Voilà comment l’Europe en est arrivée à accorder des milliards en subventions à de l’acier « sale »<!-- --> | Atlantico.fr
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Des employés au coeur de l'aciérie ArcelorMittal sur le site de Dunkerque, le 11 février 2022.
Des employés au coeur de l'aciérie ArcelorMittal sur le site de Dunkerque, le 11 février 2022.
©FRANCOIS LO PRESTI AFP

Hydrogène vert

Alors qu’il a reçu des milliards d'euros de subventions européennes, ArcelorMittal a déclaré au magazine économique néerlandophone Trend par l’intermédiaire de son responsable des opérations européennes Geert van Poelvoorde, qu'il ne pourrait pas produire économiquement de l’acier fabriqué à base d'hydrogène vert et qu’il devrait probablement s’approvisionner en Chine ou aux Etats-Unis. Philippe Charlez, expert en questions énergétiques à l’Institut Sapiens, répond aux questions d’Atlantico.

Philippe Charlez

Philippe Charlez

Philippe Charlez est ingénieur des Mines de l'École Polytechnique de Mons (Belgique) et Docteur en Physique de l'Institut de Physique du Globe de Paris.

Expert internationalement reconnu en énergie, Charlez est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la transition énergétique dont « Croissance, énergie, climat. Dépasser la quadrature du cercle » paru en Octobre 2017 aux Editions De Boek supérieur et « L’utopie de la croissance verte. Les lois de la thermodynamique sociale » paru en octobre 2021 aux Editions JM Laffont.

Philippe Charlez enseigne à Science Po, Dauphine, l’INSEAD, Mines Paris Tech, l’ISSEP et le Centre International de Formation Européenne. Il est éditorialiste régulier pour Valeurs Actuelles, Contrepoints, Atlantico, Causeur et Opinion Internationale.

Il est l’expert en Questions Energétiques de l’Institut Sapiens.

Pour plus d'informations sur l’auteur consultez www.philippecharlez.com et https://www.youtube.com/energychallenge  

Voir la bio »

Atlantico : Pourquoi l’acier vert européen n’est-il pas compétitif ? Est-ce le dernier exemple en date des failles de la transition écologique européenne et du poids des normes ? Quels sont les principaux responsables ?

Philippe Charlez : La sidérurgie est l’un des secteurs industriels les plus émetteurs de GES. Elle est par ailleurs complexe à décarboner car, en dehors de l’énergie requise, les réactions chimiques (l’extraction du fer de l’oxyde de fer) au cœur des procédés sont elles-mêmes productrices de CO2. La sidérurgie conventionnelle extrait et fusionne le fer dans un « haut fourneau » avec du carbone : un mélange finement broyé de minerai de fer et de charbon très pur descend le haut fourneau par gravité et rencontre à contre-courant du monoxyde de carbone à 2000°C résultant de la combustion de charbon brûlé dans la partie inférieure du haut fourneau. En ressort du fer métallique en fusion. Décarboner la sidérurgie ne requiert pas seulement de substituer les énergies fossiles par des énergie décarbonées mais aussi de remplacer le carbone par un autre réactif en l’occurrence l’hydrogène qui extrait le fer en ne produisant plus de CO2 mais de l’eau. Pour ce faire, il faut d’une part séparer les phases d’extraction et de fusion, d’autre part substituer au charbon l’hydrogène vert produit par électrolyse à partir d’eau et d’électricité décarbonée. Le minerai de fer réagit à l’état solide avec l’hydrogène dans un « bas fourneau » à des températures comprises entre 750° et 1000°. Le fer métallique solide est ensuite fondu dans un four à arc électrique à plus haute température. 

Coupler un bas fourneau à l’hydrogène avec un four à arc électrique est un procédé extrêmement gourmand en électricité. Produire économiquement de l’acier vert nécessite donc de disposer d’une électricité abondante et bon marché. Malgré la baisse des prix du gaz enregistrée depuis le début de l’année, le prix de l’électricité reste structurellement beaucoup plus élevé en Europe qu’aux US ou en Chine. D’où la réaction étonnante mais logique de Mittal : avec les prix européens de l’électricité impossible de produire de l’acier vert compétitif. Enfoncer le clou signifierait la disparition définitive d’un secteur industriel clé déjà largement affecté depuis des décennies par la mondialisation. 

Comment l’Europe a-t-elle pu accorder des milliards en subventions à cette filière ? N’y a-t-il pas d’autres alternatives ? Sommes-nous face à un fiasco industriel et environnemental ?

Si le prix du MWh est resté à peu près raisonnable en Europe jusqu’à l’été 2021, la flambée des cours du gaz ont amené l’électricité à des niveaux stratosphériques en 2022 et 2023. En subventionnant massivement une filière dont la rentabilité est 100% dépendante du prix de l’électricité, l’UE n’avait manifestement pas anticipé les mécanismes. Ce nouvel épisode dramatique est une fois encore l’image du manque d’anticipation des fonctionnaires Bruxellois plus enclins d’obéir aux injonctions de l’idéologie verte qu’à réaliser une analyse rationnelle et pertinente. En dehors du carbone et de l’hydrogène, il n’y a pas d’autre agent réducteur efficace pour extraire le fer de son minerai. Mittal met donc l’UE au pied du mur en lui proposant implicitement trois solutions : oublier l’acier vert et retourner à l’acier noir, suicider ce qu’il reste de la filière sidérurgique européenne ou faire semblant de décarboner en important des US ou de Chine de l’hydrogène économique. Cette dernière solution proposée par Mittal sera choisie surtout pour ne pas perdre la face confirmant que l’Europe a la fâcheuse habitude de se lancer dans des investissements verts en ne regardant qu’une partie du cycle de vie. Comme rouler en voiture électrique en Allemagne, rien ne sert de produire de l’acier vert tant que l’électricité n’est pas totalement décarbonée. On voit souvent l’hydrogène comme un produit propre alors qu’il cache souvent derrière un rideau vert un nuage fossile intense. Ainsi 95% de l’hydrogène mondial est aujourd’hui fabriqué à partir du cracking du gaz naturel (vaporeformage), un procédé largement émetteur de CO2.

On gonflera donc les muscles en disant qu’on a décarboné la filière, excepté que l’hydrogène importé sera probablement fabriqué à partir de gaz de schiste américain ou d’électricité charbonnière chinoise. Il faudra ensuite le liquéfier à -253°C (processus extrêmement énergétivore) pour pouvoir le véhiculer sur les océans. Un fiasco, à la fois économique, énergétique et environnementale. Du green-washing à l’état pur. 

Au regard de cet exemple, l’hydrogène reste-t-il un investissement d’avenir dans le cadre de la transition écologique ? Les projets pilotes sont-ils encore encourageants notamment à l’échelle européenne ? Les Etats-Unis ou d’autres marchés vont-ils profiter de la crise européenne ?

La production viable d’hydrogène est donc essentiellement économique, sa viabilité reposant principalement sur une électricité bon marché. La meilleure solution repose sur la production d’hydrogène à partir d’électricité décentralisée renouvelable éolienne ou solaire : électricité totalement décarbonée bas coût car déconnectée du marché, pas besoin de connecter les éoliennes et les panneaux solaires au réseau, les intermittences ne doivent plus être gérées et on profite de toute l’électricité produite. Cette option permet aussi de développer l’emploi local. Bien que l’hydrogène vert ne représente en rien une innovation technologique (l’électrolyse de l’eau a été découverte par Nicholson en 1802 !), il existe un certain nombre de projets européens innovants destinés à améliorer le rendement de l’électrolyse classique de l’ordre de 60%. Citons notamment le projet GENVIA situé à Béziers. Son but est de développer l’électrolyse haute température (900°C) un procédé très prometteur augmentant le rendement de l’électrolyse jusqu’à 90%. 

L’hydrogène reste un vecteur énergétique de décarbonation intéressant notamment pour la mobilité longue distance (trajets >150 km) et forte puissance (camions/bateaux et éventuellement avion) là où la mobilité électrique n’est pas la solution optimale (temps de charge, autonomie, taille des batteries). Rappelons que le moteur à hydrogène n’est pas thermique mais électrique, l’électricité étant fabriquée dans la voiture à l’aide d’une Pile à Combustible. Dans la mesure où chaque transformation (électricité/hydrogène/électricité) induit une perte de rendement, le rendement final est de l’ordre de 25% voire encore moins si l’électricité n’est pas renouvelable. Aussi faut-il utiliser l’hydrogène avec parcimonie sur des usages de niche là où d’autres sources ne sont pas applicables. 

Signalons enfin que l’hydrogène peut aussi être recombiné à du CO2 pour produire des carburants liquide ou gazeux synthétiques aussi connus sous le nom d’e’fuel. Ces derniers devraient être dans l’avenir surtout destinés au transport aérien qui ne pourra s’abstenir de fonctionner sans kérosène.

L'Institut Sapiens vient de publier "La Transition Energétique est-elle soutenable ?: Défis des Accords de Paris & du Pacte Vert Européen", sous la direction de Philippe Charlez

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