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Vaccins : les médias américains ferment grand les yeux sur les « petits » arrangements de Joe Biden avec la vérité
©POOL / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / GETTY IMAGES VIA AFP

Œillères médiatiques

Tout à leur mission anti-populisme, les mêmes hurlaient à la "fake news" contre Donald Trump pour des affirmations similaires.

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Atlantico.fr : Les médias américains étaient intransigeants avec Donald Trump et certains journalistes ont publiquement exprimé leur soulagement à sa défaite et à son départ, cela les rend-ils inaptes à formuler de  réelle critique à l’égard du nouveau président ? Sont-ils prêts à accepter plus d’approximations de la part de Joe Biden et son équipe que cela n’a été le cas sous le mandat de Trump, (comme l’évoque Piers Morgan dans un éditorial du DailyMail sur la question des vaccins) ?

 Arnaud Benedetti : Les médias dominants américains n’ont jamais accepté leur défaite de 2016 qui n’était pas seulement celle de Madame Clinton et du parti démocrate, mais la leur également. Le boa médiatique digère dés lors sa revanche. N’oublions jamais que Trump n’a fait que souligner par son offre politique l’emboîtement des systèmes de valeurs de la plupart des médias et des élites politiques, administratives, économiques. Cette convergence, qui peut aussi abriter des divergences en son sein, à l’épreuve du trumpisme trouve sa cohérence dans l’anti-trumpisme. Le problème qui n’est pas propre aux États-Unis mais que les États-Unis révèlent spectaculairement, mais c’est vrai aussi en France, réside dans l’homogénéité éditoriale et le recul du pluralisme de la pensée au sein du champ médiatique. Il n’y a jamais eu de neutralité "axiologique" en matière de presse, le mythe des journaux de référence n’est qu’une posture : la réalité c’est que les médias ont toujours exprimé des engagements, des intérêts, des passions aussi et c’est bien normal. Mais il existait alors une plus grande diversité, des dispositions critiques concurrentes ; or la standardisation intellectuelle aujourd’hui exerce une pression forte sur les médias qui tend à réduire la pluralité et à instaurer l’image d’un parti médiatique très éloigné, et parfois opposé, à de nombreuses sociologies, celle notamment que Trump a su parfaitement opérer dans son expression politique. La plupart des grands médias américains ont joué durant 4 ans contre Trump, ils n’ont jamais accepté sa victoire lui intentant dés les premiers pas de son mandat un procès en légitimité. Dans cette période électorale et post-électorale, ils ont, tout à leur détestation du trumpisme, évidemment pratiqué un journalisme de combat qui visait à jouer plus sur la construction des représentations que sur la relation des faits. 

Ils ont pratiqué évidemment pour certains d’entre eux ce qu’ils reprochaient à leur adversaire : ils ont "négocié la réalité" pour reprendre l’expression terrible de cynisme du théoricien des relations publiques , Edward Bernays. 

N’y a-t-il pas un risque qu’en appliquant ce deux poids deux mesures à l’égard de Joe Biden vis à vis de son prédécesseur, les médias nourrissent la fracture de la population aux Etats-Unis que Biden cherche  à réparer ?

Biden est l’otage de l’hétérogénéité de ses soutiens les plus visibles. Il est central, centriste mais il veut incarner l’antithèse de Trump et pour ce faire, il joue sur les symboles dont une partie de la presse de gauche américaine se nourrit. Dans ce but il veut se démarquer radicalement de son prédécesseur et nourrira dans un premier temps l’appétit sociétal de ses soutiens les plus radicaux. D’où les premiers décrets qu’il a signé, qui sont autant de gages à la branche la plus extrême de ses partisans. Le problème c’est que 74 millions d’Américains ont voté pour son concurrent... Cette réalité arithmétique, sociale, il ne peut gouverner contre elle, sauf à ne pas remplir les objectifs d’apaisement qu’il s’assigne. Il va falloir qu’il se détache le moment venu de la représentation dominante des médias pour parler à la sociologie profonde de son pays. De deux choses l’une : soit il entreprend de recoudre la Nation, soit il mène un combat idéologique au risque de le fracturer encore plus. Le problème n’est pas tant celui des médias que celui de la relation du nouveau Président aux médias. Pour ramener dans l’Orbe unitaire les bataillons du trumpisme, Biden sera contraint de décevoir la frange la plus anti-Trumpiste du parti médiatique. En est-il capable ? 

Cette attitude des médias n'est-elle qu’un état de grâce temporaire pour Joe Biden, qui s’estompera progressivement, ou le signe d’une complaisance plus large dont il pourrait profiter tout le long de son mandat ?

Dans le moment c’est une complaisance, mais elle ne sera que passagère, car l’exercice du pouvoir en démocratie est mécaniquement producteur de déceptions et de frustrations. Ce qui est évident, c’est qu’il ne souffre pas du déni médiatique en légitimité qui fut celui de Donald Trump. Mais tout ceci est fort compréhensible puisqu’il est lui-même le champion que les oligopoles médiatiques s’étaient choisis pour se débarrasser du sortant qui, il est vrai, n’a rien fait pour s’attirer leurs bonnes grâces. Ceci dit, un facteur pourrait temporiser les critiques à venir des médias, leur peur du "trumpisme" dont la pression sociale et politique ne cesse d’opérer sur le système politique américain.

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