Y a-t-il quelqu'un à Pôle emploi ? Comment le traitement du chômage a été déshumanisé<!-- --> | Atlantico.fr
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Parle à mon ordinateur ma tête est malade : pôle emploi s'est complètement déshumanisé.
Parle à mon ordinateur ma tête est malade : pôle emploi s'est complètement déshumanisé.
©Reuters

Hé ho ?

En mars dernier, un ordinateur de Pôle emploi a échelonné les indus d'un demandeur d'emploi girondin sur... 26 000 ans ! Bugs informatiques, incitation à opter pour la visioconférence, espacement des rencontres avec les conseillers : les chômeurs souffrent de plus en plus d'un manque d'accompagnement et d'humanité.

Aude  Rossigneux

Aude Rossigneux

Grand reporter, rédactrice en chef de Reporter Sans Frontière, elle a coécrit Confessions d'une taupe à Pôle Emploi en mars 2010, publié aux éditions Calmann-Lévy, une enquête sur les dysfonctionnements de l'assurance-chômage en France.

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Atlantico : Récemment, un demandeur d’emploi a vu échelonné sa dette de 3 000 euros envers Pôle emploi sur 26 000 ans, soit un centime par mois. Comment peut-on expliquer un couac aussi énorme ?

Aude Rossigneux : Cette erreur est due à un bug informatique, ce qui n’est pas étonnant car depuis la fusion ANPE/ASSEDIC en janvier 2009 qui rassemblé les services de placement et d’indemnisation, les employés de Pôle emploi ont dû changer de logiciels plusieurs fois, logiciels pour lesquels ils sont très mal formés. Après la fusion, chacun continuait à travailler avec sa méthode, ses logiciels, auxquels on a rajouté le logiciel AUDE (Application Unique de Demandeur d’Emploi), apportant encore plus de confusion.

Je ne suis pas si surprise que cela puisse arriver, lorsqu’on change de logiciel si fréquemment. Un employé peut appuyer sur le mauvais bouton par manque d’expérience du logiciel, et un demandeur d’emploi se retrouver avec une dette sur 26 000 ans ! Plus grave, en novembre 2009, pendant 36h les demandeurs d’emploi ne pouvaient pas accéder à leur espace personnel, en revanche ils pouvaient accéder au dossier des autres, au risque de modifier leurs données, détourner leurs indemnités...etc. Ce type d’erreur pourra se reproduire tant que Pôle emploi manquera de moyens.

On incite de plus en plus les demandeurs d’emploi à opter pour des entretiens par visio-conférence, cette virtualisation de l’échange ne risque-t-elle pas de déshumaniser le traitement du chômage ?

Je ne sais pas si c’est plus inhumain d’avoir un entretien par Internet ou de recevoir un demandeur d’emploi en agence dans des conditions tendues. L’humanité est dans la façon de gérer les dossiers, qui s’est clairement dégradée depuis 2009. Mon coauteur, Gaël Guiselin, avec qui j’ai publié Confession d’une taupe à Pôle emploi, a aujourd’hui 400 dossiers à suivre, alors que Christine Largarde mettait en avant que cette réforme permettrait aux conseillers d’en avoir 60 maximum…

Aujourd’hui, Pôle emploi est une sorte de carrefour des détresses, avec d’un côté des demandeurs d’emploi un peu perdus et de l’autre des agents déprimés, dépassés.

Ce qui me gêne davantage dans cette dématérialisation, c’est l’objectif sous-jacent de réduire encore les coûts, alors que Pôle emploi n’a déjà pas les moyens de ses ambitions aujourd’hui.

Auparavant, les chômeurs avaient rendez-vous tous les mois, aujourd’hui une fois tous les quatre mois. De moins en moins de rendez-vous, quelles conséquences pour les personnes qui recherchent un emploi ?

Avant, les demandeurs d’emploi bénéficiaient d’un suivi mensuel personnalisé, qui n’était jamais vraiment respecté, faute de moyens, et de temps: recevoir 400 chômeurs en un mois c’est simplement infaisable. La plupart des conseillers Pôle emploi ont déjà rédigé des comptes-rendus fictifs d’entretien, assurant qu’une personne était venue, par impossibilité de la recevoir.

Aujourd’hui, la fréquence de l’accompagnement (suivi, guidé ou renforcé) dépendra du profil du demandeur d’emploi. Cette fréquence est à l’appréciation du conseiller, qui jugera des besoins de la personne concernée. Ce n’est pas forcément là qu’est la déshumanisation puisque cela permet d’adapter la relation en fonction des profils. En revanche, la déshumanisation a commencé avec le dévoiement de la fonction de conseiller, plus incité à “fliquer” les demandeurs d’emploi qu’à les aider à trouver un emploi. Certaines personnes avaient sans doute vraiment une vocation de conseillers, aujourd’hui ils se retrouvent à faire de la comptabilité et de l’administratif, ce qui fait rejaillir une ambiance nauséabonde et nuit à la recherche d’emploi.

Dans quelle mesure peut-on trouver un emploi grâce aux services de Pôle Emploi ? Cela a-t-il évolué ?

Pour certains métiers il est quasiment impossible de trouver un travail avec Pôle emploi. C’est le cas des journalistes notamment, où le travail se trouve par réseau, et tout ce qu’on appelle le “marché caché”, ces emplois qui ne donnent pas lieu à annonce. Si l’on prend en compte le fait que les entreprises n’ont pas l’obligation de publier des annonces sur Pôle emploi, on arrive à une proportion importante de personne qui ne retrouvent pas du travail par ce biais.

Il est plus judicieux que les rendez-vous de ces demandeurs soient espacés au lieu de faire perdre du temps tous les mois à un conseiller, déjà surchargé, qui pourrait consacrer plus de temps à d’autres profils de demandeurs d’emploi.

Depuis la fusion des services de placement et d’indemnisation en 2009, la situation s’est aggravée, puisque les conseillers qui faisaient de l’indemnisation n’ont été que très peu formés au placement, et vice versa. Et l’augmentation du chômage, non suivi d’une augmentation conséquente des effectifs à Pôle emploi, n’a mécaniquement pas amélioré les choses...

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