Vu des Etats-Unis : l'odeur fétide qui émane soudain des banques européennes<!-- --> | Atlantico.fr
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Crédit Agricole, la 3e banque française, a annoncé 3,8 milliards de dépréciations d'actifs.
Crédit Agricole, la 3e banque française, a annoncé 3,8 milliards de dépréciations d'actifs.
©Reuters

Ça sent le roussi

Sauvetages financiers, enquêtes pour fraude, manipulations des taux, dépréciations d'actifs... De la France à la Grèce en passant par les Pays-Bas, les banques européennes accumulent les ennuis.

Wolf  Richter

Wolf Richter

Wolf Richter a dirigé pendant une décennie un grand concessionnaire Ford et ses filiales, expérience qui lui a inspiré son roman Testosterone Pit, une fiction humoristique sur le monde des commerciaux et de leurs managers. Après 20 ans d'expérience dans la finance à des postes de direction, il a tout quitté pour faire le tour du monde. Il tient le blog Testosterone Pit.

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Nous sommes maintenant habitués à l’odeur émanant des banques – sauvetages, blanchiment d’argent, manipulation du taux du Libor, et autres méfaits. Mais en Europe, ces derniers jours, l’odeur s'est faite particulièrement forte.

Une bouffée nauséabonde est venue de Barclays vendredi 1er février, lorsque des fuites ont révélé que la banque faisait l’objet d’une enquête de l’Autorité des services financiers et du Bureau des fraudes graves au Royaume-Uni pour collecte de fonds illégale en 2008. La banque aurait secrètement prêté 5,3 milliards de livres (8,4 milliards d’euros) à un des fonds d’investissement souverain du Qatar, qui s’est ensuite retourné et qui a rendu cette somme à Barclays en grande pompe – une manœuvre permettant de lever des fonds sur le papier, pour échapper à une prise de contrôle du gouvernement pendant la crise financière.

Ensuite, le Crédit Agricole, troisième banque française, a annoncé 3,8 milliards de dépréciations d’actifs, principalement des dépréciations d’écarts d’acquisition, en raison "de l’actuel environnement macroéconomique et financier". Il y a écart positif d'acquisition - survaleur, ou goodwill - lorsqu'un bien a été acquis au-dessus de sa valeur réelle : il a été acheté trop cher – des frais qui, par une bizarrerie comptable, sont temporairement classés dans le bilan comme des actifs avant de passer du côté des charges par la suite. Après la dépréciation, la banque aura toujours environ 14 milliards de survaleur qui encombreront son bilan, et d'autres dépréciations sont à venir. Elle a déjà fait une croix sur 2,5 milliards l'an dernier, lorsqu'elle a accepté de vendre sa participation dans la banque grecque Emporiki pour 1 euro, alors qu'elle l'avait acquise dans un timing impeccable en 2006 pour 2,2 milliards.

Les banques grecques... oh mon dieu ! Elles font l'objet d'une enquête du pôle financier du parquet d'Athènes concernant les 232 millions de prêts qu'elles ont accordé aux partis au pouvoir, la Nouvelle Démocratie du Premier ministre Antonis Samaras et le Pasok socialiste. Une cour a officiellement désigné le chef d'accusation ainsi : "suspicion de crime contre l’État".

L'État grec finance les partis politiques sur la base de leur poids électoral, et des deux partis ont fourni comme garantie à ces prêts un financement hypothétique, espéré, de la part de l'État. Mais, lors de l’élection de juin dernier, la Nouvelle Démocratie est passée de 33% à 29% de voix, et le Pasok de 43% à 12%. Le financement de l'État s'est donc logiquement effondré, et certains des prêts tournent au vinaigre.

Ironie amère : les banques grecques vacillantes, qui espéraient à l'époque être renflouées par les contribuables des pays voisins, ont financé les partis politiques grecs qui ont eux-même négocié ensuite les plans de sauvetage avec les partenaires européens au profit des investisseurs bancaires (Proton Bank a été renflouée en 2011, bien qu'elle fut engagée dans des activités de fraude, de détournement de fonds, et de blanchiment d'argent, lorsqu'une bombe a explosé : lire "Le fonds de soutien européen au blanchiment d'argent grec et à la fraude").

Toujours vendredi, SNS Reaal, quatrième banque des Pays-Bas, a encore été renflouée – après un premier sauvetage en 2008. Cette fois, elle a été nationalisée. Le paquet de 10 milliards coûtera d'abord au contribuable 3,7 milliards. Les actionnaires et les détenteurs de la dette junior ont perdu de l'argent aussi, mais les détenteurs de dette senior et les obligations sécurisées en ont été indemnisés.

Il n'y a jamais d'alternative aux sauvetages. Un effondrement aurait "des conséquences trop vastes et indésirables" selon le ministre des Finances Jeroen Dijsselbloemsaid. De même que le tout nouveau président de l'Eurogroupe, il a confirmé que les sauvetages bancaires seraient la norme dans la zone euro.

Ils se refusent à laisser ne serait-ce que la plus petite banque faire défaut, craignant que sa chute n’entraîne dans le système financier tout entier une perte de la confiance des marchés déjà aussi mince qu'une feuille de papier – et ce alors que la crise de la dette vient justement d’être déclarée "terminée" officiellement. Alors, se fondant sur les règles de fonctionnement en vigueur, le gouvernement hollandais a shanghaïé ses contribuables épuisés, dont les ceintures sont déjà serrées par l'austérité, les forçant à payer, une fois encore, pour les méfaits des banquiers.

En Italie, un scandale latent a été ravivé. Tout a commencé avec une enquête criminelle sur Monte dei Paschi di Siena, la troisième banque italienne, pour soupçons de manipulation de la bourse, faux en écritures comptables, obstruction aux activités de régulation, et fraude. La banque a utilisé des produits dérivés pour dissimuler ses pertes pendant la crise financière, mais ces pertes remontent maintenant à la surface. Alors Standard & Poor's a tout simplement suspendu l'indice de solvabilité de la banque, de peur que les pertes annoncées ne soient que la partie immergée de l'iceberg.

Cette forme d’ingénierie financière a été mise en lumière lorsque la nouvelle direction a jeté un œil dans les comptes. Maintenant, un sauvetage du gouvernement est en préparation. Parce qu'il n'y a jamais d'alternative. Contribuables, serrez vos ceintures !

Jeudi, la Deutsche Bank pataugeait plus profondément dans son bourbier d' "ennuis", parmi lesquels le scandale de la manipulation du taux interbancaire Libor, qui pourrait lui coûter 2,5 milliards, et le scandale de la fraude à la taxe carbone, qui a été révélé par un raid de la police au siège de la banque diffusé à la télévision. Donc, davantage de dépréciations sont à venir, et la banque a annoncé une perte de 2,2 milliards au quatrième trimestre. "En 2013", a déclaré son directeur Jürgen Fitschen, fort rassurant, "nous serons confrontés à d'autres développements dans cette affaire et d'autres".

Et d'autres ! La suite au prochain épisode. Les estimations évaluent déjà ces méfaits à hauteur de 10 milliards. Mais soudain : "Construire le capital est notre première priorité", a déclaré l'autre directeur Anshu Jain. Il veut le faire sans diluer les actionnaires actuels. "Mais dans ce monde incertain, je ne peux rien exclure", a-t-il confié à son auditoire.

Il s'avère que la banque a l'intention de se débarrasser fin mars de 16 milliards en credit default swaps à haut risque. Cela pourrait booster son ratio de capital de première catégorie de 8% à 8,5%. D'autres ventes du même type sont prévues – une vente en gros de la totalité de son portefeuille, une variante des méthodes d'ingénierie financière qu'elle a utilisées pour cacher tout ce qui devait être caché.

L'amère ironie de la crise financière est tout aussi banale que l'odeur putride l'est devenue depuis. Tout comme il est devenu routinier pour ces institutions impénétrables avec leurs statuts financiers opaques de transférer les risques et les pertes vers le peuple. Aux États-Unis, aussi, l'odeur refuse de se dissiper. Et rien n'indique que cela va changer rapidement.

Las de tout ceci, les Français – dont l'économie s'enfonce un peu plus dans la crise – ont exprimé leur dédain envers leur classe politique ; ils rêvent d'un gouvernement autoritaire, un "vrai leader" capable de faire le ménage et de "rétablir l'ordre". (Lire... Est-il vraiment possible que 87% des Français souhaitent un homme fort pour rétablir l’ordre ?)

Article paru précédemment sur le blog Testosterone Pit

Traduit de l'anglais par Julie Mangematin

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