Vidéos violentes et pubs pour couteaux : le monde de plus en plus glauque des réseaux sociaux pour ados<!-- --> | Atlantico.fr
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L'assassinat d’Olly Stephens, un adolescent de 13 ans, au Royaume-Uni a révélé la dérive et les dangers des réseaux sociaux et des vidéos violentes sur Internet.
L'assassinat d’Olly Stephens, un adolescent de 13 ans, au Royaume-Uni a révélé la dérive et les dangers des réseaux sociaux et des vidéos violentes sur Internet.
©Adobe Stock / DR / Capture d'écran

Agressions en hausse

L'assassinat d’Olly Stephens, un adolescent de 13 ans, au Royaume-Uni a révélé la dérive et les dangers des réseaux sociaux et des vidéos violentes sur Internet. La société britannique est confrontée à une hausse des agressions au couteau.

Pascal Plantard

Pascal Plantard

Éducateur spécialisé de formation initiale, Pascal Plantard a fini cette première formation à l’Université de Montréal et au Massachusetts Institute of Technology (MIT). En rentrant, il poursuit ses études à l’université Paris V puis à Paris X Nanterre pour une thèse de doctorat, soutenue en 1992, sous la direction de Monique Linard. Il fonde le GRISE (Groupe de Recherche sur l’Informatique en Sciences de l’Éducation) en septembre 1986 à Orléans. Il est recruté comme Maître de Conférences à l’Université Rennes 2 en 1997 où il est actuellement Professeur des Universités, Vice-Président Formation de 2002 à 2004 puis Vice-Président Innovation Pédagogique et Numérique de 2014 à 2019 et co-directeur du plus important réseau francophone de recherche sur les usages des technologies numériques : le GIS M@rsouin (correspondant français du WIP : World Internet Project). Il est expert auprès des académies des sciences, des technologies et de médecine, de l’Agence Nationale de la Recherche, du Conseil National du Numérique et de différentes revues internationales. Il a publié 56 articles scientifiques et 35 ouvrages ou chapitres d’ouvrages et a effectué plus de 200 conférences invitées nationales ou internationales qui traitent des questions d’éducation, d’inclusion et de transition numériques dans une perspective anthropologique.

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Atlantico : Au Royaume-Uni, en janvier 2021, un jeune adolescent de 13 ans du nom d’Olly Stephens est assassiné dans un champ à proximité de son domicile. L’enquête révèle qu’il a été piégé par une jeune fille de 13 ans, avant que deux adolescents ne le poignardent mortellement. Cette affaire tragique a attiré l’attention sur le rôle des médias sociaux, qui peuvent recommander des vidéos violentes et proposer des couteaux à la vente. Comment cette situation est-elle survenue ?

Pascal Plantard : Il faut savoir que le modèle économique des réseaux sociaux c’est l’économie de l’attention qui consiste à faire du Buzz peu importe le sujet comme on le voit avec cette bien triste histoire ou avec la récente affaire de scatologie des infleuceuses de Dubaï. C’est dans ce contexte, sans la régulation des adultes nécéssaire à un développement serein des adolescents que les limites se franchissent.

Est-ce quelque chose de courant ?

Ce n’est pas courant mais les situations se multiplient depuis 2020. Citons l’assassinat de Samuel Paty, où on a vu comment, suite à des rumeurs sur les réseaux sociaux, des collégiens vont dénoncer leur professeur à son assassin pour quelques euros.

Suite à cette affaire, un journaliste de la BBC a créé un faux compte sur cinq sites de médias sociaux, se faisant passer pour un jeune de 13 ans habitant dans la même ville que Olly Stephens. L’adolescent imaginaire s'est vu recommander des posts de personnes exhibant des couteaux, des couteaux à vendre et des vidéos glorifiant la violence. Des armes comme des couteaux ont-ils leur place dans le contenu proposé sur les réseaux sociaux ?

Bien sur que non mais qui régule ce qui circule sur les réseaux sociaux ?

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Comment expliquer une telle mise en avant ?

Aujourd’hui, le Buzz est amplifié par les bulles de filtre (qui nous renvoient ce que nous préférons dans nos navigations sur internet) et les algorithmes addictifs utilisés par les réseaux sociaux et les plate-formes qui amplifient notre dépendance aux stimulis permanents qu’ils nous renvoient.

Les adolescents sont-ils particulièrement sensibles aux produits et contenus mis en avant sur les réseaux sociaux ?

Oui car si l’adolescence est le temps des expérimentations pour devenir adulte, il se fait en présence d’adultes référents comme les parents, les enseignants et les autres adultes qui sont, la plupart du temps, absents des réseaux sociaux.

Quand les adolescents rencontrent des adultes dans ces espaces, le moins qu’on puisse dire c’est qu’il ne s’agit pas d’adultes de référence mais des personnes tout aussi fascinées par le Buzz.

Comment expliquer une telle emprise ?

De nombreux travaux de recherche identifient des comportements d’adolescents qui surjouent le « digital native ». Les familles occidentales auraient incorporé cet imaginaire numérique basé sur l’utilisation massive du « jeunisme » par le marketing technologique depuis 30 ans qui pousse à considérer que les individus nés avec et baignant dans le numérique sont nécessairement acculturés aux environnements technologiques tant en termes de pratiques que de valeurs. Cette représentation, qui relève du fantasme médiatique voire institutionnel, est battue en brèche depuis longtemps par de nombreuses études qui montrent que cette généralisation est abusive et masque une grande disparité d’usages, de compétences et d’expertise au sein d’une même génération. Si la difficulté de régulation parentale des pratiques numériques touche toutes les classes sociales, comme le démontre nos dernières études pendant les confinements, cette vision erronée des digital natives produit un effet de disqualification éducative des parents les plus vulnérables. On assiste à un processus de « dessaisissement » parental — en particulier à propos du renouvellement des smartphones et des usages des réseaux sociaux — en pointant des phénomènes d’usages dissimulés (jeux violents, post ultra-violents, pornographie…), de chantage affectif ou de dévoilement en ligne de secrets familiaux. C’est une des explications possibles de ce qui est arrivé aux trois adolescents anglais, une forme de « no limit » où le virtuel s’invite dans le réel.

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Au Royaume-Uni, un projet de loi sur la sécurité en ligne est actuellement en cours d'examen au Parlement. Est-ce la seule solution pour protéger les plus jeunes des contenus violents sur les réseaux sociaux ?

Il est clair qu’il faut légiférer mais pas uniquement sur les adolescents et les usagers. Le GAFAM et autres plate-formes ont une responsabilité centrale dans la régulation des contenus qui circulent sur leurs réseaux. On arrive à la limite de ce qui est supportable démocratiquement. Il faut donc les contraindre à la régulation ce qui ne peut se faire que dans une perspective géo-stratégique de transformation du modèle dominant le numérique : l’économie de l’attention. Et cela sera insuffisant si la question de l’éducation au numérique n’est pas très vite considérée comme grande cause mondiale. Nos derniers travaux démontrent que la disqualification éducative intra-familialle est contagieuse. Dans nos enquêtes nous avons rencontré de nombreux enseignants, éducateurs ou animateurs qui croient au « digital native », croyance qui justifie de fait leur impuissance pédagogique par rapport au numérique. Les politiques publiques sont insuffisantes pour lutter contre ce « dessaisissement » éducatif alors que sur les territoires se multiplient des initiatives comme les ateliers de médiation numérique, l’éducation populaire aux médias ou les « universités populaires des parents » qui luttent contre ce phénomène. Il est plus que temps de les écouter et de les soutenir sinon les petits Olly vont se multiplier.

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