Voilà pourquoi je reste sur Twitter malgré les complotistes et la violence<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Santé
Une illustration du 10 mai 2020 montre la page Twitter du Premier ministre britannique Boris Johnson, avec les nouvelles recommandations du gouvernement face à la pandémie de Covid-19.
Une illustration du 10 mai 2020 montre la page Twitter du Premier ministre britannique Boris Johnson, avec les nouvelles recommandations du gouvernement face à la pandémie de Covid-19.
©Ben Stansall / AFP

Réseaux sociaux

De nombreux utilisateurs de Twitter souhaitent quitter le réseau social suite au rachat d'Elon Musk. Le Professeur Antoine Flahault explique pourquoi il a préféré rester.

Antoine Flahault

Antoine Flahault

 Antoine Flahault, est médecin, épidémiologiste, professeur de santé publique, directeur de l’Institut de Santé Globale, à la Faculté de Médecine de l’Université de Genève. Il a fondé et dirigé l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (Rennes, France), a été co-directeur du Centre Virchow-Villermé à la Faculté de Médecine de l’Université de Paris, à l’Hôtel-Dieu. Il est membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine. 

 

Voir la bio »

Atlantico : Depuis le rachat de Twitter par Elon Musk, de nombreux utilisateurs font part de leur volonté de quitter ce réseau social. Vous avez, à l'inverse, publié un fil expliquant que vous souhaitez y rester. Pourquoi ?

Antoine Flahault : Les raisons pour lesquelles un scientifique est sur Twitter sont probablement multiples, mais je vais vous exposer les principales pour ma part. Tout d’abord, le réseau social offre un accès en temps réel à l’information scientifique (notamment), comme jamais cela n’a été possible auparavant. Lors de la pandémie, nous étions au courant des travaux de nos collègues publiés souvent sous la forme de pré-publications avant même leur relecture par des pairs, avec certes toutes les limites mais aussi tous les avantages que cela apporte notamment en période d’urgence où l’information est très évolutive et son flux très important à assimiler. Ensuite, Twitter rassemble une communauté hétéroclite d’acteurs venant des champs de la science et de la médecine, mais aussi de la politique, du secteur privé et de la société civile qui rend les analyses sur les événements, les tendances, voire les projections particulièrement intéressantes. Il vous est possible de lancer des hypothèses et de voir l’intérêt qu’elles suscitent ou encore de constater qu’elles sont rapidement battues en brèche avec parfois d’excellents arguments qui vous permettent de raffiner vos théories et d’avancer plus vite dans vos travaux. Bien sûr Twitter est aussi un mode de valorisation des travaux de son équipe et de son institution. Ou d’opprobre s’ils vous arrive de déraper ou de mal vous comporter. Twitter ne pardonne ni n’oublie, durant la pandémie cela a pu être dur pour l’égo. Maintenant, le réseau social a ses contreparties, et même ses travers qui pour certains de mes collègues l’emportent aujourd’hui. À la faveur du rachat par Elon Musk, nombreux prennent la décision ou bien de ralentir leur activité sur Twitter ou bien de migrer sur d’autres plateformes. La pandémie a engendré une fatigue, parfois des tensions, voire des conflits en particulier sur ces plateformes ouvertes et vouloir prendre un peu de distance ou de recul se comprend tres bien. Je crois en revanche que la recherche d’un réseau qui serait un havre de paix scientifique où des personnes éduquées et élégantes viendraient déposer avec calme leurs critiques bienveillantes à vos exposés, tout cela me semble une chimère, éventuellement un fantasme et probablement une utopie qui n’est ni réaliste ni même souhaitable. On fustige aujourd’hui les antivax et les complotistes et je suis de ceux qui alertent sur leur pouvoir de nuisance mais la plupart des conflits scientifiques qui agitent la twitosphère vient des scientifiques eux-mêmes et les oppose d’abord entre eux. La migration sur une autre plateforme n’y changera rien. Dans tout ce type de communication, il continuera à s’échanger des noms d’oiseaux, et le nom même de Twitter ainsi que son logo nous montrent que c’est l’essence même de ce type de réseau social que de susciter des babillages intellectuels qui sont parfois très stimulants et malheureusement aussi souvent très vains voire fortement disgracieux.

Vous dites "On ne cède pas sa table aux nouveaux prosélytes qui n’attendent que votre départ". Qui sont-ils ? Rester sur Twitter est-il un acte de résistance à l'obscurantisme ?

En effet, on a vu durant cette pandémie que ceux qui avaient suivi les discours des complotistes et des populistes avaient plus souventhésité à se faire vacciner contre le Covid (et probablement contre d’autres maladies comme l’OMS l’a alerté récemment). Pire, ces personnes influencées par ces discours populistes en sont plus souvent mortes du Covid-19. On estime aux USA, selon des propos rapportés au Financial Times, que 60’000 nord-américains seraient morts du Covid-19 durant les dix-huit derniers mois du seul fait de leur défiance vis-à-vis de la communauté scientifique et de son discours. Si nous quittons les lieux de débats populaires aujourd’hui, si les scientifiques désertent Twitter notamment, ils céderont la place à des bonimenteurs qui ne trouveront plus de contradicteurs. Si Twitter devient le « Fox News » des réseaux sociaux, alors on observera une altération de l’état de santé de millions d’abonnés. Des chercheurs ont montré  que chaque heure passée par semaine devant la chaîne d'information cablée Fox News avait été associée aux USA à une baisse de la couverture vaccinale du COVID-19 de 0,35-0,76% entre mai et juin 2021. La causalité de l'association était jugée probable. Oui, j’aime bien votre formulation, rester sur Twitter, qui est un bien public mondial aujourd’hui, est peut-être « un acte de résistance à l’obscurantisme ». La communauté Twitter n’appartient à personne, seule la plateforme a un gérant. Mais ne laissons pas des factions populistes s’en emparer sans contrepoids. Ne cédons pas à leur pression ni parfois à leur intimidation.

Votre compte est très suivi, notamment depuis le début de la crise. Qu'est-ce que ce réseau vous a apporté, que vous n'auriez pas pu trouver ailleurs (sur Facebook ou Linkedin, par exemple) ?

Comme beaucoup de personnes chanceuses dans la vie, parce qu’elles cumulent plus ou moins une histoire familiale privilégiée, une éducation soutenue par leurs parents, une bonne santé, une prospérité, je fais partie de ceux qui ne vivent pas dans un quartier de forte mixité sociale, qui n’échangent plus très souvent avec des personnes aux parcours moins privilégiés. Certes la médecine offre un parcours de vie qui expose davantage à la diversité sociale et culturelle que le monde de la finance ou des banques, mais en restant toujours du bon côté de la barrière. Nos sociétés se sont fortement segmentées, instituant des herses étanches entre ses différents compartiments socio-économiques. Twitter est l’objet de nombreuses critiques souvent justifiées, mais c’est un espace d’échanges extrêmement diversifiés. Il s’y côtoient des personnes de tous horizons, toutes appartenances, toutes origines, tous pays. Apprendre à dialoguer dans cet univers horizontal où vos titres, votre âge, votre expérience, votre argent et votre couleur de peau n’ont d’importance pour personne, c’est simplement magnifique. C’est un trésor qu’il faut protéger aujourd’hui comme n’importe quel bien public mondial, comme tout bien commun, comme les parcs publics des grandes villes, comme les plages de nos côtes, comme les chemins de randonnées de nos Alpes. Twitter est une expérience, un voyage, une aventure au cœur de nos sociétés humaines qui mérite de ne pas claquer la porte au premier changement de gérant.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !