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Un trésor caché de 3500 milliards d’euros en épargne qui empoisonne les banques, les assureurs et fait saliver les politiques.
©000_1PX8P6 JOEL SAGET AFP

ÉPARGNE

Le paradoxe français. D’un côté, la grogne, la peur et l’angoisse. De l’autre, une épargne liquide surabondante et historique de 3500 milliards d’euros. Ceci explique cela, mais explique aussi la paralysie.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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La légère remontée de la consommation au lendemain du confinement n’a guère entamé cette montagne d’argent accumulée par les Français. Cela représente une richesse colossale, mais comme cet argent est stocké et ne fait rien, il est devenu un véritable boulet. Les épargnants se croient rassurés, mais ils se privent des moyens qui seraient capables de résoudre la majorité des problèmes auxquels nous sommes confrontés. Cet argent est un boulet alors que les Français croient que c’est une aubaine. Quelle erreur !  

Quand on s’aventure dans les chiffres de la Banque de France qui, chaque jour, compte l’argent des Français, on hallucine. Jamais il n’y a eu en France autant d’argent disponible et liquide sur les comptes courants des banques, des comptes sur livrets et les assurance-vie (fonds euros). Ce qu’on y découvre est à peine croyable : plus de 3500 milliards d’euros en liquide et disponibles immédiatement qui pourraient être utilisés. Un seul clic de souris suffirait. Cette fortune plombe l’équilibre des banques et des assureurs, et fait saliver les politiques qui commencent à déborder d’imagination pour capter une partie de ce pactole. 

Au total, 3582 milliards d’euros à fin août, se répartissant entre les produits les plus simples qui sont :

Des bas de laine que l’on peut évaluer à quelques 200 milliards en billets de 50, 100 ou 200 euros. Ces espèces un peu clandestines ont servi pour une grande part à payer les reprises de dépenses de consommation ces dernières semaines mais sans plus. Il reste encore énormément de billets de 500 euros cachés sous les matelas et que l’on sort au compte-goutte depuis que la banque centrale a programmé leur retrait. 

Des comptes d’épargne réglementés, disponibles à vue, rémunérés mais très faiblement, dans les banques et les caisses d’épargne pour 1050 milliards d’euros 

Des comptes d’assurance-vie qui sont disponibles et dont le rendement s’est réduit considérablement (comptes sécurisés en euros) pour un montant d’encours de 1700 milliards d’euros. 

Ces comptes se sont gonflés particulièrement depuis la crise du Covid 19, mais il faut reconnaître que la progression des montants épargnés est antérieure à la crise. Depuis  2015. Entre 2015 et fin 2019, le total de ces réserves a augmenté de 500 milliards d’euros et depuis l’année dernière, ce trésor a encore grossi de 200 milliards d’euros. La détention de ces fonds n’est pas répartie de façon égalitaire ni même équitable. Les riches ont évidemment une capacité d’épargne plus importante que les pauvres mais les classes peu favorisées n’ont pas échappé à cette course à l’épargne. 

Les raisons de cette épargne sont évidemment archi-connues. 

D’abord, la vie s’est presque arrêtée pendant plus de deux mois. Quant aux vacances, personne n’est sorti hors de France et la majorité des Français ont pris des vacances de proximité. Donc l‘argent gagné par ceux qui travaillaient encore ou distribué sous forme d’allocations chômage n’a pas été dépensé. Il a été stocké. 

Ensuite, les économistes pensaient qu’au moment du déconfinement, cet argent sortirait pour rattraper en consommation le temps perdu. Les Français sont finalement restés très sobres. 

Enfin, la peur qui règne partout, la crainte d’un retour du virus, l’angoisse du chômage pour beaucoup, a paralysé les comportements. Le consommateur ne consomme pas ou très peu, par rapport à son pouvoir de dépenser.  

Cette montagne d’épargne est une montagne de précaution, les Français ont appliqué à leur comportement le sacro-saint principe de précaution. 

La conséquence de ce phénomène, c’est qu’il va retarder le processus de reprise de l’économie. Le chef d’entreprise doit faire des projets, décider d’investir, innover, il doit créer de la richesse, de la croissance et de l’emploi. Il a, a priori, tous les moyens ou presque de le faire. Tout sauf les clients. Le client consommateur reste actuellement assis sur son tas de liquidités. 

Le comble dans cette configuration est que cette épargne ne sert à rien sauf à rassurer l’épargnant.  Elle n’est ni consommée, ni investie. Cette épargne gérée par des banques et les sociétés d’assurances. 

La situation est tellement tendue dans les établissements financiers que beaucoup cherchent les moyens d’appliquer des taux négatifs à cette épargne de précaution. Ça s’appellera frais de gestion ou droits de garde. Mais le jour n’est pas loin où l'épargnant devra payer pour que son argent soit conservé en toute sécurité à l'abri des risques. 

La logique économique voudrait que cet argent s’investisse dans des activités à risque justement. Or l'investissement en actions ou en entreprise représente moins du tiers de cette épargne de précaution.  

Les pays anglo-saxons et l’Allemagne ont des capacités d’épargne aussi importantes que la France mais leur épargne est, pour plus des deux tiers, investie dans l’économie via des fonds de capitalisation dont beaucoup servent à financer les systèmes de retraite. 

Le Français n’a pas cette chance, lui qui a refusé la réforme des systèmes de retraite. Il préféré mettre son argent dans les assurances-vie parce qu’il pense que son argent sera protégé par l’Etat. La réalité, c’est que l’argent de l’assurance-vie sert à financer le déficit public. Et tant que l’Etat peut emprunter pour rembourser les bons du Trésor ou servir une rémunération (très modeste) à ceux qui lui prêtent de l’argent, le système peut continuer de tenir en équilibre, mais combien de temps ? 

Actuellement, l’État aspire l’épargne populaire (bons du Trésor, fonds euros des assurances vie….) pour couvrir ses dépenses de fonctionnement qui sont en partie hypothéquées par des prestations sociales distribuées, lesquelles viennent alimenter des comptes d’épargne qui sont actuellement stérilisés pour l’appareil économique. 

Ce qui est passionnant et assez surréaliste dans le système français, c’est le jeu de l‘Etat qui se sert à la fois sur le contribuable et sur l’épargnant. Sachant que c’est très souvent la seule et même personne. 

En clair, l’État français peut se permettre de faire des dettes pour payer des dépenses parce qu‘il emprunte par cher, mais s’il emprunte pas cher, c’est parce que l’offre de monnaie est abondante. Cette abondance vient d’où ? et bien de l‘épargne ! La boucle est bouclée. 

L’épargne des Français ne sert pas à la création de richesses, elle est redistribuée dans la dette publique. D’une certaine façon, la majorité des Français profite d’un système social généreux, sans savoir que c’est leur épargne qui finance cette générosité. 

Système à la logique assez perverse pour des agents économiques assez masochistes. 

Il y aurait très surement des circuits plus courts et plus rentables pour tous les agents économiques si on retrouvait un peu de confiance dans le système.

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