Vu des Etats-Unis : "Les politiques de radiation" ou comment on maquille le chômage en France<!-- --> | Atlantico.fr
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Les motifs de radiations de Pôle emploi sont de plus en plus abusifs, et les radiations permettent de "cacher" toujours plus de chômeurs.
Les motifs de radiations de Pôle emploi sont de plus en plus abusifs, et les radiations permettent de "cacher" toujours plus de chômeurs.
©Reuters

Trucage

Le ministre du Travail, Michel Sapin, s'est félicité dimanche 27 janvier des derniers chiffres de l'emploi. Mais les motifs de radiations de Pôle emploi sont de plus en plus abusifs, et les radiations permettent de "cacher" toujours plus de chômeurs.

Wolf  Richter

Wolf Richter

Wolf Richter a dirigé pendant une décennie un grand concessionnaire Ford et ses filiales, expérience qui lui a inspiré son roman Testosterone Pit, une fiction humoristique sur le monde des commerciaux et de leurs managers. Après 20 ans d'expérience dans la finance à des postes de direction, il a tout quitté pour faire le tour du monde. Il tient le blog Testosterone Pit.

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Les affreux chiffres du chômage sont politiquement gênants pour les démocraties. Les hommes politiques, les joues rougies par la honte, doivent trouver des excuses, et des élections entières peuvent être perdues à cause de cela. Chaque pays a donc mis en place des systèmes statistiques indiscutables pour rendre les chiffres plus attrayants, ou moins désastreux, quelles que soient les réalités qu’ils recouvrent.

La France, qui possède un des systèmes d’indemnisation chômage les plus généreux (et couteux) en Europe, ne fait pas exception. Mais elle a aussi un outil administratif à sa disposition : il consiste à retirer chaque mois des dizaines de milliers de personnes des circuits d’indemnisation pour des raisons fallacieuses. Cela a même un nom : les "politiques de radiation".

Comme tous les pays, la France dispose d’un grand nombre d’études qui tentent de cacher, ou au contraire de faire la lumière sur son fiasco du chômage. Les deux plus médiatisés : l’enquête de l’Insee, qui inclue le taux de chômage global, et le rapport de Pôle emploi, basé sur le nombre de personnes qui reçoivent une indemnisation. Et ce nombre est très important en France.

Alors, quand Pole emploi a publié les chiffres de décembre vendredi, le ministre du Travail Michel Sapin – l’homme qui a laissé échapper pendant une interview à la radio que la France était "totalement en faillite" - s’est avancé dans la lumière des projecteurs. Et il a tapoté dans le dos du gouvernement : après 20 mois consécutifs de sévère dégradation, les chiffres du chômage s’étaient encore détériorés, mais moins.

"Je peux voir le signe d’une activité économique qui n’est pas aussi dégradée que ce que l'on dit", a-t-il annoncé, rassurant, à ses anxieux compatriotes. Quant à l’économie : "nous ne nous effondrons pas", a-t-il affirmé, consolateur. "Les politiques cumulatives pour l’emploi" entreprises par le gouvernement pourraient même mener à un rebond au second semestre, s’est-il risqué à envisager.

Pourquoi cet optimisme morose ? Pôle emploi a annoncé qu’à la fin décembre, 3 132 900 personnes recevaient une indemnisation chômage en France continentale – sans compter les départements d’Outre-mer. A peine 300 de plus qu’en novembre. Pas mal, une année ou 284 600 chômeurs de plus s’étaient accumulés – un bond de 10%.

En prenant en compte les personnes employées à temps partiel, le chiffre a grimpé de 10 200 en décembre pour atteindre 4 627 000 personnes. Un record absolu. Le chiffre des chômeurs de plus de trois ans a dépassé la barre du demi-million. Un autre record absolu. "Cette stabilité est significative", a expliqué Sapin.

Hélas, la réalité était bien plus noire : le nombre des personnes retirées du circuit d’indemnisation pour des raisons administratives a grimpé de 25% Cela a eu l’effet d’embellir l’apparence du taux de chômage. Les critiques des "politiques de radiation" appellent cela la pratique.

En moyenne, 41 300 personnes par mois ont été éjectées de la liste en 2012, et 8 000 ont été rajoutées à la liste le mois suivant. Mais il ne s’agissait pas seulement d’un nouveau stratagème du gouvernement de François Hollande pour poser du fard à joues sur une situation désastreuse. En 2007 déjà, 50 000 personnes ont été retirées de la liste chaque mois, selon un rapport que Jean-Louis Walter, le médiateur de Pôle emploi, a présenté à Sapin le 31 janvier.

Ce n’est pas qu’un jeu statistique : les indemnisations chômage versées à ces personnes sont aussi coupées. Walter propose donc de limiter ces radiations abusives. Et il souhaite éliminer une catégorie de justification administrative qui a permis 15% des radiations : l’absence à un rendez-vous chez Pole emploi. "Considérer systématiquement l’absence comme un refus de remplir ses obligations est exagéré, en particulier pour des raisons aussi sporadiques et involontaires que lorsque quelqu’un est en retard de dix minutes à un rendez-vous", a-t-il fait valoir.

Une partie de problème réside dans le fait qu’il est difficile de revenir sur cette décision. Une fois que le coupable qui est arrivé "dis minutes en retard" est rayé de la liste, il doit justifier par mail les raisons de son retard. Il existe des raisons "légitimes" pour manquer un rendez-vous chez Pôle emploi, comme une comparution au tribunal. Mais c’est Pôle emploi qui décide, et une procédure d’appel kafkaïenne pèse sur les épaules du chômeur. Les plaintes pour abus sont légion – par exemple, celle d’un chômeur rayé de la liste alors qu’il était arrivé au rendez-vous, mais pas le conseiller !

Walter réclame une échelle de sanction plus juste et un processus plus simple. Le système devrait être réformé pour des raisons pragmatiques et humaines, et les personnes devraient être retirées "seulement pour une raison juste", a-t-il dit. Mais la réforme s’intéresserait "aussi aux politiques de radiation qui sont utilisées pour limiter la montée explosive des chômeurs."

Si elle était mise en œuvre, la réforme pourrait mener à des chiffres du chômage plus élevés qui inspireront certainement à Monsieur Sapin de nouvelles contorsions verbales pour les expliquer. Dans le même temps, les Français ont exprimé leur défiance envers la classe politique en en appelant à un leadership autoritaire, un "vrai leader" qui "rétablirait l’ordre". (Lire : Est-il vraiment possible que 87% des Français souhaitent un homme fort pour rétablir l’ordre ?)

Publié sur Testosterone Pit

Traduit de l’anglais par Julie Mangematin

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