Voitures électriques : les transformations de l’industrie automobile menacent 100 000 emplois en France<!-- --> | Atlantico.fr
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Un employé travaille sur des équipements de voitures électriques, dans une usine Renault, à Cléon, dans le nord-ouest de la France.
Un employé travaille sur des équipements de voitures électriques, dans une usine Renault, à Cléon, dans le nord-ouest de la France.
©Lou BENOIST / AFP

Bonnes feuilles

François-Xavier Pietri publie « Voiture électrique : ils sont devenus fous ! » aux éditions Litos. En 2035, votre voiture neuve sera obligatoirement électrique. Ce diktat européen est une folie. Une majorité de Français ne pourra pas s‘offrir son automobile : l'électrique coûte 50 % plus cher que le thermique… Cette décision offre aussi le marché européen aux Chinois. Extrait 2/2.

François-Xavier Pietri

François-Xavier Pietri

Journaliste économique, François-Xavier Pietri a notamment dirigé la rédaction de La Tribune et le service économie de TF1. Il a longtemps animé « Le club de l'économie » sur LCI.

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Le constat est implacable. Là où cinq ouvriers s’activaient sur une chaîne de montage pour produire un véhicule thermique, qu’il soit à essence ou au diesel, trois suffiront demain pour fabriquer une voiture électrique du même modèle. Et encore. On n’évoque là que les ateliers ultramodernes des grands constructeurs. La destruction d’emplois sera beaucoup plus massive si on se penche sur les soutiers, ceux qui produisent jusqu’à 80% des pièces nécessaires à la fabrication d’une voiture thermique. On les appelle les équipementiers, plus particulièrement ceux qui, aujourd’hui encore, fabriquent des culasses, des pots d’échappement, des carburateurs et autres boîtes de vitesses… Objets devenus parfaitement inutiles demain. Il suffit de soixante-dix pièces différentes pour construire un moteur électrique, contre près de trois cents pour un thermique…

De l’autre côté de la chaîne, une fois la voiture électrique sur la route, pas de chance, il faudra aussi compter les victimes de la casse sociale. Les milliers de garagistes et de concessionnaires, qui n’auront pratiquement plus de réparations et d’entretien à faire. Quant aux casseurs, qui devront déconstruire de la batterie, c’est une autre paire de manches que le recyclage d’un moteur. Sans parler des stations-service qui devront se reconvertir en gestionnaires de bornes de recharge, avec deux ou trois fois moins d’emplois à la clé.

Tous les observateurs s’accordent sur ce point, c’est une catastrophe sociale qui s’annonce pour une industrie tout entière. La bascule d’un modèle à l’autre, en à peine une demi-génération, va signer l’arrêt de mort de centaines de métiers et de dizaines de milliers d’emplois. De l’amont à l’aval, en partant de l’épicentre que constituent les chaînes de montage, des dizaines de milliers d’entreprises sont concernées, celles qui travaillent depuis des décennies dans l’ombre des constructeurs, ou celles qui servent les automobilistes et entretiennent leurs voitures.

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500 000 emplois menacés en Europe

Les chiffres sont accablants et difficilement contestables. À l’échelle européenne, ce sont plus de 500 000 emplois qui sont menacés, selon les travaux effectués pour le compte de l’Association européenne des fournisseurs automobiles (CEPA). Faux sujet pour les adeptes du paquet Fit-for-55 qui se rangent un peu facilement sous l’ombrelle protectrice du concept de la « destruction créatrice ». C’est l’un des enseignements majeurs des travaux de l’économiste autrichien et naturalisé américain, Joseph Aloïs Schumpeter, selon qui lorsque la destruction est créatrice d’innovation, elle produit plus d’emplois qu’elle n’en a détruit. Concept facilement brandi pour qui veut justifier la casse sociale.

Il est vrai que, face à la destruction, il y aura bien de nouveaux emplois. Dans les logiciels, dans ce qu’on appelle l’électronique de puissance (l’utilisation de l’énergie électrique pour faire rouler une voiture), dans la fabrication et l’assemblage des batteries… La même étude chiffre ces créations à plus de 225000 emplois nouveaux. Ce qui, au passage, laisse quand même sur le carreau quelque 275 000 personnes.

Et encore, à condition que les filières nécessaires à ces créations soient bien européennes. La batterie est délocalisable, pas le garagiste. Rien ne dit que la filière de batterie « made in UE » que la Commission européenne appelle de ses vœux sera suffisamment compétitive pour affronter la concurrence asiatique. On verra plus loin que ce pari est loin d’être gagné. Remplacer les garagistes et les ouvriers par des ingénieurs et des personnels hautement qualifiés ne va pas être une mince affaire…

Pour ne rien arranger, l’automobile européenne affronte cette révolution les jambes coupées par l’une des pires crises qu’elle ait eu à affronter. Une crise historique, où se conjuguent les coups du sort. La pandémie d’abord, qui s’est traduite par un effondrement des ventes de véhicules pendant les périodes de confinement. Avec, en corollaire, la quasi-mise à l’arrêt des métiers périphériques, de l’entretien aux équipementiers. Puis la crise des semi-conducteurs. La pénurie de ces composants électroniques, parfois plus petits qu’un grain de sable, sans lesquels il est aujourd’hui impossible de construire un véhicule, a mis à genoux l’industrie. Bilan: des milliers d’ouvriers au chômage technique, des usines à l’arrêt pendant plusieurs mois, des millions de voitures restées en pièces détachées.

(…)

100 000 emplois sur la sellette en France

En 2004, à l’apogée du secteur, 333000 personnes travaillaient dans la conception et la fabrication de voitures dans l’Hexagone, selon les données compilées par l’institut Rexecode pour le journal Les Échos. Aujourd’hui, ils sont péniblement 200 000… Une chute de plus de 130 000 emplois en une quinzaine d’années.

Si on ajoute tous les services associés à la voiture (entretien, recyclage, contrôles techniques…), la filière emploie au total environ 400000 personnes en France aujourd’hui. « Avec l’électrique, les compteurs sont remis à zéro », prévient Luc Chatel, président de la Plateforme automobile, qui regroupe notamment les constructeurs automobiles et les équipementiers. Résultat de cette mutation brutale et imposée: 100 000 emplois sur les 400 000 de la filière sont menacés. Il suffit de se pencher sur l’histoire sociale récente des groupes français pour voir que cette menace est bien réelle.

En 2011, le groupe PSA comptait encore près de 100 000 employés en France, ils sont environ 45 000 aujourd’hui. Les effectifs français de Renault sont sur la même pente. Progressivement, ces deux fleurons ont tourné le dos à la France, plus rapidement pour le second que pour le premier. Les écarts de coûts salariaux, le poids des impôts de production, bien plus élevés que chez nos voisins immédiats, le manque de compétitivité des salariés français, du moins sur l’aspect purement financier, ont coûté très cher à l’industrie automobile.

Que va-t-il se passer avec la bascule vers l’électrique? Les plans présentés par les deux firmes en début d’année 2022 ne font pas mystère des réductions d’emplois attendues. « Notre combat à nous, c’est désormais de limiter au maximum les 50% de surcoût de l’électrique (par rapport au thermique, NDLR), en cinq ans, ce qui se traduit par 10% de gain de productivité en moyenne par an, alors que l’industrie automobile, notamment en Europe, réalise entre 2% et 3% de gains par an! Il s’agit donc de passer de 2% ou 3% à 10% par an! » À qui doit-on cette déclaration de guerre sociale? À Carlos Tavares, dans un entretien accordé à quatre grands médias européens, dont Les Échos, le 18 janvier 2022. Le grand patron précise:

« L’esprit de compétition nous anime chez Stellantis et nous verrons dans quelques années les constructeurs qui auront survécu et les autres. » Ouf! Tavares ajoute: « Il est évident que si on interdit, comme cela a été décidé, la vente de véhicules thermiques à partir de 2035 en Europe, il va falloir commencer à transformer toutes les usines très rapidement. » Et d’indiquer, un peu plus loin, « nous avons tout un écosystème de sous-traitants autour de nous. Il va falloir qu’ils bougent aussi rapidement que nous. C’est la brutalité du changement qui crée le risque social. » Nous voilà prévenus. La traduction concrète n’a pas tardé à suivre.

Extrait du livre de François-Xavier Pietri, « Voiture électrique : ils sont devenus fous ! », publié aux éditions Litos

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