Vers une fermeture de Guantanamo : 15 années de vide juridique et un bilan calamiteux<!-- --> | Atlantico.fr
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La prison de Guantanamo, à Cuba.
La prison de Guantanamo, à Cuba.
©Reuters

War on terror ? Fail !

La Maison-Blanche a annoncé son intention de procéder à terme à la fermeture de la prison de Guantanamo, de sinistre réputation, une mesure que Barack Obama évoque depuis son premier mandat présidentiel. Dans ce camp situé sur l'île de Cuba sont enfermés sans procès, parfois depuis plus d'une décennie, des hommes soupçonnés de terrorisme.

Alain Chouet

Alain Chouet

Alain Chouet est un ancien officier de renseignement français.

Il a été chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE de 2000 à 2002.

Alain Chouet est l'auteur de plusieurs ouvrages sur l’islam et le terrorisme. Son dernier livre, "Au coeur des services spéciaux : La menace islamiste : Fausses pistes et vrais dangers", est paru chez La Decouverte en 2011.

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Atlantico : La Maison-Blanche a annoncé le 22 juillet mettre "la dernière main" à un plan de fermeture de la prison de Guantanamo, où les Etats-Unis détiennent souvent sans procès des hommes soupçonnés de terrorisme. Quel bilan tirer de la stratégie américaine sur cette prison ?

Alain Chouet : Tous les prisonniers de Guantanamo sans aucune exception sont détenus sans procès et sans aucune décision d’une juridiction quelle qu’elle soit. Ils relèvent d’un statut particulier inventé unilatéralement par l’administration Bush connu sous le terme de "ennemi combattant" qui ne veut pas dire grand-chose au delà du quasi-pléonasme et qui ne répond ni aux exigences du droit pénal ni à celle du droit de la guerre mais constitue un grand vide juridique et moral qui persiste depuis près de 15 ans. De fait, 90% des personnes qui ont été internées à Guantanamo n’avaient que des liens plutôt informels, voire pas de lien du tout avec les Talibans afghans et encore moins avec Al-Qaïda. La plupart avaient seulement eu la malchance de se trouver au mauvais moment et au mauvais endroit pendant l’offensive américano-alliée de 2002 en Afghanistan. Sur un peu plus de mille personnes incarcérées à Guantanamo, seulement une petite centaine ont eu des liens avérés avec le commandement d’Al-Qaïda, tous les autres étant soit de simples sympathisants ramassés au petit bonheur la malchance, soit des volontaires du djihad local (longtemps soutenus par les Américains) sans rapport avec le terrorisme international.

Quels objectifs étaient fixés à l'origine ? En quoi ont-ils été atteints, ou pas ?

Ce camp, voulu par les responsables du Ministère américain de la défense, avait pour objectif initial de regrouper les "terroristes" capturés sur le terrain en un lieu isolé et facile à garder en vue d’obtenir d’eux des informations et renseignements sur "l’hydre Al-Qaïda" et de réunir toutes informations susceptibles d’être utilisés dans des procédures judiciaires contre eux. Aucun de ces deux objectifs n’a été atteint. Profondément blessé par les attentats du 11 septembre, l’orgueil américain ne pouvait se résoudre à admettre que le pays avait été attaqué par une bande restreinte d’illuminés pathologiques. Dès le 12 septembre 2001, des hebdomadaires à grand tirage de part et d’autre de l’Atlantique publiaient des schémas et croquis commentés et en couleurs du complexe de commandement de Ben Laden dans les montagnes d’Afghanistan qui n’aurait rien eu à envier au repaire du Docteur No ou au PC du Strategic Air Command dans les Montagnes Rocheuses. On pouvait y voir des silos de missiles à longue portée, des hangars de réserves d’armes nucléaires, bactériologiques et chimiques, des salles opérationnelles d’où une armée de techniciens en blouse blanche installés devant des écrans géants surveillaient toute la planète et distribuaient les ordres du grand barbu d’avoir à frapper ici ou là les infidèles. Le Pentagone s’était donc donné pour mission de démanteler préventivement la menace en recueillant au plus vite le maximum de renseignement sur son étendue et sa nature. Quand on a pu constater que la réalité était aux antipodes des fantasmes, il était trop tard. Plus de mille personnes qui ne connaissaient absolument rien de ces fantasmes étaient encagées à Guantanamo….La plupart n’avait aucun renseignement à communiquer et le Congrès américain s’est fermement opposé au transfert sur le territoire US pour y être jugés de la centaine qui avait participé de près ou de loin aux attentats.

Quel est en également le bilan en termes économiques ?

C’est une opération qui a coûté et qui coûte toujours cher aux Américains. Outre l’entretien des prisonniers sur site et du nombreux personnel affecté à leur encadrement et leur surveillance, il a fallu créer au sein du Département de la Défense un service complet chargé du traitement du problème. Et surtout, depuis 2006-2007, il a fallu investir des sommes considérables pour rémunérer les pays qui voulaient bien accueillir chez eux les détenus dont l’administration américaine ne savait plus quoi faire et financer à leur profit de coûteux programmes de "réinsertion". C’est une opération d’autant plus coûteuse que les pays d’accueil, sachant les Américains en difficulté sur ce sujet, se montrent d’autant plus gourmands….

Comment l'opinion américaine se positionne-t-elle face à Guantanamo ? Comment a-t-elle évolué sur la question depuis les débuts ?

D’une manière générale, l’opinion publique américaine se désintéresse de la question et préfère qu’on n’en parle pas. Le seul consensus qui existe à ce sujet est que 99% des Américains refusent absolument que les détenus de Guantanamo soient transférés sur le territoire américain pour y être jugé (s’il y a matière à la juger…). En gros, l’opinion générale se résume à "qu’ils aillent se faire pendre ailleurs".

Quel est le futur des prisonniers ? Quel sera leur statut et qu'adviendra-t-il d'eux une fois la prison fermée ?

Il faudrait d’abord qu’elle soit fermée…. On n’en est pas encore là malgré les nombreuses déclarations d’intention. Et ceux qui restent encore sur place sont ceux qui posent les plus gros problèmes, soit parce qu’ils sont devenus enragés contre leurs geôliers , soit parce qu’ils faisaient vraiment partie du noyau dur d’Al-Qaïda et qu’il sera difficile de les remettre en circulation. Quant aux prisonniers déjà libérés, c'est-à-dire aujourd’hui la majorité d’entre eux, une grande proportion s’est réinsérée dans les pays d’accueil ou sont retournés dans leur pays d’origine. Parfois avec une lucidité et un courage qu’il faut saluer, comme Mourad Ben Chellali en France qui tente de faire passer les leçons de ses dures expériences aux jeunes séduits par les pseudo-flamboyances islamistes. D’autres, en particulier nombre de ceux qui ont été renvoyés en Arabie Saoudite ou au Yémen dans le cadre d’accords bilatéraux avec Washington, ont retrouvé en grand nombre le chemin du djihad.

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