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Voilà pourquoi la vaccination (même réussie) ne nous sauvera pas
Voilà pourquoi la vaccination (même réussie) ne nous sauvera pas
©ALAIN JOCARD / AFP

Stratégie vaccinale

Le taux d’incidence dans un certain nombre de départements nous contraint à regarder en face la question des contaminations.

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

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Le président Macron a annoncé hier une accélération de la campagne de vaccination. C’est en effet indispensable. Mais vacciner dans un contexte de très forte transmission, est-ce la solution pour éviter une nouvelle phase endémique (ce que l’on appelle une vague mais qui n’a rien à voir avec l’eau) après la longue et continuelle accélération depuis le début de l’année? Est-ce suffisant sur le moyen terme en cette deuxième année de pandémie? Il y a plusieurs raisons d’en douter.

La pandémie est encore en pleine expansion en France, puisque les barrières immunitaires qu’elles soient naturelle, post-contamination ou vaccinale sont loin de pouvoir freiner la transmission du virus. Les difficultés du programme de vaccination en France repoussent la date à laquelle les Français seront vaccinés en nombre suffisant pour diminuer la mortalité. Sans l’immunité vaccinale, il ne faut pas reculer devant l’obstacle et renoncer (une fois de plus) à maîtriser la transmission.

Les trois figures de l’épidémie en France


Transmission et non circulation

Le virus Sars-CoV-2 ne circule pas, nous le transmettons dans nos gouttelettes et aérosols d’air expiré. En 24 heures nous expirons environ 20000 fois

La transmission est interhumaine, entre un porteur du virus et des personnes non immunisées

En fonction des cas, des signes cliniques, de la date du diagnostic, il y a deux semaines de transmission possible pour un porteur du virus

Maîtriser la pandémie nécessite une diminution drastique de la transmission

C’est pourquoi l’isolement de ceux qui ont le fort pouvoir de transmettre, les cas contacts et positifs est aussi essentiel

Le contact tracing est basé sur les données intelligentes et un système d’enquête ultrarapide

L’isolement est basé sur une organisation en réseau au contact de la population pour fournir les conseils et au besoin le toit, l'alimentation et les soins pour deux semaines et la contrainte quand elle est nécessaire


La transmission est élevée mais hétérogène sur le territoire

La transmission est mesurée à partir des cas positifs diagnostiqués, du pourcentage de ces cas positifs par rapport au nombre de Français qui se font tester, du nombre R et de l’évaluation par des modèles du nombre de cas réels. Ce nombre de cas réels comprend les faux négatifs, tous ceux qui sont asymptomatiques et ne se testent pas et ceux qui symptomatiques ne font pas le test pour différentes raisons. 

Figure N°1: nombre cumulé de cas confirmés de la Covid-19 par million d’habitants. Puisque les Français ne sont pas tous testés, ce nombre est inférieur aux cas réels. Les estimations du nombre de Français qui ont contracté le virus Sars-CoV-2 donnent un intervalle de 7 à 11 millions de personnes.

Mais attention ce nombre est une moyenne qui cache d’énormes disparités régionales (Figures N°1 & 2). C'est-à-dire que certains cantons sont à plus de 40-50% et d’autres territoires à moins de 5%. C’est ce que démontrent par ailleurs les taux d’incidence dès lors qu’on regarde un peu plus près les cantons, les arrondissements et encore plus finement par lieu d’habitation par exemple une copropriété de 100 appartements et ensuite par tranches d'âge (les autorités ont accès à ces données). Par exemple en Île de France, l'incidence des 20-29 ans est 474 pour 100 000 en augmentation de 15% en une semaine. Dans le 93, les 20 29 ans ont une incidence de 581. Dans le val de marne, l'incidence des 20-29 ans est de 576. Or le port du masque c'est 76% en France (observationnel et non déclaratif ) et il faut au moins 95% pour que les scénarios de transmission soient affectés. Comme nous l’avons tous constaté, le comportement au quotidien, en particulier le port du masque correctement ajusté, l’éloignement interpersonnel et l’hygiène des surfaces corporelles sont sujet à une courbe d’apprentissage. Ce qui signifie que si on s’en affranchit trop pour des raisons que nous trouvons excellentes mais qui sont la plupart du temps biaisées, il y a d’énormes trous dans la raquette. À 20 000 cycles respiratoires de plus d’un litre par jour ce ne sont pas les fomites qui contaminent c’est l’air ambiant et partager l’air ambiant est la chose la plus facile au monde.

Figure N°2: Une très grande disparité du taux d’incidence sur le territoire qui n’a jamais été analysée pour en rechercher les causes. Pourtant on retrouve les mêmes territoires de forte transmission qu’au mois de Mars 2020. La seule période où cette carte a été bouleversée a été l’été 2020 où un brassage important de populations s’est produit notamment vers les côtes atlantiques et méditerranéennes (). Depuis, les transmetteurs sont revenus à la maison. Cette géographie de la transmission met aussi en évidence l’accélération entre le 15 et le 23 Mars 2021(respectivement à gauche et à droite). Ne pas confiner le pays ne veut pas dire ne pas confiner complètement certains territoires mais une fois de plus c’est un peu tard.

Les décès cumulés, au-delà de 90000, représentent déjà un désastre.

Nous approchons du mur symbolique des 100 000 morts (Figure N°3). Ceci doit interroger chacun d’entre nous quand il ne porte pas correctement le masque ou s’affranchit de l’éloignement interpersonnel, mais également le gouvernement qui laisse les frontières sans quarantaine obligatoire et qui n’isole pas les cas contacts et positifs, ce 13 mois après le début de la pandémie. Pourtant les preuves scientifiques et rétrospectives sont très solides à l’appui de cette stratégie. Alors est-ce parce que 300 morts par jour c’est insuffisant pour déclencher une réaction? C’est probable.

Figure N°3: Nombre cumulé de décès dus à la Covid-19 par million d’habitants. Un nombre de tests limité et des incertitudes dans l'attribution de la cause du décès signifient que le nombre de décès confirmés peut ne pas être un décompte exact du nombre réel des décès dus à la COVID-19. L’INSEE estime que 3000 décès à domicile sont actuellement attribuables à la Covid-19. Il est vraisemblable que nous soyons dès aujourd’hui au-delà des 95000 morts.

Le troisième indicateur important est le déroulement de la campagne de vaccination

Chacun a bien compris que le “tout ouvert, advienne que pourra” est en réalité laisser le virus tuer un grand nombre de ceux qui sont fragiles dans un premier temps et ensuite un nombre significatif de ceux qui le sont moins mais qui pourraient ne pas trouver un lit avec de l’oxygène. C’est aussi laisser le virus contaminer des centaines de milliers de Français et provoquer des séquelles qui sont comme pour la mortalité sans commune mesure avec les autres viroses respiratoires notamment la grippe. Il ne fallait pas attendre l’échec de la Suède pour le savoir. Il fallait en Janvier regarder les faits et tenir compte de ce que l’on connaissait des précédents coronavirus pathogènes depuis 2003 et de l’expérience asiatique en la matière. La figure n°4 donne une idée de ce que produit un départ lent et une organisation chaotique de la vaccination dans une pandémie. De ce point de vue et comme nous sommes dépendants de l’approvisionnement de l’UE qui répartit les livraisons au prorata de la population, il est essentiel d’injecter toutes les doses reçues le plus rapidement possible. Jeter une dose est synonyme de laisser faire la transmission. S’arrêter de vacciner les fins de semaine ou ne vacciner que sur des amplitudes horaires réduites aussi. Croire que la vaccination de masse dans un délai court est aussi rapide quand elle est effectuée par des milliers d’acteurs peu organisés pour ce faire par rapport à une logistique de centres géants est un signe de déconnexion totale de la réalité. Les faits qui s’accumulent le démontrent. Dans ce domaine, le ministre de la santé a malheureusement dit tout et son contraire très vite, sans tenir compte des expériences étrangères réussies. C’est devenu une habitude et son revirement récent ressemble à une sévère correction.

Figure N°4: Doses cumulatives de vaccination contre le COVID-19 administrées pour 100 personnes. Ce décompte des doses uniques injectées n’est pas égal au nombre total de personnes vaccinées. Pour autant, il reflète le déroulement de la campagne de vaccination. Il faut rappeler le contexte en France: le port du masque est inférieur à 76% mais les interactions sociales sont très diminuées depuis le couvre feu à 18 heures, moins 41% par rapport à la mobilité normale.  À frontières ouvertes et sans traçage, pistage et isolement des cas contacts et positifs la seule arme contre la pandémie est la vaccination. Or pour constituer cette barrière immunitaire, il faut ajouter aux Français vaccinés à deux doses, ceux qui ont été immunisés par la contamination et la maladie. Il ne s’agit pas de faire des pronostics mais de calculer de semaine en semaine quand la vaccination va produire des effets significatifs, c’est à dire non seulement chez les plus de 75 ans mais dans toutes les tranches d'âge.

Est-il possible de casser la transmission sans confiner le pays?

Agir très tôt car le temps qui passe permet et amplifie la transmission tant que rien n’est fait

Si le développement des trois vaccins autorisés est prodigieux, et ce quelque soit ce qui se passe en ce moment, le développement d’antiviraux contre le Sars-CoV-2 ou bien d’anticorps monoclonaux s’avère difficile. Si nos traitements ont considérablement progressé, chacun a bien compris que la solution n’est pas de laisser faire la pandémie et de demander des “lits de réa” comme on demanderait une augmentation de salaire. Chacun a bien compris que chaque transmission démarre une chaîne arborescente qui conduit certains à l’hôpital et à la réanimation. C’est pourquoi la question des modalités d’action pour casser la transmission très élevée du virus par les Français depuis plus de deux mois se pose à nouveau. J’ai dès mars 2020 pointé l’échec du confinement indifférencié généralisé (CIG) (https://www.atlantico.fr/article/decryptage/confinement-indifferencie--une-punition-collective-de-moins-en-moins-justifiable-les-preuves-scientifiques-confinement-covid-19-guy-andre-pelouze) qui est une décision pour pallier l’échec de la protection personnelle et de l’isolement. Nous n'échapperons pas à la nécessité d’isoler, à nos frontières et à l'intérieur, quelle que soit la réussite de la vaccination, au moins pour l’année en cours. Si nous ne réussissons pas l’isolement le prix à payer sera plus de morts et beaucoup plus de malades hospitalisés.

Il est toujours possible de casser la transmission et ce même à 25000 nouveaux cas par jour

La stratégie est connue:

  1. tracer, pister, retrouver les cas contacts et isoler de manière certaine et précoce les cas contacts et positifs. Il y a des moyens humains pour ce faire et une métrologie qui rend compte de l’efficacité de l’action publique (moyenne des cas contacts retrouvés par traçage et pistage, moyenne des isolements certains, % de refus et d’isolement contraint). Les Britanniques ont un système dimensionné pour ce faire et le mesurer. Que je sache nous en sommes dépourvus et pas plus dans la pandémie qu’avant il n’y a pas de hasard dans la métrologie de l'action publique.
  2. d’imposer une quarantaine sans exception aux frontières, ce qui n’est pas fermer les frontières aux individus mais les rendre étanches aux porteurs du virus et en particulier des variants
  3. de confiner périmétralement très tôt (c’est à dire ne pas attendre 500-1000 d’incidence pour 100 000) et strictement (c’est à dire renvoyer chez eux ceux qui entendent se confiner ailleurs). Tous les foyers trop importants comme des cités, écoles, administrations, entreprises ou cantons doivent être circonscrits au début pour éviter ce que nous avons vu en Mars 2020 ou bien récemment dans le Nord ou bien en PACA. les écoles ne peuvent rester ouvertes dans les zones de forte transmission. Ce n’est une force que de vouloir quoi qu’il en coûte que les écoles restent ouvertes, c’est une faille.

Un an après le début de la pandémie, ces trois piliers de la maîtrise de la transmission n’ont pas été construits. C’est un indiscutable échec, et nous enregistrons plus de 20 000 cas confirmés par jour soit le double en réel... Cet échec résulte de décisions politiques. Le président veut éviter le mot frontières ce qui conduit à un immense laxisme quand un individu veut entrer en France. Le premier ministre a affirmé, contre toute évidence, que l’isolement ne pouvait être contraint car nos lois s’y opposeraient. De telles orientations politiques ont un prix. Ce prix c’est le nombre de morts. Et c’est aussi le CIG, mesure incohérente et économiquement très coûteuse auquel nous avons eu recours deux fois et de manière prolongée. Car quand l’épidémie qui débute une phase exponentielle c’est trop tard.

Ne pas confiner ce n’est pas laisser faire la transmission et/ou compter sur le printemps, la com et quelques flyers.

En quelque sorte Emmanuel Macron a été pris au piège de sa propre politique. Quelles que soient les raisons de son choix du couvre feu au lieu du confinement local très fermé ou du CIG, choix sur lequel je reviens plus loin, une non décision ne diminue en rien la transmission. Ce choix aurait dû être conçu avec une politique d’isolement aux frontières et à l'intérieur. Car cette transmission forte et hétérogène du virus que nous observons, produit des cas symptomatiques plus nombreux et des malades à hospitaliser en plus grand nombre. Il ne faut jamais oublier que dans cette phase endémique de l’épidémie tout se prolonge dangereusement, le pic est plus étalé et surtout voilà des mois que la transmission est très élevée et en croissance linéaire (Figure N°4). Le plateau invoqué par les scientifiques de pacotille est imaginaire ou mensonger. Le résultat d’un couvre feu sans isolement à l'intérieur et aux frontières c’est une épidémie qui se prolonge avec un risque d’embrasement. Rappelez vous en Mars 2020 les stupides qui ne voyaient pas arriver la phase exponentielle. Ne pas confiner traduit des tensions fortes au niveau de l’exécutif mais pas une stratégie d’action.

Le rôle des variants

Compte tenu de l’absence de toute mesure efficace pour empêcher les cas contacts et positifs de transmettre, le rôle des variants est secondaire dans cette dynamique de l’épidémie. C’est pourquoi les invoquer pour expliquer cette poussée endémique est une échappatoire politique. En effet les variants n’ont pas d’ailes, ils ne circulent pas plus que la souche historique. Nous les transmettons entre humains non immunisés. Il est très difficile de modéliser leur rôle dans l’occupation des lits de réanimation ou bien la gravité et la mortalité et quoi qu’il en soit c’est beaucoup trop tard. En revanche leur arrivée, qui n’est pas une surprise, aurait dû conduire à renforcer immédiatement les mesures pour casser la transmission. Dans ce domaine, notre stratégie, en France, n'a pas progressé depuis un an. S’en remettre à des incantations du premier ministre pour l’isolement est un aveu d’impuissance significatif pour un pays où l'État prélève presque la moitié de la richesse produite et en dépense presque 60%! Les variants comme la souche historique ne sont arrêtés que par les masques et l’éloignement interpersonnel. Porter un masque FFP2 est un conseil utile car ces masques sont beaucoup plus étanches et diminuent le risque d’inspiration d’aérosols contaminés à l'intérieur en même temps qu’ils filtrent mieux.

Jamais, un an après le début de la pandémie, la scène politique n’a été aussi confuse et chaotique

Il n’y a aucun consensus politique en France autour de la pandémie

Ce n’est pas tant parce que l’opposition est véhémente mais plutôt que le président se disperse et n’arrive pas à se concentrer sur l’essentiel: l’union du pays et la réponse à la pandémie. Plusieurs éléments factuels viennent à l’appui de ce constat. Emmanuel Macron s’occupe de l’Afrique alors qu’il n’a pas assez de vaccin pour ceux qui l’ont élu et les autres; de surcroît le continent Africain est peu affecté en raison de l’âge moyen de sa population, de sa latitude et de son ensoleillement et du mode de vie plutôt à l'extérieur! Emmanuel Macron parle d’un “pass sanitaire”, mais c’est flou et grevé d’une grande incertitude puisqu’il annonce en même temps des exceptions… Dans le même temps Israël a développé un passeport immunitaire infalsifiable prenant en compte les vaccinés et les guéris ayant des anticorps. Enfin le petit monde parisien des journalistes des grandes chaînes (c’est à dire assez peu de monde mais beaucoup d’heures de présence télévisuelles) laisse fuiter la phrase du moment:

“Je ne confinerai pas tant qu’il y a des stocks de vaccin non utilisés”. Dans un unanimisme stupide, la presse trouve cela génial. Cela rappelle la fascination de certains qui trouvent notre président tellement intelligent qu’il serait difficile d’exister auprès de lui. Sauf qu’il est président de la république et que la vaccination n’est pas une tâche secondaire à laisser aux bureaucrates des ARS. Il faut déléguer en gardant un contrôle serré. Il le sait parfaitement, au moins depuis l’épisode des machines à lire les test rt PCR où les ARS avaient fait un petit bras de fer, un scandale et une cause de retard dans le diagnostic de masse. Il est responsable de ce retard de la vaccination. Cette phrase, qui manie le paradoxe, est erronée. C’est exactement le contraire. Ce sont deux actions différentes dans le l’impact, la temporalité et les critères de décision. Confiner est le constat de l’échec à maîtriser la transmission. Quand on est au seuil des 1000/100 000 c’est une action efficace si elle est respectée parfaitement (c’est un sujet en France compte tenu de l’hétérogénéité de l’état de droit) car elle agit vite. Il faut aussi qu’elle soit courte, c'est-à-dire deux ou au maximum trois semaines, car le coût économique est élevé. C’est tellement vrai que si la transmission ne ralentit pas, nonobstant la part de variants, il faudra le faire car la mortalité journalière est insoutenable et le nombre de personnes en réanimation considérable. Plus on attend, moins les mesures ciblées sont efficaces, plus le confinement doit être étendu. Vacciner en revanche est efficace mais avec un délai. Ce délai en France est long car nous n’avons pas la volonté de vacciner au maximum de nos capacités c’est à dire entre 1 et 1,5 million de personnes par jour. Au total il faut faire les deux, le plus tôt sera le mieux.

Prééminence du politique? Pas vraiment, mais affichage réussi

En effet, il peut être nécessaire de confiner tout en vaccinant. Les Britanniques et les Israéliens l’ont démontré. C’est pourquoi nous devons aussi analyser une décision très commentée du président de la république. En ne décidant pas d’un CIG, Emmanuel Macron, selon la doxa, aurait affirmé la prééminence du politique sur le scientifique. La classe politique, les élus, se rassurent comme ils peuvent à défaut de faire l’effort de comprendre la pandémie. Et de nombreux journalistes formés uniquement aux sciences sociales d’applaudir. Même les “libéraux” ont “liké”. Que nenni. Il ne s’agit pas du tout d’une décision politique prise contre un avis scientifique. Quels sont les faits qui corroborent cette affirmation?

- Tout d’abord le CIG est reconnu comme un moyen de dernier recours beaucoup moins efficace que des mesures ciblées, limitées et différenciées à condition qu’elles soient précoces et appliquées réellement. Cela a été plusieurs fois mesuré par des études scientifiques complexes de modélisation qui sont remarquables. L’Élysée ne l’ignore pas. Cela ne date pas de cette pandémie.
- Ensuite, les modèles de l’épidémie en France ne prédisent pas un embrasement. Je n’ai pas accès aux données dont dispose le gouvernement mais à des modèles très corrects (si l’on en juge par leurs résultats passés), notamment le modèle de l’IHME issu de l’université de Washington et qui a l’avantage d’être actualisé en temps réel, ainsi qu’à ces prévisions du modèle de l’institut Pasteur qui a été récemment mis en ligne. L’IHME prévoit que le pic de nouveaux cas a déjà été atteint (Figure N°5) et que la décrue arrive assez vite.

Figure N°5: Prévision du modèle IHME concernant la transmission. On constate après la décrue une grande incertitude entre les scénarios. Manifestement plusieurs facteurs peuvent entraîner une résurgence endémique mais le scénario le plus probable est un retour à une situation où l’épidémie est maîtrisable. Par la vaccination associée aux autres mesures puisque le nombre de nouveaux cas va chuter drastiquement. Serons nous capable de décider de le faire? En Avril dernier nous n’avons pas réussi.

En ce qui concerne les décès c’est le contraire, malheureusement un % encore élevé de patients en réanimation vont décéder (Figure N°6).

Figure N°6: En revanche les décès journaliers vont croître car il y a beaucoup de patients en réanimation. Le mur des 100000 morts serait franchi début Avril.

Enfin et c’est très important le nombre de patients ventilés approche de son pic dans cette phase endémique, soit 2635 le 24 Mars. Certes ces prévisions sont assorties d’un intervalle de confiance très important (de 1291 à 8525 pour le nombre de patients ventilés) mais la tendance est là (Figure N°7). Confiner le pays alors que la décrue est à moins d’un mois serait une décision incompréhensible. Ce d’autant que, s’agissant des patients sous respirateur nous ne serions pas au niveau de Novembre. Malheureusement le nombre réel de patients sous respirateur dans les lits appelés réanimation (réanimation, soins intensifs et surveillance continue) n’est pas égal au nombre de lits occupés. Ce nombre de patients sous respirateurs n’est d'ailleurs pas disponible, de même que la répartition réanimation, soins intensifs et surveillance continue. De quoi laisser les experts autoproclamés annoncer tour à tour l’apocalypse ou une situation difficile mais encore maîtrisable.

Figure N°7: Nombre de respirateurs nécessaires pour les patients hospitalisés. Le recours à la ventilation artificielle a beaucoup diminué et nous sommes bien au-dessous des ressources qui ont été nécessaires en Novembre 2020. La difficulté est la concentration des malades dans certaines régions.

Cette prévision de l’IHME est pérenne depuis décembre. On l’a vue se décaler dans le temps d’environ deux semaines. Sans aucun doute le président lui-même a consulté ces modèles et voilà pourquoi ce qui est présenté comme une décision politique n’est en fait qu’une décision basée sur une prospective scientifique qui tient compte de l’évolution prévue des paramètres de la pandémie. En effet, le nombre de patients hospitalisés ou bien le nombre de lits de réanimation occupés par des patients Covid-19 ne sont pas des indicateurs fiables de la dynamique de la pandémie. Ils sont très tardifs. Aujourd’hui moins qu’en Mars le CIG n'est pas la solution. Assez de paroles, il faut agir là où la transmission continue, pas là où elle est maîtrisée. Pour cela il faut le courage de décider. Il y a encore pas mal de trous dans le dispositif de compromis adopté. Les établissements scolaires, les espaces de restauration, les tests massifs dans les zones où les gens ne se font pas tester et l’isolement dans la foulée, l’action de recherche des foyers épidémiques et leur maîtrise dans les zones hors confinement. 

Jean Castex a lui aussi tenté un aphorisme

Il a déclaré “il ne s’agit pas d’être pour ou contre le confinement mais de tout faire pour l’éviter”. “Tout faire” vraiment? Prenons le premier ministre au mot (Figures N°8 (a), (b) et 9. Comment qualifier un gouvernement qui fixe des seuils et n’agit pas quand ils sont dépassés? Personne ne comprend plus rien à cette navigation politique dans les seuils de nouveaux cas par 100000 habitants. C’est commode de s’affranchir des seuils pour faire de la politique en Ile de France mais cela ne change rien à la transmission. La décision politique de ne pas confiner sélectivement et totalement les zones à plus de 250 de taux d'incidence le 29 janvier a été une erreur. La transmission est très forte car un "plateau" très haut  de surcroît très ascendant à 25000 cas jour, c'est intenable. À ce niveau de 25000 cas jour il y a beaucoup trop de malades pour pouvoir faire face. Et l'économie doit tenir c'est pourquoi il fallait confiner les zones au dessus de 250 de taux d'incidence et fermer les frontières, maintenant c'est un peu tard comme en Mars comme en Octobre et si nous sommes contraints (a contrario des modèles) de limiter très fort les interactions sociales ce serait en grande partie dû au retard pris en Décembre-Janvier dans ces zones très actives et à la perméabilité de la frontière avec les îles britanniques. Une quarantaine décidée dès la mise en garde de Boris Johnson sur le variant B117 eut certainement évité la transmission alarmante du Nord et du Pas de Calais.

Le deuxième ministère de la santé: l’APHP

Il nous faut ici parler d’un sujet politique. Le directeur de l’APHP est en retrait mais les scuds tombent sur le gouvernement. C’est une offensive violente de la part de fonctionnaires. M. Hirsch ne cache pas ses ambitions. Faire de cette pandémie et de la fatigue des soignants l’an 1 d’un nouveau plan de renflouement des hôpitaux de l’APHP et prendre l’avenue de Ségur. Les nombreux commentateurs de l'APHP monopolisent les plateaux et n'évoquent jamais ces modèles qui laissent à penser que la baisse de la transmission est proche. Leur discours alarmiste est particulièrement flou sur le nombre de lits disponibles (dans tous les secteurs et après redéploiement) et sur le nombre de respirateurs en utilisation par rapport au nombre total… Dans le tableau cataclysmique qu’ils dressent  de l'hôpital public il n’est question que de moyens qui manqueraient et pas un journaliste pour faire observer que factuellement c’est faux. Ces intervenants n’évoquent même pas l’intense bureaucratisation des hôpitaux qui ont vu les effectifs administratifs croître au gré des demandes alors que de nombreux métiers techniques de non soignants ont été syndicalement sanctuarisés au lieu d’être externalisés. C’est la principale cause de l’asphyxie des hôpitaux et non le manque de moyens. L’hôpital ne peut assurer sa mission en tant qu’administration publique, le management est trop lourd, irresponsable financièrement, les compromis trop coûteux et l’efficience trop faible.  Au contraire, la mission d’un hôpital demande un pilotage et les moyens d’une entreprise publique qui est comptable de ses résultats et s’adapte en permanence. Cette pandémie vient de nous le rappeler.

Figure N°8 (a) les nouveaux cas confirmés (c’est à dire au maximum la moitié de la réalité) dans quelques pays développés. Il est facile de comprendre que dès fin novembre la transmission n’est plus sous contrôle et ce dans certains territoires uniquement. Ensuite il est compréhensible que les fêtes de fin d’année devaient avoir lieu et que la fenêtre était justifiée. Pour autant, dès le début Janvier il fallait confiner localement ou régionalement toutes les zones les plus actives. Au lieu de cela on nous a vendu un plateau, faussement plat, un pari, et une bravade alors que les Européens fermaient leurs activités impliquées dans des chaînes de transmission. La baisse récente va-t-elle se confirmer? Nous sommes effectivement sur un chemin de crête sans équipement minimal pour ne pas chuter. Le taux d’incidence se redresse à 309,75 hier.

Figure N°8 (b) Il est assez clair sur ce graphique que nous sommes passés de 160,83 le 4 Décembre 2020 à 367,24 le 15 Mars 2021 nouveaux cas confirmés par million d’habitants, ce qui est bien au-dessus des 50 et des 250 cas considérés comme des étapes seuils. C’est pourquoi je suis toujours stupéfait d'entendre parler de plateau!

Figure N°9: Depuis le pic de la phase endémique du 3 Novembre 2020 la transmission a chuté de 861,38 à 160,83. Elle a connu ensuite une progression linéaire pendant laquelle il eut été judicieux d’isoler et au besoin de confiner sélectivement les zones de forte transmission interhumaine. Ne pas le faire alors que nous n’isolons pas les cas contacts ou positifs c’est livrer tout le pays aux aléas de la dynamique de la transmission.


  • Vaccins les bonnes nouvelles: le mRNA de Pfizer BioNTech diminue drastiquement la transmission
  • On estime qu'au moins 50% de la transmission vient de personnes qui ne présentent pas de symptômes
  • Une personne asymptomatique est une personne qui a la Covid-19 mais ne présente aucun symptôme et ne les développera jamais.


Finalement beaucoup de Français découvrent, à l’occasion de cette pandémie, qu’une gigantesque administration non élue, toute puissante mais faillitaire par ses résultats règne sur une nation millénaire. Les Français découvrent aussi que ce sont les entreprises privées innovantes, les scientifiques productifs qui nous ont permis de sauver des vies et de sortir beaucoup plus rapidement de cette pandémie à coronavirus.  En revanche, dans notre pays, l'État et son administration ont atteint un pic probablement indépassable de dépenses en grande partie gaspillées, de puissance réglementaire et asphyxiante pour l'économie, d'impuissance pour les questions de défense, de sécurité et de maintien de l'État de droit. C'est le signe d’une fin de cycle. Il faut éviter que cette administration gigantesque et inefficace ne crée une deuxième catastrophe dès maintenant. Un recul de notre production de valeur dans tous les domaines de l’économie marchande nous affecterait tous très rapidement. Nous allons sortir de la pandémie mais nous sommes très vulnérables à cause de l’impéritie politique.

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