Alors que la question d’une restriction des exportations des doses de vaccins produites au sein de l’UE sera au cœur des débats, les 27 pourraient bien remettre en cause l’un des dogmes européens sans véritablement réfléchir aux implications de court comme de long terme de leur décision.
Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli.
Atlantico : L’Union européenne menace de bloquer les exportations du vaccin d’AstraZeneca si elle ne recevait pas d’abord les livraisons promises. Alors que l’Europe a toujours mis un point d’honneur à respecter les contrats, est-elle en train de sortir de la naïveté de ceux qui jouent toujours selon les règles dans un monde où tout le monde triche ?
Edouard Husson : Je suis moins optimiste sur les bonnes intentions de l'Union Européenne et moins catégorique sur les mauvaises intentions du monde extérieur. Il faut d'abord bien se rendre compte que l'enjeu des vaccins révèle la grande faiblesse - je dirais même le déclassement des pays de l'Union. Non seulement la France et l'Allemagne, qui avaient autrefois une puissante industrie pharamaceutique, ont été distancées dans la course au vaccin - et se sont révélées incapables d'aider leurs petites entreprises capables, à la différence de "Big Pharma", de concevoir et fabriquer des vaccins dans les temps demandés. Mais les deux premières puissances de l'UE ne sont pas capables de vacciner leur population au rythme où le font les USA et la Grande-Bretagne. Là-dessus vient se greffer le fait que la Commission Européenne ne brille pas particulièrement par sa capacité à pallier les ratés des Etats. Il y a désormais, dans l'Union, une situation dramatique: par exemple la Commission Européenne essaie de bloquer les importations de vaccins Spoutnik que voudraient mettre en oeuvre certains pays, dont l'Allemagne, pour avancer dans la vaccination. Et puis, le Conseil européen va mal se passer du fait des plaintes des "petits", comme la Croatie ou l'Autriche, qui ont le sentiment d'être servis après les grands pays. Alors qu'ensuite la Commission Européenne fasse effectuer une descente de police sur un site de conditionnement du vaccin AstraZeneca, en répandant l'information infondée qu'il s'agissait de stocks clandestins destinés à être exportés clandestinement en Grande-Bretagne, est pour le moins pathétique. Je comprends bien que cette Union en mauvais point cherche un bouc-émissaire et le trouve dans la Grande-Bretagne post-Brexit mais, en dehors de l'UE, cela ne trompe personne.
L'UE a-t-elle pensé aux conséquences à court terme (guerre commerciale autour du vaccin, avec la Grande-Bretagne notamment) et à long terme (réputation de l'UE en tant que promoteur du libre échange mise à mal) de cette décision ?
Il faut se rappeler qu'au mois de janvier, Madame von der Leyen expliquait que l'UE avait suffisamment de vaccins pour toute l'UE. A la mi-mars, Thierry Breton, commissaire européen, faisait l'éloge du vaccin russe, avant de faire volte-face le 22 mars et de disqualifier publiquement les capacités de production de la Russie. C'est le même homme qui fait demander à la police italienne de faire une descente sur le site italien d'un sous-traitant d'AstraZeneca, pour finalement découvrir que ce que disait l'entreprise anglo-suédoise était bien vrai: les doses de vaccins conditionnées en Italie étaient pour moitié destinées à la Belgique et pour moitié à d'autres zones du monde. En janvier, Madame von der Leyen nous expliquait que l'UE aurait même trop de doses et en exporterait. Le plus frappant, dans cette histoire, c'est que l'Union Européenne semble avoir oublié que, malgré les quinze dernières années et leur lot de crises, nous vivons encore en économie mondialisée, interdépendante. Les concepteurs des vaccins cherchent à installer des sites de production à travers le monde. Pourquoi l'UE refuse-t-elle que Spoutnik soit produit sur son sol (un site bavarois s'est proposé) quand l'Inde l'accepte ? La Grande-Bretagne n'a pas quitté l'UE par refus de l'économie ouverte. Au contraire, sa stratégie s'appelle désormais "Global Britain". Mais par lucidité sur la mauvaise organisation de l'UE. En fait, le climat de suspicion que Madame von der Leyen et Monsieur Breton sont en train de répandre est propre à provoquer des désinvestissements de la part de partenaires extérieurs de l'UE.
Ce changement de philosophie d'action pourrait-il être regretté plus tard, surtout s'il n'est pas partagé par tous les pays membres ? L'UE risque-t-elle de devenir une puissance qui ne sait pas ce qu'elle est ?
Il n'y a que la France qui croit encore à "l'Europe puissance". Les autres pays voudraient que l'UE soit un facilitateur. Or il apparaît, dans le cas des vaccins, que l'Union est plutôt source de complication et a contribué à déresponsabiliser les pays-membres. L'avenir est aux nations: elles s'appellent Russie, Chine, Etats-Unis, Inde mais aussi Pays-Bas, Danemark, Israël, Taïwan etc... Ce n'est pas une question de taille, c'est une question d'organisation. La Grande-Bretagne a magnifiquement organisé sa campagne de vaccination, de façon souple; quand l'administration française a construit une usine à gaz. A partir du moment où l'UE n'a plus en son sein, la Grande-Bretagne pour lui montrer la route de l'efficacité; et où, en plus, on n'écoute plus les petites nations de l'Union, souvent plus efficaces que les grandes, l'ensemble est mal parti.
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