Voilà ce qu'ont fait les pays qui ont réussi dans la lutte contre le coronavirus… et ce qu’ont fait les autres<!-- --> | Atlantico.fr
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Covid-19 coronavirus gestion épidémie virus pandémie Asie Occident Europe Etats-Unis
Covid-19 coronavirus gestion épidémie virus pandémie Asie Occident Europe Etats-Unis
©JOEL SAGET / AFP

Le match des stratégies

A votre avis, dans quel camp sommes-nous ?

Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

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Atlantico.fr : Deux écoles semblent s'être détachées dans la gestion de l’épidémie. L’une, occidentale, est celle qui tend à « vivre avec le virus » quand l’autre, celles des pays qui obtiennent de meilleurs résultats comme certains pays asiatiques, recherche davantage à éradiquer le virus « une bonne fois pour toute ». Qu’impliquent ces deux visions ? En termes d’économie ? De gestion de l'opinion publique ?

Charles Reviens : La différence de performance sanitaire entre pays, mesurée notamment en nombre de morts par unité de population, est en effet désormais bien documentée. Les grandes économies d’Asie (Chine, Japon, Inde, Corée du Sud) mais également les ex-dominions britanniques du Pacifique (Australie et Nouvelle Zélande) sont infiniment moins impactés que les principaux pays d’Europe et d’Amérique du Nord aussi bien en données instantanées qu’en données cumulées.

Les écarts en matière de performance économique sont moins nets : à côté de la Chine pour lequel le FMI prévoit une croissance de près de 2 % en 2020, tous les pays sont en récession d’amplitude faible ou moyenne (-2 % pour la Corée du Sud, -3 % pour les USA -4 % pour l’Australie) ou plus accentuée (- 5 % pour le Japon, -6 % pour l’Allemagne et la Nouvelle Zélande -10 % pour la France et le Royaume-Uni).

Il est donc naturel qu’on cherche à comprendre ces immenses différences notamment sanitaires. La sensibilité forte des pays d’Asie du Sud-Est, qui ont dû gérer les épisodes SARS et MERS à la gestion des pandémies est souvent avancée. Pour sa part le professeur Yaneer Bar-Yam, spécialiste des systèmes complexes au MIT et fondateur en février 2020 du collectif EndCoronavirus.org regroupant 4 000 volontaires, a proposé dans un papier du 13 décembre dernier une typologie en dix points des stratégies inefficaces ou efficaces contre la pandémie covid-19.

Cette typologie semble dotée d’un bon pouvoir explicatif. A la base elle oppose les stratégies de maîtrise partielle de la contamination visant principalement à éviter son explosion dans des « zones rouges » aux stratégies d’éradication totale du virus, quitte à faire des sacrifices initiaux sur la plan économique pour revenir dès que possible à un fonctionnement de la société quasiment identique à la situation précédant la pandémie.

Cette typologie tape en outre là où ça fait mal par exemple pour les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne : on retrouve le déni initial du risque viral plus ou moins assumé de Donald Trump, Emmanuel Macron et Boris Johnson conduisant à retarder l’arrêt de l’économie avant de devoir confiner en catastrophe au printemps (point numéro 4), l’enjeu de la crédibilité de la communication publique fortement marquée en France d’infantilisation et de culpabilisation (point numéro 5), l’arbitrage permanent entre risque sanitaire et risque économique alors qu’on peut maîtriser les deux de concert (point numéro 7), le recours au vaccin comme solution magique permettant de tout régler d’un coup (point numéro 9). Le point numéro 8 « vivre avec le virus » reprend mot pour mot les propos d’Emmanuel Macron lors de son allocution du 14 octobre dernier.

Le mystère posé par la typologie de Yaneer Bar-Yam consiste à comprendre pourquoi certains pays qui suivent de fait la stratégie « zones rouges » apparemment non pertinente ne basculent pas dans l’autre stratégie.

Certains pays ont adopté une stratégie dite « de la zone verte » en appliquant dès le départ des mesures strictes qui peuvent être assouplies en fonction de l'amélioration de la situation, quand d’autres ont fait l’inverse, en contraignant la population proportionnellement à la circulation du virus. Laquelle s’est révélée la plus efficace ?

La distinction entre stratégies « zone rouge » et « zones vertes » est au cœur de la typologie de Yaneer Bar-Yam décrite plus haut. Le professeur au MIT et son collectif encoronavirus définissent les zones vertes comme des territoires sans AUCUNE transmission locale depuis 14 jours et dont les nouveaux cas de contamination sont exclusivement constitués des nouveaux entrants sur le terrritoire testés positifs à leur arrivés. Le concept de zone verte suppose de fait la fermeture des frontières et des politiques efficaces dans les territoires voisins (aucune voisin zone rouge pour être zone verte).

Comme il n’y a aucune contamination dans une zone verte, il n’y a aucune raison d’y avoir des restrictions économiques et sociales.

Le concept de zone verte est donc une théorisation intéressante. Toutefois, il ne faut pas oublier qu'un autre point absolument majeur de performance constatée tient à la réactivité des autorités politiques et sanitaires : la Corée du Sud disposait d’un test PCR covid-19 homologué dès le 4 février tandis que les pouvoirs publics japonais avaient arrêté dès le 25 février une stratégie d’identification et de limitation des clusters, sur la base du constat que l’essentiel des contaminations étaient générées au cours d’interactions sociales spécifiques et qu’il était donc utile de réduire leurs occurrences.

Ce ne sont donc pas seulement les restrictions initiales appliquée à un pays ou à un territoire qui expliquent la performance, mais également des stabilités dans certains axes des politiques sanitaires : fermeture rapide des frontières dès que nécessaire, identification et isolement des personnes contaminées et contaminantes, communication publique pédagogique et crédible.

En revanche la stratégie consistant à contraindre la population dès que la circulation du virus semble hors de contrôle, qu’on voit beaucoup en Europe, constitue une approche principalement défensive, à fort impact économique et social, constituant implicitement un aveu d’échec de la perte de contrôle de la dissémination du virus.

Les pays occidentaux ont-ils trop misé sur l’arrivée d’un vaccin ? Quand certains pays asiatiques n’ont pas attendu pour mettre un place une stratégie efficace de traçage et d’isolement ?

Le point 9 de la typologie de Yaneer Bar-Yam fait de la confiance absolue et exclusive dans le virus l’une de marques des stratégies inefficaces contre la pandémie.

Ma contribution récente pour Atlantico précisait que les pays occidentaux, qui sont dans l’urgence d’une crise restant à un niveau aigu, voient dans la vaccination généralisée l’espoir de sortir une bonne fois pour toute de la situation exceptionnelle et dramatique créee par la covid-19. La pression sur les vaccins est en revanche plus faible pour les pays d’Asie où la crise a été à date mieux maîtrisée : la Corée du Sud met autant l’accent sur le traitement des personnes atteintes par la covid que sur les vaccins, tandis que la question des effets secondaire des vaccins est beaucoup plus sensible au Japon qui prévoit un programme de vaccination seulement à partir du printemps 2021.

Qu’est-ce qui pourrait expliquer ces deux philosophies fondamentales différentes ? L’économiste Branko Milanovic met en cause l’impatience et l’empressement des Occidentaux…

Le débat est effectivement ouvert pour tenter de comprendre des écarts d’impact de la pandémie aussi massifs : il y a l’explication liée à l’exposition précoce de l’Asie aux pandémies à coronavirus, il y a la typologie de Yaneer Bar-Yam.

Branco Milanovic, dans une récente contribution à Atlantico, considère que « l’impatience », caractéristique anthropologique des Occidentaux contemporains selon lui, constitue un facteur majeur de différentiation des performances entre Occident et Asie du Sud-Est. Cette hypothèse est intéressante car elle renvoie au court-termisme (multiplication des allers retours « stop and go » confinement/déconfinement) et à l’importance énorme prise par la communication politique dans l’action publique par exemple en France. A mon sens elle n’explique pas tout puisque s’y rajoutent d’importants dysfonctionnements de communication et de logistique dans plusieurs pays occidentaux.

Le paradoxe serait au final que des pays qui ont faire preuve d’impatience vont devoir durablement vivre avec le virus et ses contraintes tandis que des pays plus « patients » semblent déjà en avoir totalement terminé avec lui à peine un an après sa diffusion mondiale.

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