMR 7533 et au Centre d’études himalayennes UPR 299.

Emilie Crémin a fait une thèse dont le titre est : « Adaptation des sociétés aux changements environnementaux : gestion des ressources naturelles et recompositions territoriales. Le cas de la tribu mising de la plaine alluviale du fleuve Brahmapoutre (Assam, Nord-est de l'Inde) ». Elle participe au projet "Nord-Est de l'Inde" financé par l'ANR.

 

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Atlantico : Quelles sont les raisons principales de la pollution du Gange ?

Emilie Cremin

  • Pollution de l’air et des cours d’eau

De nombreuses microparticules provenant de différentes sources urbaines et industrielles de pollution de l’air sont transportées par les airs et se déposent sur les glaciers himalayens, notamment aux sources du Ganges. Puis, la rivière charrie ces particules. Plus on descend son cours, plus le problème de pollution de ses eaux de surface s’accentue.

  • Densité de population

En effet, ce fleuve est devenu un drain collectant les eaux usées de plus de 450 millions de personnes qui vivent dans son bassin versant, soit 40 % de la population indienne.

Le déversement des eaux usées et le manque ou l’absence de stations d’épuration constitue l’une des causes principales de la pollution du Gange. De plus, les déchets domestiques difficilement contenus dans des espaces urbains, ruraux très densément peuplés, et les difficultés rencontrés par les pouvoirs publics pour gérer la collecte de ces déchets constitue bien souvent une autre source de pollution des rivières.

  • Pratiques agricoles

La plaine du Gange est le grenier à céréales qui nourrit les habitants du Nord de l’Inde et bien au-delà, depuis plus de quatre millénaires. L’irrigation des terres agricoles assure depuis bien longtemps d’importantes productions sur ces terres fertiles. Or, les pratiques agricoles ont beaucoup évolué sous l'impulsion de la révolution verte en utilisant de plus en plus de produits phytosanitaires (engrais, pesticides, insecticides, etc.) dont les résidus se retrouvent dans les cours d’eau.

  • Industrialisation

La croissance économique importante de l’Inde depuis les années 1990 a été portée par un développement industriel rapide notamment le long des rives du Gange et de ses affluents. Ce développement économique s’accompagne inévitablement d’un coût environnemental qui se traduit par une utilisation industrielle plus intense de l’eau des nappes phréatiques et par des rejets d’effluents industriels polluant les cours d’eau.

  • Rituels funéraires

Le Gange, et particulièrement la ville de Varanasi, sont réputés parmis les dévots hindous pour leur rôle purificateur notamment lors rituel de crémation d’un défunt. Or, la densification de la population et le développement des moyens de transports favorise une augmentation du nombre de crémations. Une telle concentration de crémations et de corps en décomposition dans les cours d’eau constitue une source de pollution et peut également être vecteur de maladies (hépatites, choléra, maladies de peau).

  • Aménagement hydrauliques et assainissement du fleuve

Des barrages interrompent le rythme du fleuve et empêchent l’assainissement naturel de l’eau. La croissance de l’Inde et de la demande en électricité pousse l’Etat et les compagnies électriques à planifier la construction de 300 barrages supplémentaires au cours des prochaines décennies. De plus, l’aménagement de digues le long des rives du fleuve pour prévenir des inondations entraine une rupture des interactions entre le fleuve et sa plaine. Ainsi, le fleuve ne déborde plus lors des crues et n’alimente plus suffisamment les zones humides. Mais au delà d’un certain seuil lors des fortes pluies de mousson, les digues peuvent se rompre provoquant ainsi des innondations éclaires emportant tout sur leur passage.

Pourquoi, malgré les plans d’assainissement de l’eau, le fleuve sacré est-il toujours de plus en plus pollué ?

Le président Nahendra Modi a promis de rajeunir le Gange. Le ministère des ressources en eau et du rajeunissement du Gange est chargé de mettre en place les mesures nécessaires à cette mission "Clean Ganga Mission".

Il ne s’agit toutefois pas de la première initiative d’un Premier ministre indien pour rétablir la qualité de l’eau du Gange. En effet, dans les années 1980, Rajiv Gandhi avait déjà mis en place l'Action Plan Gange (Ganga Action Plan). Il s’agissait alors d’un grand programme de travaux publics, visant à installer des égouts pour l’assainissement des villes et à améliorer le traitement des eaux souillées par l’industrie. Ce premier Plan d’Action pour le Gange a aujourd’hui plus de trente ans. Toutefois, les infrastructures mises en place dans le cadre de ce programme se sont avérées insuffisantes face à l’ampleur des eaux à traiter.

Les uns après les autres, les gouvernements peinent à atteindre les objectifs qu’ils se fixent et l’eau du Gange est toujours plus polluée. Pour y remédier, la Banque mondiale a accordé en 2011 un prêt d’un milliard de dollars à l’Autorité de Gestion du Gange (NRGBA) avec une assistance financière et technique pour mettre en place les infrastructures de traitement des eaux usées.

Les systèmes de collecte des eaux usées sont soit surexploités, soit obsolètes.

Sanjay Kumar Singh, un responsable de la Ganga Pollution Control Unit témoigne ainsi : "La capacité de traitement des installations est de 100 millions de litres par jour, alors que plus de 300 millions de litres sont produits" (entretien réalisé par la BBC). Les surplus sont déversés directement dans le cours du Gange. Selon le Centre pour la Science et l’Environnement (Center for Science and the Environment), une organisation de recherche indienne indépendante, 80 % des eaux usées du bassin versant du Gange ne sont pas traitées et se déversent directement dans les cours d’eau.

La concentration de bactéries fécales est donc très abondante selon les relevés de la CPCB (India’s Central Pollution Control Board). La baignade devrait donc être déconseillée, voir interdite. Mais des millions de dévots hindous continuent à pratiquer les rituels de purification comme depuis des siècles alors que la concentration des polluants était beaucoup moins importante.

Enfin, un nouveau programme “Namami Ganga” a été voté par le Parlement indien en 2014. Dans ce cadre, plus de 48 usines jugées trop polluantes ont été fermées. Par ailleurs, le traitement des déchets devrait se faire à l’aide de systèmes de traitements écologiques.

Le ministre de l'eau, Sashi Shekar, admet lui-même que la corruption des politiques est le problème principal. En quoi la gangrène politique entraîne la dégradation hydraulique ?

La corruption est sans aucun doute l’un des principaux freins à la mise en place d’un système de contrôle et de gestion des eaux usées. Si les investissements sont importants, une part de ceux-ci est détournée et les investissements restants sont insuffisants pour couvrir le coût réel de la construction et de l’entretien des infrastructures d’assainissement.

Par exemple, les industries, comme les tanneries de Kanpur, doivent s'acquitter de licences pour fonctionner et installer des systèmes de traitement de leurs eaux usées. En effet, les tanneries de Kanpur utilisent des produits chimiques toxiques comme le chrome. Or, au lieu d’installer un système de drainage et d’épuration, plusieurs journaux indiens affirment que les gérants des usines payent des pots de vins aux officiers pour échapper aux inspections.

Quelles seraient les méthodes à mettre en place pour véritablement sauver le Gange ?

La lutte contre la corruption et l’instauration effective d’un Etat de droit en matière environnementale permettrait dans un premier temps de respecter la législation en vigueur.

Au delà, il s’agit pour les pouvoirs publics de mieux contrôler les eaux pompées dans les nappes phréatiques, ainsi que les eaux qui sont rejetées dans le fleuve. L’application du principe du pollueur-payeur premettrait de responsabiliser les acteurs économiques.

Par ailleurs, les différents acteurs, comme les collectivités locales soutenues par l’Etat, devraient prendre leurs responsabilités en ce qui concerne la collecte publique des eaux usées et des déchets. La mise en place d'un système d’assainissement complet dirigé par des régies publiques ou des agence de gestion assurant l’organisation et la maintenance des infrastructures s’avère nécessaire pour un réseau de collecte avec des égouts entretenus, des stations d’épuration aux capacités adaptées à la densité de population, des systèmes de recyclage des boues…

De plus, la sensibilisation du grand public aux problèmatiques environnementales, au travers notamment de nombreuses ONG agissant en Inde, existe. La participation de la population aux décisions concernant la mise en place et la maintenance des infrastructures dans chaque quartier, dans chaque village, permettrait d’en assurer le bon fonctionnement

L’opinion publique Indienne a su se saisir, il y a quelques années, de la question de la lutte contre la corruption au travers d’un grand mouvement. La convergence des luttes contre la corruption et pour l’environnement serait une perspective intéressante pour véritablement sauver le Gange.

Le Gange peut-il être sauvé tout en préservant son symbole sacré, lieu des rituels hindous ?

Les dévots hindous sont toujours nombreux à se baigner dans les eaux du Gange bien que les pollutions soient avérées et que les médias relaient l’information au plus grand nombre. La sacralité du fleuve n’a jamais été souillée dans la conception sacralisée de l’eau par les hindous, et les analyses biologiques ne sauraient changer cette dévotion mystique pour l’eau du Gange. Les grèves de la faim menées par des dévots hindous, comme Swami Nigamanand, montrent également la prise de conscience des citoyens concernant la responsablité des entrepreneurs privés et de l’Etat face à la pollution de leur rivière qu’ils craignent de devoir qualifier de “rivière morte”.

La restauration écologique du Gange reste ainsi un défi pour le parti nationaliste hindou au pouvoir, sous l’autorité de son Premier ministre, Nahendra Modi. On ne pourrait conclure aujourd’hui que ce gouvernement a mieux pris en charge la gestion des eaux du Gange que les gouvernements précédents. Jusqu’à présent, comme l’exprimait le CSE (Center for Science and Environment) en 2002 : "Lorsqu’on entreprend d’installer dans les zones périurbaines des équipements sanitaires économiques, on est confrontés à une autre difficulté importante. Car, pour fonctionner convenablement, ils exigent généralement une plus grande implication de la part des usagers que les techniques conventionnelles. Les ingénieurs, qui jouent souvent un rôle important dans la formulation des programmes d’assainissement, connaissent parfois mal les contraintes sociologiques : comment mobiliser les populations, impliquer les futurs usagers. Peut-être ne s’intéressent-ils guère à ces aspects, d’autant plus que cela prendrait beaucoup de temps de s'en occuper vraiment."

Propos recueillis par Clémence Houdiakova

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