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Un rebond industriel en 10 ans ? L’exemple allemand que l’on ne peut reproduire
©Flickr commons

Bonnes feuilles

Sans renouveau industriel, l'économie française est condamnée au déclin et la France avec elle. Au-delà de cette conviction, il est temps de proposer une stratégie de reconquête industrielle, s'appuyant sur les points forts du "made in France". Extrait de "L’industrie France décomplexée" (1/2).

Max Blanchet

Max Blanchet

Max Blanchet, consultant senior partner chez Roland Berger Paris, a plus de 20 ans d'expérience dans le domaine du conseil stratégique aux directions générales, notamment dans le secteur industriel.

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Compte tenu du poids de l’Allemagne dans la valeur ajoutée de la plupart des secteurs, le modèle industriel allemand semble, de prime abord, le plus pertinent. En effet, ce pays a réussi sur les 10 dernières années à maintenir un niveau de valeur ajoutée élevé de son industrie, tandis que ses emplois industriels baissaient. La valeur ajoutée par emploi industriel a ainsi augmenté de plus de 30 %. À l’inverse, la France a connu à la fois une baisse des emplois et une baisse de la valeur ajoutée industrielle (– 5 %), et a vu son ratio de VA/emploi croître deux fois moins vite que le ratio allemand. Attardons nous donc plus précisément sur le « cas Allemagne », modèle européen en termes de développement industriel, et décortiquons les points essentiels qui le caractérisent.

On le sait, le modèle allemand repose sur une très forte culture industrielle locale, avec un nombre très élevé d’entreprises de taille moyenne (environ 8 000 contre environ 4 900 en France), réalisant en moyenne 350 millions d’euros de chiffre d’affaires, versus 220 millions d’euros pour la France, et fortement exportatrices. L’industrie y est mieux valorisée que chez nous et la plupart des dirigeants de sociétés sont issus du sérail technique et industriel – ils sont souvent « docteur- ingénieurs » – et ont commencé leur carrière par des postes techniques. Le lien entre la recherche et l’industrie y est aussi très étroit, avec des instituts comme les Fraunhofer1 ou des universités comme celle d’Aix- la- Chapelle, qui travaillent en partenariat avec les entreprises. Cette culture industrielle est notamment liée à la très forte implication historique des Länder dans leur politique industrielle et à l’étroitesse des relations entre les pouvoirs publics locaux et les industriels, mais aussi au système bancaire constitué, lui aussi, d’un tissu local de banques très proche des entreprises. Dernier élément extrêmement important, et nous y reviendrons, le modèle de relation syndicale y est totalement différent du nôtre et beaucoup plus collaborati.

Ce modèle allemand a su évoluer à la fin des années 90. À cette époque, l’Allemagne sort d’une situation difficile, avec une perte de compétitivité liée à différents facteurs : un coût du travail élevé (10 % plus élevé qu’en France), une fin de réunification difficile, un fort taux de chômage, une croissance faible et une menace croissante des pays émergents, notamment la Chine. On entend alors dire de l’Allemagne qu’elle est le pays « malade de l’Europe ». Intervient alors le fameux « Agenda 2010 », mis en place par le Chancelier Gerhard Schröder lors de son mandat de 2002 à 2007, et devenu aujourd’hui la référence iconique de ce que nous devrions faire en France. Cet « Agenda 2010 » s’articule autour de quatre champs d’actions.

Premier champ d’actions : des réformes sociales et fiscales structurelles apportant une plus grande protection sociale (assurance chômage, retraites, minimas sociaux), une meilleure flexibilité du travail (contrat de flexisécurité) et des salaires minimums négociés branche par branche. Cela s’accompagne d’une baisse des impôts sur les sociétés et sur les particuliers, en parallèle d’une augmentation des taxes indirectes ; les charges sociales sont découplées du travail avec la mise en place de tickets modérateurs. Enfin, certaines prestations sont réduites et intervient une série de simplification des formalités administratives, notamment pour la restructuration. Au total, cela entraîne une réduction des dépenses de l’État (45 % du PIB contre 57 % pour la France en 2010). Ces réformes ont permis de mettre en place un cadre politique favorable à la compétitivité, la croissance, l’emploi et le partage de la richesse. Par ailleurs, l’ensemble de ces mesures a permis de réduire significativement le chômage, divisé par deux depuis 2005.

Deuxième champ d’actions : des conventions collectives négociées au cas par cas entre entreprises et syndicats, et orientées sur la productivité et la compétitivité. Elles ont permis de mieux contenir le coût du travail en Allemagne, devenu moins élevé qu’en France d’environ 10 %. Entre 2000 et 2010, en effet, le coût du travail a ainsi progressé de 20,8 % en France (figure 12) et de 24 % en moyenne en Europe, et de seulement 4 % outre- Rhin. Cela vient également du système social allemand qui ne comporte pas de salaire minimal et offre la possibilité de recourir aux « mini- jobs », contrats de travail précaires peu taxés et de courte durée, mais qui sont cumulables. Ces « mini- jobs » offrent au système une grande flexibilité, et permet un usage élevé de l’intérim.

Troisième champ d’actions : une « dévaluation relative » du « Deutsch- Euro » par rapport aux autres monnaies. Pendant les dix années qui ont suivi l’introduction de l’Euro, la plupart des pays européens ont connu une forte hausse des prix, à l’exception de l’Allemagne, qui a maîtrisé son inflation. Entre 1995 et 2010, l’inflation a atteint 70 % en Grèce, 58 % en Espagne, 45 % en Italie et 25 % en France, mais a plafonné à 12 % seulement en Allemagne, selon la méthode du déflateur de PIB (figure 13). Cela explique d’ailleurs le sentiment des Allemands d’avoir largement contribué (en termes de pouvoir d’achat) au redressement de leur pays et leur forte réticence à être solidaires des pays d’Europe du Sud en difficulté aujourd’hui.

Quatrième champ d’actions : un vrai soutien aux PME (le fameux Mittelstand), moteur de l’industrie allemande, via un système fiscal et juridique plus incitatif pour diriger son entreprise et favoriser le modèle de capitalisme familial et de transmission du capital.

Bien sûr, tout n’est pas rose outre- Rhin et l’Allemagne a aussi ses difficultés. Le modèle social, issu des lois « Hartz » de Gerhard Schröder, ne pourra perdurer longtemps sans salaire minimal légal (autre que branche par branche) et sans réduire la précarité des travailleurs intérimaires. Déjà, plus de 6 millions de personnes vivent en effet sous le seuil de 600 euros par mois et 12 % de la population active ne vit que de « mini- jobs » payés 450 euros par mois. Et la cotisation sociale pour la retraite étant facultative pour les mini- jobs, beaucoup préfèrent ne pas cotiser… Certains élus allemands parlent d’un tsunami de pauvreté à venir, lorsque ces personnes se retrouveront sans ressources à l’âge de la retraite.

Enfin, la démographie vieillissante du pays présente un risque de déséquilibre du système dans les années à venir, à la fois pour financer les retraites, mais aussi pour faire face à la pénurie de compétences. Le président de l’agence fédérale pour l’emploi en Allemagne estime ainsi que le marché du travail aura, à terme, besoin de 200 000 immigrés qualifiés par an. Résultat, certaines villes, notamment en Bavière, qui connaissent le plein emploi cherchent à inciter les femmes au foyer et les seniors à travailler !

L’Allemagne s’interroge aussi sur la pérennité et les perspectives de son industrie. Ses exportations reposent à 50 % sur quelques secteurs (automobile, machinesoutils, chimie et secteur électrique & électronique), ce qui constitue un facteur de risque potentiel. L’automobile, par exemple, représente 60 % de l’excédent commercial du pays (3 millions de voitures exportées, souvent premium). On comprend mieux l’influence des acteurs du secteur automobile sur la politique économique allemande. Ceci explique notamment que la croissance y a été moins résiliente qu’en France lors de la crise de 2009. Par ailleurs, les services sont beaucoup moins développés que chez nous.

Peut- on transposer le modèle allemand en France ? François Hollande peut- il être le Gerhard Schroeder français ? Bien sûr, de nombreuses idées sont applicables et très certainement à reprendre dans ce modèle mais, fondamentalement, l’Allemagne a renforcé sa compétitivité en contenant ses salaires et en acceptant finalement une certaine forme de précarité. Sur 10 ans, l’effort de salaire consenti par les Allemands, par rapport à ses homologues européens, est à peu près équivalent à 30 milliards d’euros annuels de moindre pouvoir d’achat. Ce montant est étrangement très proche de celui cité fréquemment en France comme l’effort à faire, en impôts supplémentaires, pour réduire notre coût du travail ! L’inflation post- euro étant terminée, il n’est plus vraiment possible d’utiliser le même levier. La France doit donc suivre un autre chemin et le modèle social allemand n’y est pas transposable directement.

Extrait de "L’industrie France décomplexée - choisir nos batailles et créer un modèle industriel à la française", Max Blanchet, (Editions Lignes de Repères), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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