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Université d'été de la Défense : pourquoi le souhait de Manuel Valls de relancer la défense européenne est louable mais s'annonce bien compliqué à mettre en place
©Reuters

Retour au réel

Le Premier ministre Jean-Yves le Drian a affirmé, dans le cadre de la quatorzième Université d'été de la défense, son désir de repenser la stratégie de défense de l'Europe pour faire face aux nombreux enjeux auxquels elle est confrontée. Une telle initiative, surtout à cette échelle, nécessiterait de revoir l'ensemble de l'Europe et de sa politique.

Guillaume Bucherer

Guillaume Bucherer

Guillaume Bucherer est officier de réserve de la Marine nationale où il est membre du jury du concours d'entrée à l'Ecole de Guerre. Il a travaillé 4 ans au Centre d'études stratégiques de la Marine. Il est diplômé de l'université de Lille en défense et sécurité et est passé brièvement par l'UE et l'ONU. Il est également vice-président des Jeunes européens professionnels et membre de l'International Geostrategic Maritime Observatory. Il donne régulièrement des conférences sur l'Europe et sur les enjeux maritimes et navals. 

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Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy est enseignant en géopolitique à l'Université Catholique de Lille, à l'Institut Supérieur de gestion de Paris, à l'école des Hautes Études Internationales et Politiques. Il est également président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). 

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Atlantico : Ce mardi 6 septembre, le Premier ministre Manuel Valls et le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian se sont rendus à leur dernière université d'été de la Défense du quinquennat Hollande. Quels ont été les sujets traités ? Quels sont les enjeux de l’édition 2016 des UED ?

Emmanuel Dupuy : L’Université d’été de la Défense reste le rendez-vous incontournable de la rentrée de la communauté de la défense, réunie sous l’égide des Commissions de la Défense de l’Assemblée nationale et celle des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat, et placées, sous le parrainage de leurs présidents respectifs, la députée socialiste du Finistère Patricia Adam et l’ancien Premier ministre, le sénateur de la Vienne Jean-Pierre Raffarin.

Cette édition fut notamment marquée par la 5ème et, a priori, la dernière du ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, qui continue de bénéficier, au sein des Forces armées et auprès de la communauté industrielle de défense, d’une aura positive, à l’aune des 15 milliards de contrats export en 2015-2016, en direction de l’Egypte, des Emirats Arabes Unis, de l’Australie et du Koweït, entre autres…

Comme les années précédentes, ce sont plus de 600 personnes, qui se sont réunis à l’Ecole polytechnique et à l’Ecole militaire, deux jours durant, autour, cette année, des thèmes qui conditionnent l’environnement opérationnel de nos forces armées, tant à l’extérieur que sur le territoire national. Il y fut question, notamment de l’impact du Brexit sur l’avenir de la coopération militaire et industrielle entre nos deux pays et de son impact sur la politique européenne de sécurité et de défense.

Le continuum "sécurité-défense" est devenu une réalité. Le Livre Blanc sur la défense et la sécurité de 2008 en définissait les contours théoriques, les attentats qui ont frappé le territoire national ainsi que nos voisins européens et méditerranéens lui ont donné une actualité hélas dramatique. Face à ce nouveau défi, qui s’est installé durablement en France et en Europe, restait néanmoins à définir concrètement des parades efficaces. Il en fut question, bien évidemment pendant cette édition.

La mise en place d’une Garde nationale, le renforcement de nos capacités de réserve militaire et civiques, ainsi que le développement et le renforcement de la résilience sociétale sont ainsi quelques-unes des réponses les plus attendues par les Français, qui interrogent désormais plus ouvertement les responsables politiques sur leur engagement pour assurer paix, sécurité et stabilité. Il était donc normal que les travaux parlementaires récents sur le sujet, dont le rapport "Garde nationale : une réserve militaire forte et territorialisée pour faire face aux crises" rédigé par les sénateurs Jean-Marie Bockel et Gisèle Jourd, soient ainsi mis en avant à l’occasion de cette université d’été.

Par ailleurs, l’engagement militaire français depuis 2013 dans la bande sahélo-saharienne fut aussi l’occasion de rappeler combien la coopération transrégionale, autant que le recours à une approche globale dans la gestion des crises, en particulier en ce qui concerne l’aide publique au développement, étaient des clés complémentaires de la lutte efficace et pérenne contre le terrorisme, tant dans la bande sahélo-saharienne que dans notre voisinage stratégique que constitue l’espace méditerranéen, tant les ingrédients des insécurités y sont imbriqués (Démographie et migrations, souveraineté et frontières, criminalité et mal-gouvernance).

De ce point de vue, le rôle accru de l’Agence Française du développement (AFD), dans le cadre du lien entre sécurité et développement, à travers la création d’une Facilité pour lutter contre les vulnérabilités de l’ordre d’une centaine de millions d’euros, ainsi que la création d’un crédit de coopération "sécurité & défense" dans le calcul de l’aide publique au développement étaient également des enjeux d’importance évoqués durant ces deux jours. Il s’agissait d’ancrer la sécurité en "profondeur" dans les zones fragilisées par les conflits et le caractère résiduel des violences liées au terrorisme et à la narco-criminalité.

Enfin, il convenait de rappeler que les menaces auxquelles font face la France et l’UE (terrorisme d’origine islamiste radical) ne sont pas les seules qui devrait justifier un engagement budgétaire stabilisé autour des 31,4 milliards d’euros (40 milliards en y incluant les pensions) dans le calcul du budget annuel que la France consacre à ses Forces armées ; chiffre cependant en-deçà des 2% du PIB que l’Otan préconise depuis le Traité de Newport en septembre 2014 pour ses 28 membres.

En effet, de nouveaux théâtres d’opérations, caractérisés par la virtualité (Cyber-espace), l’inconnu (espace extra-atmosphérique), de nouveaux paradigmes géopolitiques (pivotement asiatique) et des changements d’alliances stratégiques se muant en potentielles crises à l’est autant qu’au sud du continent européen ("émergence" sur le plan géo-économique et "aspiration" à la création d’un espace eurasien, qui sur le plan géopolitique, peut être perçu comme concurrentiel avec l’intégration euro-atlantique) engagent et engageront sans cesse crescendo nos forces armées, notre diplomatie ainsi que nos capacités de recherche et de développement dans une logique de coopération autant que d’une compétition plus frontale.

Guillaume Bucherer : Il a été question de la prise de conscience d'un changement de paradigme de défense dans un monde extrêmement mouvant. Malheureusement longtemps négligé, l'outil de défense a su s'imposer au regard du décideur politique, qui ne le voit plus comme un simple instrument de politique étrangère, mais comme un garant de son existence même, à l'heure où la menace sur nos sociétés est autant interne qu'externe. 

La volonté française a des chances d'être partagée au niveau européen. D'abord par les Britanniques, qui, même s'ils sont sortis de l'UE, restent nos partenaires privilégiés en matière de défense, car leur outil de défense comme leur réseau diplomatique est similaire au nôtre. L'Allemagne a également indiqué vouloir augmenter son budget de défense. Enfin, des pays qui se considèrent sous la menace russe chercheront par tous les moyens à se trouver des alliés diplomatiques dans les instances européennes. N'oublions pas que la police du ciel des pays Baltes est actuellement réalisée par l'aviation militaire des pays d'Europe occidentale. 

Il existe cependant, par delà ces apparentes convergences budgétaires, un obstacle majeur. En effet, aussi puissante et performante qu'elle soit, une armée reste un outil au service d'une politique étrangère. Or, on constate une tendance des pays européens à vouloir "mettre la charrue avant les boeufs". Nous n'aurons de défense européenne que lorsque nous aurons une politique étrangère européenne. Sans cela, les moyens de défense resteront paralysés par des divergences politiques. Pour le moment, les pays européens ont des intérêts non seulement divergents mais parfois franchement opposés. Par exemple, les pays d'Europe occidentale ne perçoivent pas la menace russe, tandis que les pays nordiques ou de l'est ne se sentent pas concernés par les questions migratoires en Méditerranée. La réussite diplomatique consistera à trouver les intérêts communs, comme par exemple la sécurisation des routes commerciales maritimes. 

De nombreux pays comme la Pologne ou les Pays Baltes ont demandé ces derniers mois un soutien militaire accru de la part de l'Otan, pointant du doigt la menace russe. Concrètement, comment pourrait se mettre en place un réinvestissement de la défense européenne ? A quoi devrait-elle se conformer pour répondre aux nombreuses menaces auxquelles elle doit faire face ? Mutualisation des forces de différents pays, création d'une armée européenne autonome... A quoi devrait-elle ressembler ?

Emmanuel Dupuy : Les attentats de janvier 2016 et novembre 2015 (sans oublier ceux qui frappent au quotidien les populations du continent africain, au Levant, en Asie et ailleurs en Europe) ont entraîné une prise de conscience sur la complexité et la dangerosité d'un monde globalisé où les frontières face aux menaces terroristes, notamment, n'existent plus. Nos ennemis, qui ont toujours agi sur plusieurs fronts (concomitamment dans la bande sahélo-saharienne, au Yémen, au Levant aujourd’hui, en Afghanistan et en Irak hier…), ont également franchi le seuil de notre porte et n’hésitent plus à nous frapper sur notre propre territoire.

Cinquante ans après la première guerre "hybride" en Algérie, le spectre d’une "longue" guerre asymétrique ressurgit. Toutefois, depuis la fin de la Guerre Froide, nous devons faire face à des menaces asymétriques bien plus qu'au risque codifié d'une guerre classique infra-étatique, apriori sur le continent européen ou dans son voisinage oriental, malgré les crises en Crimée et dans le Donbass ukrainien.

Le continuum défense-sécurité est ainsi de plus en plus prégnant. Plus il y aura de zones grises, régions de non-droit, bases refuges actives du terrorisme et de la criminalité internationale, plus le risque, ici, sera élevé.

Fort de ses réalités stratégiques nouvelles qui s’imposent à nous, d’évidence, c’est à travers davantage de mutualisation (sur le plan d’une politique européenne de sécurité et de défense commune qu’il conviendrait de mettre réellement et efficacement en place, nonobstant son existence déjà depuis 2009) et d’optimisation de nos coopérations existantes (OTAN, UE) qu’il faut tendre.

Les Français ne s’y trompent pas. Un récent sondage réalisé par l’institut de sondage Viavoice (juin 2016) venait nous rappeler que 71% d'entre eux adhéraient spontanément à ce qu’il est convenu d’appeler "Europe de la défense".

Le problème est donc ailleurs ! Tant que la volonté politique reste faible, tant au niveau de chaque capitale qu’au niveau des réunions intergouvernementales à Bruxelles, l’Europe restera, malgré ses 11 missions militaires engagées depuis 2003 et la modestie de ses moyens militaires (3000 hommes au regard des 192 000 casques bleus, à titre d’exemple) un "tigre de papier".

Il est donc urgent que les pays européens s’unissent pour se donner les moyens de mener une lutte implacable contre le terrorisme islamiste, tout en se donnant les moyens de répondre à un éventuel conflit de haute intensité, fort des velléités russes et les craintes de ses voisins baltes, que vous évoquez.

Or, pour l’instant, force est de constater que la solidarité en matière de défense n’est guère au rendez-vous (pire, ce sont nos alliés périphériques - Géorgie, Albanie - qui compensent une absence manifeste de nos principales partenaires - GB, Allemagne -). A cet effet, le recours à la Clause de solidarité communautaire, que la France a eu raison d’évoquer suite aux attaques terroristes de novembre dernier, témoigne des puissants outils dont nous disposons.

C’est aussi le cas, avec l’article 222 du Traité de Lisbonne - qui implique une mobilisation au niveau de l’UE, en cas de catastrophes naturelles ou d’attaques terroristes - ou encore l’article 42-7 du même Traité, appelant, cette fois, à une assistance plus "aisée" sur une base bilatérale ou intergouvernementale.

Toutes les projections législatives, administratives, capacitaires ne seront néanmoins pas suffisantes pour prévenir les attentats qui risquent, à un moment ou un autre, d’endeuiller le continent européen ou, de nouveau, notre territoire.

Il y a ainsi une différence notable - d’échelle - entre les outils nécessaires pour contrer le terrorisme et ceux qu’il convient d’appeler de ses vœux pour lutter contre le terrorisme.

C’est ainsi moins dans une loi d’exception capacitaire que dans la recherche d’une approche globale et dans l’inclusion de la sécurité dans le développement des territoires, de la prise en compte de la Realpolitik dans notre agenda international et de la résilience des citoyens, que demeurent nos meilleures armes nous permettant d’apporter une réponse efficace et pérenne contre l’ancrage durable du terrorisme.

Guillaume Bucherer :  Les Européens doivent comprendre que leur défense passera par eux seuls. Les USA, en prise avec de sérieuses problématiques en Asie-Pacifique (une frégate est produite tous les 4 mois en Chine), ne pourront ouvrir plus ouvertement un front en direction de la Russie, sans risquer que les Chinois ou les Iraniens ne se précipitent ainsi sur la brèche ouverte. 

Les pays européens pourraient déjà se conformer aux objectifs de l'OTAN, à savoir consacrer 2% de leur PIB à l'outil de défense. Mais c'est loin d'être suffisant : consacrer 2% du PIB n'est pas la même chose selon que l'on est la Slovénie ou la France. 2% du PIB, c'est le taux normal pour des pays de taille moyenne en temps de paix. Sans verser dans un discours militariste, l'effort de défense doit pouvoir concerner davantage que "2% du PIB", expression un peu abstraite qui ne met pas en valeur la chaîne de production, depuis la recherche fondamentale jusqu'à l'utilisation effective de nouveaux armements. L'industrie européenne de défense est en train de perdre du savoir-faire faute de commandes conséquentes. La Commission européenne porte également une part de responsabilité : l'intégration des industries de défense dans le giron du libre échange était une erreur (qui semble se réparer doucement, voir la dernière note de l'Ifri sur le sujet). Une solution serait de convenir d'un programme de recherche militaire commun à l'UE, via l'Agence européenne de défense dont le budget doit être au moins triplé et en impliquant, comme aux USA, l'ensemble de la chaîne économique civile, depuis les chercheurs jusqu'aux grands groupes, en passant par des start-ups innovantes. Les programmes d'armements seraient commandés par plusieurs pays simultanément. 

L'Armée européenne autonome, si elle reste un objectif souhaitable à long terme, ne pourra voir le jour que lorsqu'il y aura convergence de la politique étrangère européenne et que la question de la responsabilité du sang versé sera résolue (serait-ce politiquement acceptable qu'un Français meurt sous commandement lituanien par exemple ?). La mutualisation des dépenses de recherche puis la mise en commun de programmes d'armement aux débouchés internes semblent être les solutions les plus réalistes à court terme. 

Quelle serait la place de la France dans cette dynamique tant au niveau politique qu'opérationnel ? Quelle carte peut-elle espérer jouer dans ce réinvestissement de la Défense européenne ? A quoi devrait-elle se conformer pour répondre aux nombreuses menaces auxquelles elle doit faire face ? L’agenda à Bruxelles rend-il plausible une avancée en matière de mutualisation des forces de différents pays, voire la création d'une armée européenne autonome ? Quelles pistes iraient en ce sens ?

Emmanuel Dupuy : La construction de cette Europe de la défense et de l’armement - trop longtemps balbutiante et laissée en jachère depuis l’échec de la mise en place d’une Communauté européenne de défense en 1954 -, devrait aller de pair avec la volonté de l’UE d’être un acteur diplomatique de premier plan sur la scène internationale, et ce à l’aune des récentes crises internationales (Afghanistan, Printemps arabes, Mali, RCA, Ukraine, Lybie, Egypte, Syrie…) où la voix européenne a été au mieux inaudible et, dans la plupart des cas, tardive.

La France reste l'un des principaux contributeurs au budget européen - 17% - et demeure, à raison de 800 millions d’euros/an, un des principaux payeur d’OPEX. Au-delà, alors que l’Europe baisse la garde sur le plan budgétaire et capacitaire et qu'elle peine à faire entendre une voix unie sur la scène internationale, nombreux sont ceux qui s’arment ou se réarment (Chine, Inde, BRICA’s).

On est loin de l’optimisme de Victor Hugo, qui voyait dans l’Europe un héritage et un élargissement de l’universalisme démocratique né du Siècle des Lumières et de la Révolution française… mettant d’emblée en exergue la "centralité" et le "particularisme" de la contribution française à l’unification politique et la communautarisation économique, monétaire et in fine diplomatique du continent européen, voire bien au-delà (Amérique latine de la fin du 19ème siècle, par exemple) !

Il en est résulté une présence française en amont du projet européen à toutes ses étapes structurantes, de sa fondation à 6 à son élargissement à 28 (Congrès de La Haye en 1948, Déclaration Schuman en 1951, création à Rome en 1957, Acte unique en 1985, Traité de Maastricht en 1992, Constitution européenne en 2005, Présidence en 2008, Traité de Lisbonne de 2009…).

Pourtant, la France n’a jamais aussi été peu et mal représentée à Bruxelles.

Il en résulte une perte d’influence certaine, dont résulte in fine un amoindrissement de notre capacité à influer sur les décisions prises à Bruxelles.

Certains mettent en exergue, dans ce contexte, une logique de bras de fer franco-allemand, née de l’obstination française visant à ne pas procéder aux réformes économiques structurelles (notamment en matière de rigueur budgétaire et de lutte contre l’inflation galopante des déficits publics) que pourtant l’Allemagne avait courageusement engagé en 2004 avec le Chancelier Gerhard Schröder.

On s’est ainsi éloigné de l’esprit de la relance du couple franco-allemand entre 2007-2012 (couple "Merko" - Sarkozy-Merkel), caractérisé par le Sommet de Deauville en 2011, la Présidence française du G8-G20 (premier semestre 2012) ou encore le Sommet de l'UE de Lisbonne ainsi que celui de l’OTAN de Strasbourg-Kehl (en 2009).

Dès lors, convient-il de se poser la question de savoir si l’agenda français européen conduit réellement l’UE à se penser comme un ensemble homogène, dans un monde où la Realpolitik et les regroupements subrégionaux prédominent ?

Si l’Europe est ainsi présente sur le papier, par son carnet de chèque, elle l’est nettement moins sur le terrain. De ce point de vue, la question de la sécurité et de la défense européenne, est révélatrice des différences de perceptions intra-européennes.

Fort de ce constat, il ne fait pourtant guère de doute que ni la Russie, ni les Etats-Unis n’a plus aujourd'hui vraiment besoin de l'Europe pour avancer sur le chemin d’un dialogue stratégique équilibré entre eux.

En découle, du point de vue russe, une certaine "orientalisation" de sa politique étrangère (justifiant l’Union douanière entre la Russie, le Kazakhstan et la Biélorussie, d’un côté, et mettant en exergue la notion d’Eurasie. Les velléités de désengagement américain du continent européen, au profit d’un "pivotement" asiatique constitue la réponse américaine à ce mouvement "stratégique" de Moscou.

Plus génériquement, c’est l’Asie - notamment dans sa partie médiane - qui devient, certainement, la partie du monde qui présente le plus de risques au regard des intérêts des pays occidentaux et des forces de l’OTAN en présence. Chacun observe avec attention les évolutions dans cette région avec une attention toute particulière quant à l’attitude "duale" de la Chine : cette dernière est à la fois un partenaire diplomatique, tout en restant un concurrent économique.

En effet, les regards portés dans sa direction ne sont pas toujours identiques et ne suivent pas toujours les mêmes trajectoires. Les changements intervenus en matière géopolitique relèvent pour une part croissante de la Realpolitik.

Il y a d’abord la montée en puissance des BRICafS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), ainsi que de ces puissances plus régionales que sont l’Indonésie, le Mexique, la Turquie.

Il faut ensuite prendre en considération les nouvelles tendances idéologiques, progressives ou régressives, qui modèlent le monde avec, au tout premier rang de nos préoccupations, celles que véhicule le terrorisme.

Il convient en outre d’être attentif aux menaces et risques récurrents liés à la mondialisation tels que les incidences du changement climatique (crue des eaux, sécheresses, réfugiés climatiques), aux processus de nature politique comme les printemps arabes ou les mouvements des indignés, ainsi qu’aux nouveaux risques inhérents au développement de nos sociétés, avec le dilemme entre le respect des libertés individuelles et l’exigence de sécurité collective, dont le cyberespace est une illustration.

Nous devons qui plus est tenir compte des changements considérables dans les relations internationales au cours de ces vingt dernières années, notamment avec les pays du Sud et entre ces derniers pays, sous-tendues qu’elles sont par le développement des réseaux terroristes, ainsi qu’aux effets de ces changements ; les acteurs étatiques s’en trouvant contraints (sur les plans diplomatique, militaire et stratégique) à assumer de nouvelles responsabilités.

Les Américains incitent donc l’Europe à prendre collectivement en charge sa sécurité, tandis qu’ils se désengagent progressivement du continent européen et redéployent leurs forces dans le Sud-Est asiatique où croise désormais une grande partie de leur flotte.

Bref, à force de parler d’Europe de la Défense, sans jamais en définir les contours d’emploi stratégique et l’agenda capacitaire, l’Europe en matière de défense et d’action extérieure serait-elle devenue in fine un colosse aux pieds d’argile ?

Pire, à force de faire du "soft power" une spécificité européenne - forte, il est vrai, d’un réel savoir-faire et de capacités civilo-militaires concrètes - n'est-on pas en train d'empêcher l'Europe de prétendre à jouer un rôle militaire (Hard power) plus prégnant, justifiant sa légitimité diplomatique et mettant en exergue son attractivité économique ?

L’agenda européen des prochains mois offre, néanmoins, une courte fenêtre d’opportunité que la France aurait intérêt à saisir.

Il y a d’abord le Sommet de Bratislava, du 16 septembre prochain qui devrait retracer les contours d’une UE à 27, sans la Grande-Bretagne, tout en veillant à ne pas marginaliser un acteur militaire et industriel de première importance quand il s’agit de lutter de concert au Levant, en Libye contre Daesh.

Il y a ensuite la prochaine prise de parole de Jean-Claude Juncker, sur le prochain "paquet défense", mettant en exergue le renforcement d’une industrie européenne de l’armement, en quête de crédit de recherche et développement. Ce dernier devrait d’ailleurs confirmer sa déclaration de mars dernier, au cours de laquelle le Président de la Commission appelait à la création d’une armée européenne !

Il y a enfin, le Conseil européen de décembre prochain, qui pourrait aboutir à une ambition renouvelée en matière de PSDC, notamment dans la direction de nouvelles sources de financement, et ce, sous la double impulsion de la Haute-Représentante de l’UE pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, Federica Mogherini, et de l’ancien Commissaire européen français, Michel Barnier, désormais en charge de la PSDC au sein de la Commission européenne, en sa qualité de Conseiller de Jean-Claude Juncker.

Tout l’enjeu résidera, en effet, dans la capacité française à maintenir la question de la continuité défense-sécurité comme l'une des ambitions principales du projet européen, désormais réduit à 27, au moment où, sur cette question, malgré quelques divergences passagères, la France perd son principal partenaire en matière de défense.

La 14ème édition de l’Université d’été de la défense, a, de ce point de vue, su démontrer l’intérêt et la pertinence de faire de la coopération transméditerranenne en matière de défense et de sécurité, à l’instar de ce qui fonctionne bien depuis sa création en 2004 (Dialogue 5+5 instaurant un dialogue entre pays de la Méditerranée occidentale - Portugal, Espagne, France, Italie, Malte, Mauritanie, Maroc, Algérie, Tunisie et Libye), potentiellement à travers une brigade méditerranéenne, un "modèle" d’intégration et un vecteur de coopération, aussi fédérateur que ne le fut le dialogue franco-allemand, à travers la création de la Brigade franco-allemande en 1989.

Guillaume Bucherer : La France devra évidemment jouer un rôle de premier plan dans la (re)construction d'une défense européenne. Fort de son savoir faire tant industriel qu'opérationnel, elle devra, en l'absence des Britanniques, prendre le lead sur ces questions. Elle pourra compter, avec un peu d'habileté diplomatique, sur le soutien des pays méditerranéens sur les questions migratoires et de trafics, et sur les pays de l'est concernant la protection vis à vis de la menace russe. Cela impliquera de répartir justement les efforts entre pays, et de jouer sur l'ensemble du spectre opérationnel. Au niveau politique, elle doit contribuer à faire de l'UE un "espace géopolitique unique". Au niveau opérationnel, elle doit démontrer la pertinence de son outil de défense, et surtout son utilité pour la sécurité de l'ensemble des pays européens. La sécurité apportée par la Marine sur la protection des routes commerciales me semble être l'exemple le plus parlant. Enfin, rappelons que la bonne dynamique d'une politique de défense amène beaucoup d'emplois : les bassins d'innovations et industriels aux technologies duales servent la société civile tout entière, depuis la conception de nouveaux outils jusqu'à leur utilisation dans notre vie quotidienne (micro-onde, poële à frire, laser...). 

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