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Y a-t-il un chemin de sortie de crise qui puisse à la fois éviter l’explosion sociale et celle de la dette, des charges sociales et des impôts... ?
©ludovic MARIN / POOL / AFP

France post-Covid-19

Emmanuel Macron va s'entretenir mercredi avec les organisations syndicales et patronales. Comment est-il possible d'éviter l'explosion sociale après la crise du Covid-19 sans provoquer celle de la dette, des impôts et des charges sociales ?

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico.fr : Emmanuel Macron réunira à nouveau mercredi les organisations patronales et syndicales pour parler entre autres du chômage partiel et de la réforme de l’assurance-chômage qui avait été mal accueillie l’an dernier. Ces concertations ont été demandées par Emmanuel Macron lors d'une précédente rencontre avec les numéros un des syndicats et du patronat. Les partenaires sociaux espèrent être fixés sur l'activité réduite pour le maintien en emploi, un chômage partiel de longue durée qui doit entrer en vigueur le 1er juillet, et sur l'avenir de la réforme de l'assurance chômage.

Comment éviter l’explosion sociale d’après la crise sans provoquer néanmoins celle de la dette, des charges sociales et des impôts par ailleurs ? 

Mathieu Mucherie : On n’a pas de solutions miracles. La bonne solution consisterait à déverser une aide massive pour la demande agrégée afin de soutenir le pouvoir d’achat, la consommation future etc., mais qui ne serait pas pourvoyeur de déficits gigantesques. En effet, les déficits se transformeraient en boule de neige de dettes qui, ensuite, se auraient pour conséquence aussi fatalement une hausse d’impôt ou des problématiques d’intérêts composés (c’est-à-dire des décennies perdues à rembourser des dettes comme l’Italie).

La seule façon de résoudre le problème, d’avoir le positif sans avoir le négatif, d’avoir le remède sans avoir le poison, serait de passer par une forme ou une autre de remise des dettes. Les dettes émises par les Etats ou les organismes de sécurité sociale sur le marché sont rachetées à leur prix (avec des taux d’intérêt assez faibles) par la BCE qui l’inscrit dans son bilan. Déjà plus d’un quart des dettes souveraines sont dans le bilan de la BCE. Ensuite, ce bilan est expurgé d’une façon ou d’une autre au bout d’un moment par une sorte de « right off » ou d’annulation partielle des dettes. La BCE est la seule institution à pouvoir jouer avec la taille de son bilan dans un sens et dans l’autre, sans que personne ne soit lésé parce que ces dettes ont été achetées sur le marché secondaire. Qui plus est, nous ne sommes pas dans un cadre inflationniste en ce moment ou avec des anticipations qui commenceraient à se désindexer de façon inflationniste. Ce serait en plus une opération qui nous rapprocherait de la cible au lieu de nous en éloigner : une opération gagnant-gagnant donc. 

Cependant, à partir du moment où l’on refuse cette solution, puisque nos gouvernements n’en veulent pas, ni la BCE ainsi que tous les pseudo-gardiens de l’orthodoxie, notamment en Allemagne, ont décidé que ce n’était pas possible, il n’y a en effet pas de solution. Soit on passe par cette technologie assez peu en vogue, soit l’équation n’a pas de solution. Les déficits d’aujourd’hui sont les impôts de demain et les charges d’après demain si on ne les monétise pas d’une façon ou d’une autre. On n’en prend pas le chemin. Sans monétisation de la dette, il faut trouver soit le moyen de freiner l’explosion des déficits actuels : la politique de canadair consistant à arroser tout le monde va prendre fin d’ici peu ; soit on s’assoit sur les 3% de déficit mais on aura alors des problèmes avec l’Allemagne ou avec les marchés (ce n’est pas exclu). Pour le moment, il y a cet espace de dépenses mais, tôt ou tard, si on refuse la monétisation des nouvelles dettes, il faudra trouver un moyen de limiter la dépense ou de trouver de nouvelles ressources, ce qui signifie concrètement d’augmenter les impôts ou les charges. Ces deux ressources passeront par des expédiants, des moyens dérobés : supprimer des jours fériés etc.

La remise des dettes est donc un instrument de premier rang pour l’équation devient vraiment gagnant-gagnant. Il reste l’hypothèse que la croissance revienne et qu’elle sauve l’économie. Vu le profil de la croissance potentiel française, il n’est pas certain qu’on puisse générer 500 milliards de PIB en deux ou trois ans et rembourser les dettes privées et publiques en aussi peu de temps.

Parmi les sujets qui seront abordés, cinq retiennent particulièrement l’attention : le chômage partiel (le régime de base et le régime de longue durée dit de « maintien en emploi »), l'assurance chômage, la formation professionnelle, l'emploi des jeunes et le travail détaché. La façon d’aborder ces différents problèmes a-t-elle évolué avec la crise de la Covid-19 ? De nouvelles solutions ont-elles vu le jour ? D’autres ont-elles été éliminées ?

Aucune solution n’a été éliminée et on a juxtaposé les demandes particulière set les dispositifs techniques dans une culture du non-choix. La réponse à la crise est une illustration de cette culture du non-choix. Avec ce Covid-19 qui a surpris tout le monde aussi bien dans son déclenchement sanitaire que dans ses conséquences économiques, l’exécutif (qui n’est pas du genre a choisir ou à avoir beaucoup d’imagination) a pris tous les dispositifs existants et s’est dit qu’il allait « arroser large ». Tous les instruments disponibles sont utilisés : à la fois la méthode allemande de 2008-2009, qui consiste à arroser via des mécanismes de lissage (chômage partiel etc.) de façon à ce qu’il n’y ait pas de pertes d’emplois puisqu’on perdrait en capital humain etc. ; les méthodes traditionnelles franco-françaises, les mesures sur l’offre comme sur la demande, des mesures temporaires autant que des mesures structurelles, sectorielles autant que macroéconomiques, qui font plaisir au patronat autant qu’aux syndicats etc. Il y en a pour tout le monde car il n’y a ni choix ni conviction ni stratégie.

Il ne faut pas faire ça dans l’urgence : on ne crée pas de dispositifs innovants dans l’urgence. Les vannes du crédit public sont grandes ouvertes : quand on a des vannes grandes ouvertes, qu’on ne veut mécontenter personne et qu’on n’est pas certain des effets de tels dispositifs parce qu’on n’a fait aucune évaluation des politiques publiques depuis la nuit des temps, cela renforce cette culture du non-choix. On dit un peu oui et un peu non à tout le monde et on gère au fil de l’eau. Ce que je reproche, c’est la technique de l’arrosage : elle n’est pas efficace et bloque toute politique publique ultérieure. On ne sait pas ce qui ne marche pas et l'impossibilité de l’évaluation est ensuite renforcée. Si vous cumulez des dispositifs et ne faites rien de très tranché, en réalité l’évaluation ultérieure sera impossible et l’imputation des responsabilités aussi (c’est peut-être d’ailleurs le but du jeu). Cette technique permet en fait de collectiviser l’échec et le non-fonctionnement : c’est bien le but de ces types de réunions avec les partenaires sociaux, collectiviser les choses. Il ne faut pas que le gouvernement donne l’impression qu’il est tout seul face à une situation difficile à gérer. Même l’échec doit être collectif.

Malheureusement notre destin est le suivant : l’Allemagne est en train de devenir la France, la France en train de devenir l’Italie, l’Italie en train de devenir - si ça tourne mal - l’Argentine, et l’Argentine est en train de devenir le Venezuela. Le mieux serait de se libérer de cette contrainte et de mettre la pression pour que la BCE non seulement rachète une partie de ses nouvelles dettes qui n’ont pas de vraie culpabilité et qu’une fois au bilan, elles soient remises ou partiellement annulées. Cela peut se faire : cela s’est fait chez des gens qui paraissent très vertueux. Les banques régionales allemandes, après 2008, ont été traitées de cette façon par la Bundesbank : 500 milliards de créances douteuses sont passées  sans qu’on en entende parler. Ça s’est fait aussi en Europe l’an dernier, le même montant en ajoutant un zéro et en faveur de l’Allemagne.

Plus prosaïquement, en ce qui concerne la réunion de mercredi : les partenaires sociaux seront contents car il donneront l’impression d’être écoutés ; le gouvernement sera content car il montrera qu’il met tout le monde dans l’équation alors qu’on lui reproche d’agir en solitaire et donnera l’impression qu’on est tous ensemble. Le slogan pourrait être : tous ensemble contre les conséquences économiques du Covid et tous ensemble dans l’oblitération de la solution monétaire.

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