Voilà pourquoi cigarettes électroniques et autres substituts au tabac présentent un véritable intérêt pour la santé<!-- --> | Atlantico.fr
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L’Institut économique Molinari a récemment publié une étude axant sur les bénéfices des substituts à la cigarette.
L’Institut économique Molinari a récemment publié une étude axant sur les bénéfices des substituts à la cigarette.
©Flickr/Fried Dough

Bénéfices

L’Institut économique Molinari a récemment publié une étude axant sur les bénéfices des substituts à la cigarette.

Antoine Flahault

Antoine Flahault

 Antoine Flahault, est médecin, épidémiologiste, professeur de santé publique, directeur de l’Institut de Santé Globale, à la Faculté de Médecine de l’Université de Genève. Il a fondé et dirigé l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (Rennes, France), a été co-directeur du Centre Virchow-Villermé à la Faculté de Médecine de l’Université de Paris, à l’Hôtel-Dieu. Il est membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine. 

 

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Cécile Philippe

Cécile Philippe

Cécile Philippe est présidente et fondatrice de l’Institut économique Molinari, un organisme de recherche qui vise à entreprendre et à stimuler l’approche économique dans l’analyse des politiques publiques.

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Atlantico : Vous avez publié une étude pour l’Institut économique Molinari, « L’innovation au service des consommateurs et de la réduction des risques - Le cas des substituts à la cigarette ». Les substituts à la cigarette représentent-ils réellement moins de risques que la cigarette traditionnelle ? Quels sont les principaux enseignements de votre étude ?

Cécile Philippe : Cette étude de l’Institut économique Molinari (IEM) s’intègre dans le cadre plus large de nos recherches sur le rapport coût/bénéfice des politiques publiques. Ces dernières ont des objectifs et il est important d’analyser si elles parviennent à les atteindre au meilleur coût et de façon durable. Des actions publiques visent – au nom de la santé publique – à diminuer la prévalence du tabac au moyen de taxes et de réglementations. Celles-ci n’ont cessé de s’alourdir sans pour autant que l’on constate une diminution de la prévalence totale d’usage de la nicotine en France sur les vingt dernières années. Cela pose question.

Ce qui a changé assez récemment, c’est l’arrivée sur le marché de nouveaux produits du tabac, produits dits sans combustion à la différence des cigarettes traditionnelles. Il semblerait qu’il se soit opéré un phénomène de substitution en faveur de ces nouveaux produits car la « diminution d'ampleur inédite entre 2016 et 2019 » de la prévalence du tabac fumé (se stabilisant entre 2019 et 2022) a coïncidé avec la hausse de l’usage des cigarettes électroniques.

A l’IEM, nous trouvons ce phénomène très intéressant car on sait que les taxes et les réglementations des comportements dits « à vices » ont des effets non voulus. Elles sont très coûteuses pour ceux qui n’arrivent pas à changer leurs habitudes et favorisent des stratégies de contournements, avec des consommateurs qui se fournissent sur le marché noir ou parallèle. Le contournement passe aussi par des stratégies de substitution plus ou moins bonnes, les individus cherchant à combler leurs envies non satisfaites. D’où l’importance en politique publique d’avoir de bons substituts vers lesquels les consommateurs puissent se tourner.

Qu’est-ce qu’un bon substitut ? C’est un produit que les individus consentent à consommer et qui est moins risqué. Un certain nombre d’experts – dont le professeur Dautzenberg en France ou l’épidémiologiste Antoine Flahault – pensent que les produits sans combustion sont des alternatives intéressantes au tabac fumé en matière de santé publique. Ils sont loin d’être isolés. Comme nous l’indiquons dans notre étude, des données de l’Académie de la science, de l’ingénierie et de la médecine aux Etats-Unis et de l’Office for Health Improvement and Disparities britannique soulignent des risques moindres, voire bien moindres des substituts au tabac fumé. 

L’absence de combustion, et donc de production de goudron, explique-t-elle la réduction des risques, comparés à ceux des produits combustibles, tels que la cigarette traditionnelle ? Sans être « zéro risque », en quoi les produits sans combustion sont dans l’ensemble considérés comme substantiellement moins risqués que le tabac fumé ?

Antoine Flahault : Vous citez à juste titre la production de goudrons hautement cancérigènes dans la combustion du tabac, mais il y a aussi la production de gaz toxiques liée à cette combustion du tabac, à commencer par le monoxyde de carbone, qui sont à l’origine de nombreux autres effets délétères du tabac, notamment sur les artères et donc sur de nombreux organes comme les reins, le cœur et le cerveau. Tous ces risques n’existent pas ou beaucoup moins avec les substituts du tabac sans combustion.

L’agence de santé publique britannique a estimé que la cigarette électronique réduisait les risques sanitaires de plus de 95% par rapport à ceux provoqués par la cigarette traditionnelle. Les substituts du tabac fumé sont donc considérablement moins dangereux à court, moyen et long termes que la cigarette dont on sait qu’elle tue un consommateur régulier sur deux, ce qu’aucun autre produit légalement sur le marché ne cause.

Les fumeurs en France, à l’image de ce qui s’est passé au Royaume-Uni, ont au moins pour partie opéré une substitution de l’usage du tabac fumé par la cigarette électronique. Parmi les ex-fumeurs sondés en 2021, environ 94 % de ceux qui vapotent, et 61 % de ceux qui ont arrêté aussi de vapoter, déclarent ainsi « que la cigarette électronique les a aidés à arrêter de fumer ». Les substituts à la cigarette sont-ils un bon moyen d’arrêter de fumer ?

Cécile Philippe :C’est ce que laisse penser des données de Santé publique France portant sur 2021. La cigarette électronique est identifiée comme un moyen efficace par les personnes sondées pour quitter la cigarette traditionnelle. 94 % des vapoteurs qui ont arrêté de fumer et 61 % des personnes qui ont arrêté de fumer et de vapoter insistent effectivement sur le rôle majeur joué par le substitut électronique dans leur décrochage.

En transposant les résultats de ce sondage à la population française entre 18 et 75 ans, nous avons calculé qu’au moins 1,35 million de fumeurs auraient arrêté de fumer à l’aide de la cigarette électronique en France métropolitaine. Deux tiers des personnes auraient remplacé la cigarette par le vapotage (860 000 personnes) et un tiers aurait abandonné à la fois la cigarette et vapotage (490 000 personnes). Ces volumes sont très significatifs. Le nombre de personnes ayant remplacé la cigarette par le vapotage équivaut à la population municipale de Marseille. Le nombre de personne ayant à la fois décroché de la cigarette et de l’e-cigarette équivaut quasiment à la population municipale de Lyon.

Antoine Flahault : Toutes les études montrent que la cigarette électronique est le meilleur moyen dont on dispose aujourd’hui pour arrêter de fumer. L’addiction à la nicotine est forte et de nombreux fumeurs ne parviennent pas à arrêter de fumer sans substituts nicotiniques. Il faut savoir que la nicotine n’est ni cancérigène ni délétère sur les artères. C’est donc presque exclusivement la combustion du tabac qui tue. Récemment un essai randomisé réalisé par des collègues suisses, recourant ainsi au modèle expérimental apportant un l’un des plus haut niveau de preuve scientifique, a permis de montrer que la cigarette électronique permettait d’arrêter de fumer après six mois, sensiblement mieux que les autres méthodes (incluant patches et autres gommes). 

La Suède depuis longtemps recourt aux “snus”, ces substituts nicotiniques que l’on place entre la gencive et la joue. Il s’agit d’une habitude culturelle chez les nordiques qui consiste à chiquer le tabac et non à le fumer. Désormais il y a moins de 5% de fumeurs en Suède mais la consommation totale de tabac n’y est pas moindre qu’en France. Eh bien la Suède enregistre les plus faibles taux de mortalité de l’OCDE par cancer du poumon et cancers ORL. Comme on sait que ces cancers sont principalement dus au tabac fumé, on a la démonstration grandeur nature des bénéfices de la substitution de la cigarette par des dérivés sans combustion. Il a été évalué que si l’Europe avait les taux de mortalité de la Suède en matière de cancers du poumon, près de cent mille personnes seraient sauvées chaque année d’une mort prématurée à cause de ce cancer.

La France est-elle en avance par rapport à ses voisins européens sur le recours aux substituts à la cigarette ?

Cécile Philippe :La France ne semble pas mal située sans être pour autant la plus avancée. Les deux pays qui se distinguent en Europe, la Suède et le Royaume-Uni.

En effet, la Suède est sur le point de devenir le premier pays « sans fumée » dans l’Union européenne, selon la définition acceptée par de nombreux pays consistant en une prévalence de fumeurs traditionnels au sein de la population de 5 % ou moins. La Suède avait 6 % de fumeurs quotidiens de cigarettes en 2021. C’est le seul pays de l’Union européenne à ne pas avoir interdit le snus (sachet de nicotine consommé en étant placé dans la bouche). Depuis le début des années 1990, ce produit a connu une popularité grandissante au point de détrôner progressivement le tabac fumé.

Au Royaume-Uni, la prévalence du tabac fumé a été réduite au cours de la décennie 2011-2021, passant de 20,2 % à 13,3 %. L’Office national britannique des statistiques souligne à ce sujet que « les produits de vapotage tels que les cigarettes électroniques ont joué un rôle majeur dans le déclin de prévalence du tabagisme ». Il faut préciser que les autorités britanniques ont fait le choix de la promotion active de la cigarette électronique pour réduire les méfaits du tabagisme.

Les pouvoirs publics et des programmes de santé publique devraient-ils être menés pour favoriser l’utilisation des substituts à la cigarette ? Quelles pourraient être les mesures à prendre ? Faut-il maintenir une fiscalité et une réglementation des produits sans fumée distinctes de celle des produits avec combustion ?

Cécile Philippe :En matière de fiscalité et de réglementation comportementale, l’un des éléments cruciaux à prendre en compte est l’existence, ou non, de bons substituts. En leur absence, si le besoin n’a pas changé, le consommateur cherchera à le satisfaire d’une manière détournée susceptible de nuire aux objectifs de la fiscalité mise en œuvre.

Les produits « sans combustion, sans fumée » sont une opportunité d’aligner les envies des consommateurs et les objectifs des autorités publiques. Selon certains travaux, jusqu’à un milliard de morts prématurées dans le monde seraient évités au cours de ce siècle si tous les fumeurs se tournaient vers les alternatives sans combustion et sans fumée au lieu de fumer. Nous voyons donc deux axes pour favoriser les bons substituts et réduire la mortalité associée à la cigarette. D’une part il faut maintenir une fiscalité et réglementation des produits sans fumée distinctes de celle des produits avec combustion. D’autre part il faudrait renforcer l’information sur les connaissances scientifiques actuelles et sur le bon usage des produits alternatifs à la cigarette.

Les substituts à la cigarette ne doivent-ils pas être plus encadrés, notamment à destination des jeunes, pour limiter les risques d’addiction ?

Antoine Flahault : Les cigarettes électroniques jetables pourraient être bannies, non pas tant pour des raisons sanitaires mais pour un motif écologique. Les puffs causent en effet, outre une pollution par le plastique, un gaspillage de batteries au lithium, souvent jetées dans la rue, sans préoccupation de leur recyclage ni par les usagers, ni par les fabricants ni par les autorités. Mais si l’on interdit les cigarettes électroniques jetables, il conviendrait de favoriser alors les cigarettes électroniques rechargeables et imposer le recyclage des batteries au lithium. Si l’on ne fait que bannir les puffs, on risque de jeter vers la consommation de cigarettes ses nombreux consommateurs, souvent jeunes et plutôt socialement défavorisés.

Le recul du tabagisme et une meilleure politique de santé publique pourraient-ils permettre de limiter le coût de la prise en charge du tabagisme en France et d’améliorer l’espérance de vie ?

Cécile Philippe :Si les données à plus long terme confirment que les produits sans combustion sont moins risqués pour la santé en causant moins de cancer du poumon ou de maladies cardiovasculaires, il est évident que ces substituts agiront de manière préventive et permettront de réduire les coûts de santé. Pour autant, cette innovation ne rimera pas nécessairement avec économie d’argent public. Car une personne en bonne santé est une personne qui passe plus de temps à la retraite et coûte donc plus cher. C’est d’autant plus vrai que le financement des retraites est particulièrement coûteux en France, en raison du sous-développement des capitalisations collectives. Mais ne nous trompons de pas de combat. Favoriser les innovations bonnes pour la santé est un enjeu collectif. 

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