Wokisme : l’heure du coup d’arrêt pourrait bien avoir sonné outre-Atlantique<!-- --> | Atlantico.fr
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La présidente de l’université de Harvard, Claudine Gay, au premier plan, Sally Kornbluth, présidente du MIT lors d’une audition au Congrès mardi 5 décembre 202
La présidente de l’université de Harvard, Claudine Gay, au premier plan, Sally Kornbluth, présidente du MIT lors d’une audition au Congrès mardi 5 décembre 202
©KEVIN DIETSCH / Getty Images via AFP

Inversion de tendance

Le retentissement pris par l’audition des présidentes des universités de Harvard, du MIT et de Penn -incapables d’indiquer clairement si le génocide des juifs était permis ou non par leur code de conduite- pourrait bien avoir marqué un tournant

Fabrice d'Andrea

Fabrice d'Andrea

Fabrice d’Andrea est républicain universaliste, hostile à tous les extrémistes politiques ou religieux. Fabrice d’Andrea écrit dans Franc-Tireur et est Cofondateur d’On vous voit.

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Atlantico : La Présidente de l’Université de Pennsylvanie, Liz Magill, a annoncé sa démission suite à ses propos relativistes sur l’antisémitisme tenus au cours de son audition devant le congrès américain la semaine dernière. Au cours de cette audition, elle avait refusé, comme les Président des écoles de Harvard et du MIT,de condamner ceux qui appellent au génocide des juifs. Selon eux, "ça dépend du contexte". Une partie des élites a-t-elle perdu la tête? Comment expliquer ce discours surréaliste ?

Fabrice d'Andrea : Cette séquence est proprement terrifiante. À chaque fois qu’on pense avoir atteint les limites de l’ignominie, une nouvelle étape est franchie. On s’attendait légitimement à une condamnation sans appel de propos appelant à un nouvel holocauste. Mais les étudiants américains, déjà très sensibles au discours woke, se sont encore radicalisés à l’occasion du pogrom du 7 octobre dernier commis par le Hamas contre des israéliens. Là ou la gauche démocrate américaine soutenait traditionnellement les juifs, ces étudiants sont en train de changer de paradigme. Les juifs sont perçus non plus comme une minorité victime de discriminations, mais comme une communauté aussi condamnable que les blancs, faisant parti des dominants, et considérés comme des colonialistes qui oppriment les palestiniens. Les présidentes d’université avaient des marges de manœuvre, en s’appuyant sur le règlement intérieur des universités, qui pose des limites à la vision très extensive de liberté d’expression telle qu’elle s’applique aux États-Unis. Mais il semble qu’elles aient eu peur de les utiliser. En réalité, elles  risquent leur poste si elles se montrent critiques face à ces terrifiantes dérives. Pour ne pas froisser ces étudiants sensibles à la moindre micro-agression, les présidentes d’université ne pouvaient donc pas condamner ceux qui appellent au génocide des juifs. Ce climat d’hystérisation, qui n’est pas sans rappeler le maccarthysme, les a conduites a se réfugier derrière un discours inaudible. Face au tollé, la présidente de l’université de Pennsylvanie avait d’ailleurs retropedalé en déclarant : «Un appel au génocide du peuple juif est un appel à certaines des violences les plus terribles que l'être humain puisse perpétrer. C'est mal, purement et simplement». Mais elle avait très certainement sous-estimé l’ampleur des réactions et elle a dû finir par démissionner. 

Cette audition au Congrès a manifestement provoqué un électrochoc. Depuis plusieurs jours, certains étudiants qui ont déchiré des affiches d’otages israéliens ont vu leurs bourses universitaires annulées, leurs inscriptions à la fac suspendues et leurs résidences universitaires retirées. Même Disney fait marche arrière vu les résultats économiques de ses derniers films. L’heure du coup d’arrêt a sonné pour le Wokisme aux Etats-Unis ? 

Je pense qu’il ne faut pas crier victoire trop tôt.  Face aux excès qui semblent sans limite et qui ont atteint leur paroxysme avec cette affaire de non condamnation de l’appel au génocide des juifs, il est normal qu’il y ait des réactions très fortes. Il y en avait déjà eu par le passé dans le monde de l’entreprise, qui commence à mesurer le fait qu’adhérer aux idées wokes n’est pas forcément aussi rentable qu’elles l’imaginaient. L’exemple de Disney est à ce titre très pertinent. Le pragmatisme américain reste de mise : si l’engagement« woke » n’offre pas un bon retour sur investissement, les entreprises sont prêtes à changer rapidement leur fusil d’épaule. En outre, la société américaine est très polarisée et les wokes se sont faits aussi beaucoup d’ennemis. On voit que la bataille peut être acharnée et même avoir des conséquences très lourdes  pour les individus. Mais le mal est profond : le wokisme a gangrené les universités, le monde de la culture, une partie importante des médias mais aussi de très nombreuses politiques publiques censées lutter contre les discriminations. Si l’on est optimiste, on pourrait considérer qu’on assiste aux premiers signaux d’un déclin des idées woke. Mais, quand bien même cela serait le cas, cette mode intellectuelle mettra à mon sens du temps avant de connaître un reflux voire de devenir marginale. Sans compter qu’il faudra voir par quoi elle sera remplacée puisque le wokisme a succédé au politiquement correct et n’a fait qu’amplifier les excès de cette dernière tendance.  

Quid de la situation en France ? Sciences-Po Paris vient d’être frappé d’un nouveau scandale de mœurs. Des affiches en hommage à Thomas étaient arrachées il y a quelques jours sur le campus alors que des manifestations en soutien aux palestiniens étaient organisées il y a quelques semaines. A Menton, des étudiants de sciences-po ont assimilé sur une publication Instagram les combattants du Hamas à des résistants palestiniens. Ce naufrage moral doit nous interroger ? 

La situation en France est inquiétante mais n’atteint pas le même niveau de polarisation ni d’hystérisation qu’aux États Unis. Il est vrai que la France dispose d’un certain nombre « d’anticorps ». Son modèle  universaliste et républicain, certes fragilisé et critiqué, est radicalement différent du modèle communautariste et multiculturaliste anglo-saxon très propice au développement du wokisme. Contrairement aux Etats-Unis, la France n’a pas connu d esclavage sur son territoire métropolitain, ce qui la rend moins propice au sentiment de culpabilité favorable au développement des idées woke. Et notre pays est très éloigné du puritanisme anglo-saxon qui a aussi servi de terreau au développement du wokisme, considéré par de nombreux observateurs comme un puritanisme progressiste. Pour autant, le wokisme a malgré tout beaucoup progressé dans l’hexagone et il exerce une influence inquiétante dans certains milieux , notamment à l’université et chez les jeunes.  Il est ainsi assez préoccupant de voir que les élèves des grandes écoles sont également sensibles au phénomène. C’est le signe d’une radicalisation des futures élites : ainsi les étudiants de Sciences Po étaient jusqu’il y a peu de gauche mais de tendance sociale démocrate. Ils sont aujourd’hui devenus majoritairement favorables à Mélenchon. C’est forcément inquiétant car ils occuperont  des fonctions clés dans le monde de l'administration, des entreprises et aussi dans les partis politiques et au gouvernement. La question reste de savoir comment ils auront « digéré » leurs idées de jeunesse une fois arrivé aux responsabilités. 

On dit toujours que l’Europe copie les Etats-Unis, devons-nous mettre fin au wokisme rapidement ? Pouvons-nous le faire en France de la même manière qu’aux Etats-Unis vu que nous gravons tout dans la loi ?  

Malheureusement la fin du wokisme ne se décrète pas. Si le wokisme finit par refluer aux États-Unis, cela aura forcément des répercussions en France. Mais ces deux sociétés sont très différentes et les acteurs ne disposent pas des mêmes leviers. Il n’y a par exemple pas de riches donateurs privés en France qui pourraient exercer des pressions sur les universités. A l’inverse, les entreprises française sont moins sensibles que leurs homologues américaines au wokisme, même si les idées liées à ce nouveau progressisme gagnent du terrain, comme on le voit avec Sephora qui, au nom de l’inclusivité, promeut le combat des hidjabeuses qui réclament le droit de porter le voile dans les compétitions sportives. Le combat contre le wokisme ne pourra donc pas se faire de la même manière en France qu’aux États-Unis. Dans notre pays, la défense du modèle républicain universaliste et laïque, qui devra être réaffirmé et modernisé peut constituer la solution. À l’inverse, les errements d’Emmanuel Maçon, qui, au nom du « en même temps », a pu nommer des personnalités influencées par le wokisme  comme l’ancien ministre de l’éducation nationale Pap N’Diaye font beaucoup de dégâts. 

Au niveau européen, là aussi des discours inquiétants. A l’image de Helena Dalli, la commissaire européenne en charge de l'égalité, qui a récemment accusé, dans une vidéo, l’Europe d'être historiquement raciste et de ne pas parvenir à s'en défaire. Elle mettait en avant le plan d'action de l'Europe contre le racisme comme l'engagement "en faveur d'une Europe diversifiée et égalitaire, confrontée à notre passé colonial et construisant un avenir sans dicrimination". L'histoire de l'Europe n'est pas celle des Etats-Unis. Doit-on importer la vision raciale américaine sur notre continent et dans nos institutions ? Ce type de discours est-il encore audible et acceptable ?

Helena Dalli n’en est pas à son coup d’essai. Elle est déjà à l’origine de la publication en 2021 d’un « Manuel de la communication inclusive » destiné aux fonctionnaires de la Commission européenne et qualifié par certains observateurs de « modèle de bien-pensance à l’anglo-saxonne ». 

Dans une synthèse assez effrayante entre le langage bureaucratique et l’idéologie woke, ce manuel indiquait notamment qu’« une exposition séculaire au racisme structurel et culturel signifie que même si nous le rejetons activement, certains stéréotypes et préjugés subconscients peuvent encore être présents. Nous devons en prendre conscience afin de lutter contre les préjugés implicites et d'éviter qu'ils ne transparaissent involontairement dans notre communication. »

Ce manuel, qui, afin d’être inclusif, incitait à éviter de faire référence à Noël et d’utiliser les termes « Mesdames et Messieurs », met aussi en garde contre la connotation négative du terme « colonisation" en invitant à parler « d’envoi d’humains sur Mars » plutôt que « de colonisation de Mars »…

La vidéo d’Helena Dalli publié sur X va encore plus loin puisqu’qu’elle reprend totalement à son compte les théories anglo-saxonnes sur l’existence d’un racisme structurel des Blancs, fruit d’une histoire coloniale et du commerce des esclaves et explique que l’approche intersectionnelle permet de comprendre le racisme et de le combattre. C’est totalement absurde puisque certains pays européens n’ont jamais eu de colonies ni participé au commerce triangulaire. Et c’est particulièrement choquant car l’UE adopte un discours d’extrême gauche sans aucun débat contradictoire et l’impose à l’ensemble des citoyens européens au nom d’une certaine mauvaise conscience historique. Affronter un passé douloureux ne nécessite pas d’arriver à de tels excès, qui font des blancs européens les seuls responsables de tous les maux du monde, comme si le colonialisme de l’Empire Ottoman ou la traite négrière arabo-musulmane n’avaient jamais existé. Helena Dalli cautionne en outre là thèse qui voudrait que seuls les blancs soient racistes. Le racisme est pourtant malheureusement universel et se retrouve sur tous les continents. On peut citer le cas de la Tunisie, où les citoyens noirs sont gravement discriminés sans que cela n’émeuve les partisans du wokisme et où le président Kaïs Saïed a parlé de grand remplacement pour qualifier l’arrivée de migrants subsahariens dans son pays, recyclant ainsi les thèses  les plus racistes mises en avant en France par l’extrême-droite zemmourienne.  Espérons que le gouvernement français proteste contre ce discours, comme ce fut déjà le cas lorsque Helena Dalli avait reçu l’association FEMYSO, mouvement proche des islamistes, qui avait mené une campagne ayant pour thème « la Liberté est dans le hijab », mettant en avant les femmes voilées comme un modèle de liberté

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