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Vague d’OPA hostiles : pourquoi et comment l’Europe doit se protéger
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Alerte

Favorisées par la crise et les titres sous-évalués, les OPA devraient prochainement déferler sur l'Europe. Si les Etats-membres de l'Union européenne n'harmonisent pas leurs législations, ils pourraient être durement touchés.

Viviane de Beaufort

Viviane de Beaufort

Viviane de Beaufort est full professeur à l’ ESSEC et co-directrice du Centre Européen de Droit et d’Economie, spécialiste des OPA.

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Ce 13 août, le Premier ministre québécois Jean Charest a déclaré vouloir permettre aux entreprises québécoises de refuser les offres d'achat hostiles de compagnies étrangères : « changer la loi pour que les conseils d'administration tiennent compte d’autres facteurs que l'intérêt  des actionnaires en intégrant l'intérêt des travailleurs de l'ensemble de la communauté ».  

Ce, en pleine négociation de l’ALE-Europe-Canada, qui bute sur la réciprocité des règles entre les deux partenaires notamment sur les marchés publics - l’Europe étant ouverte et les Canada protectionnistes malgré leurs engagements à l’OMC ; alors que l’on pressent en Europe une reprise des OPA - les titres sous-évalués vont aiguiser les appétits, notamment des grandes entreprises des pays émergents, la capacité des entreprises européennes et de nos fleurons français à se défendre d’une OPA hostile est interpellée !

Or, lors d’une OPA hostile, la notion de bonne gouvernance d'entreprise en Europe n'induit ni les mêmes processus ni la même capacité de réaction du management, des actionnaires et des parties prenantes. Malgré l'intervention de la Directive 2004/25/CE du 21.04.2004 harmonisant les conditions de déroulement de ce mécanisme boursier, les dispositifs demeurent largement nationaux.

Disparités européennes

En effet, un article 12 baptisé « arrangements facultatifs » (ironique pour un texte de droit !) permet aux Etats de choisir un système plus ou moins protecteur, alors même que la Directive se prononce clairement pour une neutralité de l'organe d'administration ou de direction (article 9) et une neutralisation des dispositifs protecteurs d’OPA (article 11).

L’approche en droit comparé sur les 27 Etats Membres réalisée en 2001 [1], puis à nouveau en 2008 [2] démontrait que les Etats avaient choisi, selon leur culture de gouvernance et leur conception de l’ entreprise (le « tout actionnaire » à la britannique ou la « collectivité sociale » rhénane ou scandinave), de laisser aux entreprises une capacité à se défendre plus ou moins étendue. Depuis, une étude concrète des dispositifs des entreprises cotées dans les 27 Etats menée avec une équipe d’ESSEC-Droit (pas encore publiée) a permis d’identifier des différences importantes entre les droits nationaux ;  à la clé, un effet de "forum shopping".

Rassurez-vous, du strict point de vue du droit, la France n’est pas mal lotie sur les dispositifs préventifs, même si les CA doivent ménager des actionnaires très internationaux : droits de vote doubles (quasi toutes), actionnariat salarié important (Essilor), dispositif de limitation des droits de vote (SG, Pernod Ricard), pactes d’actionnaires « fidèles » qui constituent des noyaux durs en cas de menace (Alstom)… mais surtout les bons Breton (du nom de l’ancien ministre) qui permettent de réaliser une augmentation de capital ciblée en cas d’attaque sans convocation d’une AGE (ex Veolia, Vallourec).

Des mécanismes de protection

Reste que ces dispositifs sont décidés par les actionnaires, donc aux dirigeants de les convaincre de la qualité de leur stratégie. On est ici au cœur de la gouvernance d’entreprise ! Quant au principe de réciprocité acté en droit français, il n’a pas encore été utilisé.

Pour comprendre l’idée, prenons l’exemple d’Arcelor qui en janvier 2006 était victime d’une OPA hostile du groupe Mittal. Mittal est inopéable par structure, l’exception de réciprocité aurait pu permettre à l’entreprise visée de se défendre de toutes les manières possibles.

Ce concept, arraché de haute lutte lors du vote au Parlement européen, vient compenser (en partie) l’absence en Europe de la « Business judgment rule », qui permet aux dirigeants d’entreprises américaines de se battre contre une prise de contrôle non souhaitée, quitte à rendre des comptes après aux actionnaires devant un juge. Cette notion est fort intéressante : à l’époque nous avions tenté avec des députés européens (dont P. Herzog et I. Van den Burg) de la faire intégrer dans notre droit européen.

Un concept approchant est celui d’« intérêt stratégique de l’entreprise », qui existe dans le droit de sociétés des  Pays Bas et a permis à Gucci d’éviter une prise de contrôle du groupe LVMH, en 1999, laissant une marge de manœuvre importante à la direction pour contrer celle-ci, pourtant bien engagée, à l’époque.

Une harmonisation inachevée

Le dernier rapport sur la transcription de la directive OPA de juin 2012 opte pour le statut quo, mais ces dernières années, l’état du marché a fait qu’il n’y a quasi pas eu de combats d’OPA. Il est possible que la donne actuelle crée des affaires et teste la résistance des droits nationaux européens.

Si des offres sont lancées et que le droit n’est pas un rempart, la fragilité financière fera sa loi. L’Europe est ouverte, c’est un principe consubstantiel, elle peut ne pas être naïve. Sur cette question spécifique des OPA, l’harmonisation inachevée laisse un goût amer puisque la réciprocité n’a pas été érigée en principe européen. La Commission semble ne pas vouloir y revenir, elle en a pourtant l’occasion dans ses travaux sur la modernisation du droit des sociétés européen, cet automne. A suivre, donc, selon le contexte…

» Pour aller plus loin : Intervention de Viviane de Beaufort sur le site fusions acquisitions


[1] « Les OPA en Europe », Economica, Droit Des Affaires et de l'entreprise

[2] Takeover Bid's in the age of Corporate Governance", Economica

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