Vers un nouveau confinement malgré la vaccination ? Ce risque que nous fait courir le trop grand optimisme du gouvernement sur l’impact des vaccins<!-- --> | Atlantico.fr
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Une membre du personnel soignant prépare une dose du vaccin Pfizer-BioNTech dans un centre de vaccination à la Tate Modern, à Londres, le 16 juillet 2021.
Une membre du personnel soignant prépare une dose du vaccin Pfizer-BioNTech dans un centre de vaccination à la Tate Modern, à Londres, le 16 juillet 2021.
©TOLGA AKMEN / AFP

Immunité contre les variants

Après la levée des restrictions le 19 juillet dernier, le Royaume-Uni envisage un reconfinement à l'automne. L'optimisme du gouvernement sur l’impact des vaccins peut-il nous amener à devoir prendre des mesures aussi drastiques en France ?

Antoine Flahault

Antoine Flahault

 Antoine Flahault, est médecin, épidémiologiste, professeur de santé publique, directeur de l’Institut de Santé Globale, à la Faculté de Médecine de l’Université de Genève. Il a fondé et dirigé l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (Rennes, France), a été co-directeur du Centre Virchow-Villermé à la Faculté de Médecine de l’Université de Paris, à l’Hôtel-Dieu. Il est membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine. 

 

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Claude-Alexandre Gustave

Claude-Alexandre Gustave

Claude-Alexandre Gustave est Biologiste médical, ancien Assistant Hospitalo-Universitaire en microbiologie et ancien Assistant Spécialiste en immunologie. 

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Atlantico : Le Royaume-Uni envisage un reconfinement "coupe-feu" (firebreaker) à l'automne. Quelle serait la logique derrière cette mesure ?

Antoine Flahault : Le Royaume-Uni aborde la rentrée dans une situation plus délicate que celle de la France. Alors que la France a su reprendre la main sur sa quatrième vague causée par le variant Delta, le Royaume-Uni a décidé de relâcher la plupart des mesures barrières durant l’été et se retrouve aujourd’hui avec un rebond que plusieurs experts anglais avaient pourtant anticipé. La courbe britannique de nouvelles contaminations est repartie à la hausse depuis début août, avec un taux de reproduction effectif au-dessus de 1, donc en croissance exponentielle toujours non maîtrisée. Ce sont plus de 40.000 nouveaux cas et 130 à 150 décès par jour qui sont actuellement rapportés au Royaume-Uni, alors que la France s’apprête à passer sous la barre symbolique des 10.000 nouveaux cas par jour à la fin de cette semaine, déplorant encore un peu plus de 100 décès quotidiens (pour une population de taille voisine). Avec la rentrée scolaire, dont on voit en Ecosse qu’elle se traduit, après trois semaines, par un redémarrage très fort des contaminations notamment chez les moins de 19 ans, les Britanniques peuvent s’attendre à une situation tendue ces prochaines semaines, qui pourrait même conduire à la saturation de leurs hôpitaux en dépit d’une couverture vaccinale élevée (72%) très voisine de celle de la France, mais surtout similaire à celle d’Israël qui est déjà à la limite de la saturation de ses propres hôpitaux actuellement. Si le Royaume-Uni devait basculer à nouveau dans une situation incontrôlable menaçant le système de santé, ses autorités n’auraient pas d’autres choix que de proposer des mesures de reconfinement.

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L'optimisme exagéré du gouvernement sur l’impact des vaccins peut-il nous amener à devoir prendre des mesures aussi drastiques ?

Antoine Flahault : En France, la situation est actuellement très différente. Les autorités ont réussi à reprendre la main sur la 4ème vague pandémique, dans toutes les régions, y compris celles d’outre-mer, où une décrue notable est appréciée depuis plusieurs semaines. Elle concerne les nouvelles contaminations mais aussi les hospitalisations et les décès. Le pays ne peut pas s’estimer à l’abri de tout rebond après la rentrée car la situation actuelle est à mettre sur le compte de l’usage étendu du passe sanitaire instauré le 9 août dernier, mais aussi de la fermeture des écoles et des universités pendant les longues semaines des congés d’été. Leur effet couplé conserve encore aujourd’hui une inertie favorable au contrôle de l’épidémie mais n’exclut pas un rebond ultérieur, tant le variant Delta est contagieux. Les enfants de moins de 12 ans ne sont pas éligibles à la vaccination et sont donc à haut risque d’être l’un des moteurs d’une reprise épidémique dans la communauté. Les 12-17 ans représentent le segment de la population le moins vacciné, donc très à risque également d’alimenter une nouvelle vague automnale. En misant sur un usage étendu et strict du passe sanitaire, la France semble avoir fait un choix efficace pour stimuler sa couverture vaccinale mais aussi pour reprendre le contrôle sur les transmissions du variant Delta, tout en préservant la vie sociale et économique du pays. Il faudrait ne pas trop rapidement relâcher les gestes barrières, en particulier le port du masque en milieux clos et dans les transports publics, continuer à investir dans une meilleure ventilation des espaces fermés des écoles et des universités, et combiner ces efforts à l’usage étendu du passe sanitaire et à une couverture vaccinale élevée. Il sera alors possible que les autorités réussissent ainsi leur pari de pouvoir contrer de nouvelles vagues pandémiques à l’automne et à l’hiver sans avoir à reconfiner le pays, en minimisant ainsi les impacts économiques et sociaux que l’on a connu lors des précédentes vagues. D’autres pays européens semblent se rendre compte de l’intérêt du modèle français. La Suisse vient d’instaurer des mesures très similaires alors qu’elle connaît une situation épidémiologique qui la rapproche dangereusement de celle des Britanniques actuellement.

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L'Institut Pasteur vient de publier ses nouvelles modélisations épidémiologiques. Quels enseignements pouvons-nous en tirer sur l'évolution de la pandémie et sur l'efficacité des vaccins contre la Covid-19 ?

Claude-Alexandre Gustave :L'Institut Pasteur a mis à jour ses modélisations épidémiologiques en début de semaine. Se remettre en question est toujours bon, mais cette mise à jour soulève tout de même quelques interrogations.

Les conclusions de l’Institut Pasteur montrent enfin un alignement sur les recommandations de l'OMS : une vaccination massive ET des mesures de suppression virale.

Les interrogations portent notamment sur la formulation suivante : « Les personnes non-vaccinées contribuent de façon disproportionnée à la transmission. Des mesures de contrôle ciblant cette population pourraient maximiser le contrôle de l’épidémie tout en minimisant l’impact sociétal par rapport à des mesures non ciblées. »

L'Institut Pasteur avait modélisé en juin 2021, que des mesures restrictives portant uniquement sur les non-vaccinés suffiraient à obtenir le même résultat qu'un confinement de toute la population. Il s'appuyait à l'époque sur l'hypothèse d'une forte protection vaccinale contre l'infection et la transmission virale. Ainsi, en limitant les restrictions aux non-vaccinés, l'Institut Pasteur pensait qu'il serait possible de freiner efficacement la circulation virale...

La mise à jour du modèle revient sur cette hypothèse en revoyant à la baisse la protection conférée contre le fait d'être infecté et contre la transmission virale :

« Avec le variant Delta, les personnes vaccinées sont moins bien protégées contre l’infection, même si la protection reste très élevée contre les formes graves. Par ailleurs, plus la population est vaccinée, plus la proportion de vaccinés parmi les cas augmente. Dans notre scénario de référence, on s’attend à ce qu’à peu près la moitié des infections aient lieu chez des personnes vaccinées (alors que ce groupe représente plus de 70% de la population). Il est donc important que les personnes vaccinées continuent à respecter les gestes barrières et porter un masque pour se protéger de l’infection et éviter de contaminer leurs proches. »

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Cependant, cette mise à jour reste étonnamment optimiste au vu des données épidémiologiques récentes.

Voici tout d'abord les hypothèses retenues par l'Institut Pasteur :

« Dans notre nouveau scénario de référence, nous faisons l’hypothèse que le nombre de reproduction de base R0 est égal à 5 (contre R0=4 dans l’analyse de juin), que le risque d’hospitalisation augmente de 50% pour les personnes infectées par le variant Delta et que la vaccination diminue le risque d’infection de 60% pour le variant Delta (contre 80% dans l’analyse de juin). Par ailleurs, nous faisons l’hypothèse d’une couverture vaccinale de 70% chez les 12-17 ans, 80% chez les 18-59 ans et 90% chez les plus de 60 ans (contre 30%-70%-90% dans l’analyse de juin). Nous continuons à faire l’hypothèse que la vaccination réduit le risque d’hospitalisation de 95% et le risque de transmission si une personne vaccinée est infectée de 50%. »

En juin, beaucoup s'étonnaient de voir le R0 de Delta fixé à 4 alors qu'il est plutôt estimé aux alentours de 7. Désormais l'Institut Pasteur revoie sa copie, mais continue cependant de sous-estimer ce R0. Pour rappel, la souche D614G (vague 1) avait un R0 de 3-3,5. Alpha, lui, était 50% plus transmissible, avec un R0 entre 4,5-5,3. Delta est 50% plus transmissible qu'Alpha, soit R0 = 6,8-8.

Autre hypothèse surprenante de l'Institut Pasteur : la vaccination baisse de 60% le risque d'être infecté. Un vaccin systémique (injectable) ne peut pas bloquer l'entrée du virus dans les voies aériennes supérieures, très étonnant de voir ce "60%".

Les baisses apparentes du nombre d'infections détectées chez les vaccinés ne tiennent qu'à la méthode de récolte des données, c’est à dire pas un dépistage systématique, mais un simple croisement des bases de données de dépistage de routine et du statut vaccinal.

Or, quand sommes-nous dépistés ? Quand nous sommes malades (symptomatiques), pour des raisons réglementaires (voyages, pass...), pour le contact-tracing.

Quand les vaccinés sont-ils concernés par ces tests ? Lors de tests en raison de symptômes : la fréquence diminue fortement chez les vaccinés en raison de l’efficacité vaccinale contre la maladie COVID (symptômes).

D'où une impression de baisse de protection contre l'infection quand la protection contre les symptômes diminue. Ce phénomène est illustré par les données israéliennes ce qui donne un parallèle fort entre les deux niveaux apparents de protection :

Crédits : gov.il/BlobFolder/rep…

Un parallèle qu'on retrouve aussi dans une étude Qatarie récente :

Crédits : medrxiv.org/content/10.110…

Ce biais a déjà été évoqué par le Pr. Mahmoud Zureik ici. J'en avais également parlé ici.

Concernant les tests réglementaires, les vaccinés ne sont quasiment jamais concernés puisque leur pass sanitaire est valide en raison de leur vaccination (donc pas besoin de test). Restent donc uniquement des tests obligatoires pour voyages, hospitalisations...

Dernier cas, les tests pour le contact tracing : là encore cela reste insignifiant puisque le contact tracing est quasiment à l'arrêt en France (Santé Publique France le déplore chaque semaine dans le bulletin épidémiologique).

Ainsi, sans dépistage systématique, il est très facile d'avoir l'illusion que le virus ne circule plus chez les vaccinés, tout simplement parce qu'on ne les teste presque plus !

Le simple croisement de bases de données n'est pas pertinent sur le plan scientifique. Ce qui amène à la dernière interrogation à propos du risque de transmission, dont la réduction est estimée par l'Institut Pasteur à 50% chez les vaccinés. Mais là encore, on retombe sur le même biais que pour l'évaluation de l'efficacité contre l'infection.

Au bilan, cette mise à jour de modélisation reste probablement encore en-dessous de la réalité, trop optimiste, mais conduit tout de même à rappeler qu'il va être nécessaire de maintenir les mesures barrières/masques malgré la vaccination.

Ce point est crucial. Le Pr. Drosten insiste également sur ce danger en rappelant que même avec 70% des adultes vaccinés, face à Delta, cela reste très insuffisant pour éviter une tension importante sur le système de santé.

Idem au Royaume-Uni où l'épidémie ne cesse d'accélérer depuis la rentrée scolaire et les retours de vacances.

Avec une tension hospitalière qui augmente lentement mais surement alors qu'une accélération épidémique est attendue avec la reprise scolaire, économique, l’automne et la baisse de la protection immunitaire. C'est pourquoi les autorités britanniques réfléchissent à un confinement de type "fire-breaker" (coupe-feu) pour octobre, au cas où la tension hospitalière ne repartait pas à la baisse.

Pour retrouver le Thread de Claude-Alexandre Gustave : cliquez ICI

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