Crise des migrants : est-il temps d'envisager un plan Marshall pour le Moyen-Orient et l'Afrique (et l'Europe...) ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Pourrait-on imaginer un nouveau plan Marshall pour aider le Moyen-Orient et l'Afrique à contrer l'islamisme ?
Pourrait-on imaginer un nouveau plan Marshall pour aider le Moyen-Orient et l'Afrique à contrer l'islamisme ?
©Pixabay

Aux grands maux les grands remèdes

Le cap des 2 000 migrants et réfugiés morts cette année en Méditerranée a été franchi début août, créant de très fortes tensions entre les membres de l'Union européenne. De là à proposer un plan Marshall comparable à celui de 1947 pour stopper l'essor de l'Islam radical, il n'y a qu'un pas. Mais c'est avant tout d'un plan Marshall de l'éducation dont il faudrait doter les pays du Moyen-Orient et d'Afrique.

Gil  Mihaely

Gil Mihaely

Gil Mihaely est historien et journaliste. Il est actuellement éditeur et directeur de Causeur.

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Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Atlantico : Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, le plan Marshall a permis à l'Europe de se relever économiquement et de résister face à la puissance communiste. Pourrait-on imaginer un nouveau plan Marshall pour aider le Moyen-Orient et l'Afrique à contrer l'islamisme ? Qu'est-ce qui dans l'esprit du plan Marshall pourrait être dans ce nouveau contexte utile ?

Alexandre Del Valle : L’idée d’un plan Marshall pour l’Afrique peut avoir du sens, premièrement pour permettre le développement intelligent destiné à lutter contre la pauvreté ; puis ensuite pour juguler la poussée du totalitarisme islamiste et donc du terrorisme. Mais attention ! Si un plan Marshall pour l’Afrique sub-saharienne a du sens, la chose est moins évidente pour le Moyen-Orient : la plupart des pays du Golfe, exceptés le Yémen, sont plus riches que nombre de pays occidentaux, et j’inclus dedans l’Irak qui a des problèmes ethno-confessionnels, tribaux et politiques, mais qui regorge aussi d’hydrocarbures, comme d’ailleurs la Libye, l’Algérie ou le Nigéria. L’erreur est de considérer les pays du Sud musulmans comme un tout fait de pauvreté et de sous développement. Donc certains pays n’ont pas un simple problème de pauvreté ou de non-industrialisation, mais surtout de mauvaise gouvernance, de mauvaise éducation (obscurantiste), de mauvaise politique démographique, couplée et à un grave problème d’hétérogénéité identitaire…

Un plan Marshall peut aider à développer industriellement, économiquement et socialement des pays d’Afrique qui en ont besoin, et ce plan peut, à terme, permettre de fixer des populations sur place, donc nous aider à juguler l’immigration clandestine, devenue incontrôlable et liée à des trafics en tout genre qui posent des problèmes sécuritaires et criminels. Mais ce plan de développement ne peut être efficace qu’à condition d’être  associé à un vaste « Plan Marshall de l’Education », car les problèmes que sont l’analphabétisme, la surnatalité, la mauvaise gouvernance, l’infériorité des femmes, l’esclavagisme, les trafics d’être humains, l’excision, l’irresponsabilité face au sida, ou encore le fanatisme islamiste ou les haines intertribales sont largement le fruit de l’analphabétisme et de l’ignorance. D’évidence, tant que des dictatures ou des pays népotistes ultra-corrompus et inégalitaires gèreront mal les mannes financières locales ou venues d’ailleurs, l’injection d’argent ne servira à rien s’il n’est pas associé à un vaste plan de scolarisation-éducation qui portera des valeurs d’égalité, de liberté, de bonne gouvernance, d’humanisme et de raison, dont l’absence de promotion nourrit l’islamisme radical et les haines intertribales ou confessionnelles. Globalement, l’aide au développement n’a aucun sens si elle n’est pas liée à des valeurs et des convergences d’objectifs.

Gil Mihaely : A mon avis, rien ! Le plan Marshall, mis en place à la fin des années 1940, a permis à des Etats bien organisés de surmonter un problème d’ordre économique. Il faut rappeler que les principaux bénéficiaires étaient le Royaume Uni, la France, l’Allemagne, l’Italie et les Pays-Bas, donc des pays développés, avec des institutions, des systèmes d’éducation et de justice, des universités, des infrastructures industrielles, portuaires et ferroviaires, certes, endommagées, mais existantes. Ces pays avaient besoin de marchandises et de crédits mais disposaient de ce qu’il fallait pour utiliser efficacement ces moyens une fois mis à leur disposition. Ce n’est malheureusement pas le cas de la plupart des pays du Moyen-Orient et de l’Afrique. Il faut avoir un bénéficiaire fiable et compètent avant d’envisager de donner quoi que ce soit.       

Quelles similitudes peut-on identifier entre les deux contextes ?

Alexandre Del Valle : Je pense qu’il n’y a pas vraiment de similitudes entre, d’une part, l’Afrique noire subsaharienne qui réunit des pays parmi les moins avancés et alphabétisés du monde et, de l’autre, une Europe de l’Ouest industrialisée, relativement éduquée, ayant déjà connu une expérience démocratique mais qui a été ravagée par une « guerre civile continentale »  et qui se retrouve en 1945 désarmée face au péril rouge stalinien. Par contre, un plan Marshall pour les pays relativement avancés du Proche et Moyen Orient et de certains Etat du Maghreb, parfois industrialisés et plus éduqués que l’Afrique noire, (Syrie, Liban, Irak, Palestine, Iran, Pakistan, Yémen, Libye, Tunisie, Maroc et Egypte), aurait un peu plus de points communs avec le plan Marshall historique européen dans la mesure où ces pays sont plus avancés et ont connu une sorte de « guerre civile régionale » eux aussi, puisque les lignes de fracture Chiites/Sunnites et Islamistes/nationalistes séculiers sont réelles et susceptibles de plonger dans la guerre civile ces pays, comme on l’a vu depuis les années 1990, et même avant au Yémen sous la guerre froide, ou encore au Liban, et comme on l’a vu aussi depuis le printemps arabe et l’émergence de l’Etat islamique en Irak et en Syrie. Le monde arabe est ainsi passé de la division et de l’autoritarisme au chaos et à la guerre civile totale.

Récemment, la Tunisie, qui n’a pas de ressources pétrolières, contrairement à l’Algérie ou la Libye, mais qui a réussi sa transition démocratique, grâce à son niveau d’éducation élevé et à sa sécularisation avancée, a lancé un véritable appel au secours aux pays développés démocratiques en expliquant, après les terribles attentats de Sousse en juin dernier contre des touristes européens, qu’elle ne « pourrait pas s’en sortir toute seule ».

Dans ce cas, ce plan Marshall pourrait avoir comme fédérateur extérieur et ennemi commun à ces pays et aux financiers (les pays riches principalement occidentaux) l’islamisme radical terroriste. Mais il faudra pour ce faire juguler tout d’abord le « plan Marshall wahhabite » qui est porté par l’Arabie saoudite, le Qatar et le Koweït depuis des décennies et qui a consisté à lier l’aide financière à la fanatisation salafiste…

Gil Mihaely : A mon sens pas grand-chose... En Europe, on a eu affaire à des Etats très forts qui se sont fait la guerre et en sortaient exsangues. Il fallait donc reconstruire c'est-à-dire construire de nouveau quelque chose qui existait déjà et non pas de créer ex nihilo. Pour comprendre à quel point les choses sont différentes, prenons l'exemple de l'Etat Islamique en Irak. Si l'EI s'est emparé des vastes territoires et des villes importantes ce n'est pas parce que l'armée irakienne manquait, matériellement parlant, de quelque chose. Pourquoi une telle déroute ? Tout simplement parce que le problème n'est pas d'ordre matériel, financier ou logistique. En Irak il n'y a ni nation, ni Etat digne de ce nom. Et s'il on évoque le cas de la Libye, ce pays a-t-il implosé par manque d'argent ou d'accès aux technologies ?  La réponse est non bien entendu. Dans ces pays ce n'est pas l'argent qui a manqué.

Le levier d'action principal du plan Marshall était économique. Quelles sont les limites d'une telle approche dans le cas de la montée de l'islam radical ? Qu'est-ce que la situation économique explique et qu'est-ce qu'elle n'explique pas ?

Alexandre Del Valle : Premièrement, le contexte était aussi idéologico-stratégique, puisque face à l’Europe de l’Ouest post-totalitaire parrainée par les Etats-Unis, se dressait le Bloc de l’Est communiste-léniniste et stalinien.

Deuxièmement, n’oublions pas que ce n’est pas le plan Marshall qui a mis fin à la menace totalitaire nazie-fasciste en Europe ou en Asie (Japon), mais la force massive et brutale des bombardements américains et de l’armée russo-soviétique… Le plan Marshall n’a pas éradiqué une menace idéologique nazie, ni même celle du communisme soviétique, il n’a été qu’un plan de développement économique et donc social qui a permis de remettre en selle et de faire redécoller économiquement des pays européens ravagés et affaiblis. Ceci s’est effectué dans le cadre d’une vassalisation économico-stratégique et politique de l’Europe de l’Ouest incapable de devenir un sujet géopolitique réellement souverain et autonome comme l’a bien montré la construction européenne dont l’organe de défense reste l’OTAN.

Si l’on revient à la menace islamiste radicale, principalement sunnite-salafiste, incarnée pas seulement par Al-Qaïda ou sa dissidence qu’est l’Etat islamique, ce n’est pas un Plan Marshall - donc l’injection de capitaux - qui permettra de vaincre les jihadistes, mais d’abord une concertation des pays décidés à les éradiquer et qui prendront la décision d’envoyer des troupes au sol de façon massive. Le plan Marshall à proprement parler n’exclut pas la guerre contre l’ennemi islamiste, il l’accompagne.

Certes, des variantes locales de ce plan Marshall du Sud et plus généralement l’arme de l’aide financière peuvent être parfois utiles pour lutter contre les jihadistes, puisque les années 2006-2010 ont bien montré, en Irak, la réussite de la méthode des stratèges américains réalistes comme le Général Petraeus qui consistait à financer des tribus sunnites et à les associer au pouvoir afin de les dissuader de rejoindre les jihadistes et au contraire pour les motiver à les combattre. De même, on se rappelle que lorsque Kadhafi recevait des milliards d’euros de la part des pays européens, il contrôlait les frontières et limitait les flux migratoires clandestins autant que les flux de terroristes qu’il combattait aussi.  

Mais dans le cas des pays du Golfe, notamment les trois grands parrains idéologiques et financiers des jihadistes de tout poil : Arabie saoudite, Qatar, Koweït, le moins que l’on puisse dire et constater est bien que ce n’est pas la pauvreté qui y crée le terrorisme. A contrario, ce ne sont point la richesse financière et la prospérité matérielle qui le font décroître… Dans le cas de ces pays au jeu géopolitique et religieux très ambigu, qui ont une main dans la modernité technologique et la finance internationale et l’autre dans le wahhabisme doctrinal totalitaire, le vrai problème est selon moi avant tout idéologico-religieux et éducationnel. Il réside dans la propension des êtres humains à être fanatisables. Ces pays obscurantistes du Golfe distillent dans leurs universités, leur activité prosélyte religieuse, leurs médias et leurs actions humanitaires des valeurs totalitaires qui ont littéralement défiguré le monde musulman depuis des décennies à l’aide de la manne des pétro-gazo-dollars… Donc si la prospérité suffisait à combattre le terrorisme salafiste ou autre, non seulement cela se saurait, mais surtout les Saoudiens et les frères wahhabites koweitiens et qataris ne seraient pas si nombreux et surreprésentés au sein des groupes terroristes...

Il en va de même dans nos quartiers : depuis des décennies on a injecté des milliards dans la « politique de la Ville » et les « banlieues de l’islam », mais le radicalisme islamiste n’a jamais autant progressé… Car le problème de nos quartiers en dérive abandonnés aux communautarismes, tout comme celui des pays musulmans, d’ailleurs, réside d’abord dans l’abdication des dirigeants politiques face à la Terreur psychologique des obscurantistes que l’on laisse prêcher librement et impunément leur venin théocratique et barbare contagieux. Ces dirigeants, par lâcheté et compromission chez nous, par appât du gain et par conformisme revanchard post-colonial dans les pays du Sud, donc par anti-occidentalisme, ont vu dans l’islamisme la Solution la plus « indigène », la plus « révolutionnaire » au sens identitaire, car la plus hostile aux valeurs de l’ancien colonisateur-croisé honni. Adeptes de cette « Seconde décolonisation » idéologique et idenditaire, ils ont donc peu à peu troqué les valeurs ou idéologies séculières/laïques d’origine occidentale - auxquelles tout le monde adhérait durant la première moitié du XXème siècle (Kémalisme en Turquie, Nassérisme en Egypte ou ailleurs, Baathisme irakien et syrien, nationalisme algérien ou palestinien, Nationalismes socialisant, Kadhafisme, marxisme, etc) - au profit d’une islamisation rampante à demi-teinte ou d’une réislamisation radicale (Iran, Soudan, etc)...

Gil Mihaely : Dans le cas du plan Marhsall, les Etats-Unis avaient des interlocuteurs sérieux en Europe, c’est-à-dire à la fois techniquement compétents et adossés à une administration efficace. Ils pouvaient se targuer d'avoir un système politique canalisant les conflits et apportant une légitimité aux décisions.  Si, ne serait-ce qu’une fraction de tout cela existait dans les pays du Moyen Orient et d'Afrique candidats pour ce nouveau plan Marshall, ils ne seraient pas aujourd’hui dans l’état où ils se trouvent. Est-ce quelqu’un pense sérieusement que le problème du Liberia, pour ne prendre que cet exemple, est un manque d’argent et de tracteurs ?   

Quoiqu'il en soit l'islam radical ne trouve pas ses racines dans la misère économique. C'est un problème politique et anthropologique qui lui a permis de se développer. En Irak, il n'y a pas de nation. Il y a des sunnites, des kurdes, des chiites qui s'opposent. On n'est même pas sûr qu'ils soient capables dans le contexte actuel de dépasser leurs divisions confessionnelles pour créer un Etat au sens européen du terme. Ce n'est pas étonnant que l'islam radical surgisse dans des structures qui rappellent des phénomènes qui remontent au Moyen-Age, à savoir des pratiques que l'on peut assimiler à de la corruption. Quand devant l'EI, l'armée irakienne, qui est l'une des mieux équipées du Moyen-Orient, fond comme neige au soleil, ce n'est pas - pour utiliser une image - parce que les soldats ont des chaussures trouées ou des armes inadaptées. Ils ont tout laissé pour fuir. Alors leur donner deux fois plus de chars et trente escadrons de chasseurs et de bombardiers de plus ne changera rien à la volonté des pilotes de se battre. A partir de là, comment pousser ces sociétés à créer des institutions au service de l'intérêt général et à dépasser des clivages confessionnels, tribaux ou familiaux ? Comment les amener à fonder des Etats, tel qu'on l'entend du point de vue européen ? Si on ne le peut pas, alors il faut accepter leurs règles du jeu que l'on appelle chez nous "corruption". Mais chez eux, on ne parle pas de corruption. Idem il y a mille ans en Europe. Quand il fallait payer telle personne pour obtenir tel service, lorsqu'il fallait payer un autre pour traverser le pont ou un territoire, c'était ainsi. Tout le monde acceptait et il n'y avait pas de juge, il n'y avait pas de police, il fallait simplement être plus fort que les autres. Ce sont leurs règles du jeu et il faut l'accepter.

La pauvreté n'est pas la raison du développement d'un islam radical. Il y a un siècle il y avait autant de pauvreté et d'inégalité dans ces régions et pourtant il n'y avait pas cet islam radical. Et pour pouvoir aider ces populations en déshérence à accéder à un niveau de vie plus élevé et à l'éducation, il faut un minimum qui n'est pas d'ordre économique. Il faut un système judiciaire, il faut avoir la possibilité de régler les conflits autrement que par la violence ou la négociation entre familles Avant de parler d'argent, il faut une police et un juge pour faire respecter la loi. Pour investir, il faut être sûr qu'en cas de conflit avec un associé, il est possible de saisir un juge non corrompu qui va statuer en fonction du droit et non pas en fonction de ses réseaux.

En Irak par exemple, le fait que l'EI ait pu se développer est lié au retrait des forces américaines et aux incapacités de l'Etat irakien d'endiguer le phénomène  grâce à son armée et à ses services de renseignement. La montée en puissance de l'islam radical est aussi et surtout la conséquence de l'impossibilité de créer un gouvernement  qui donne aux sunnites l'impression d'avoir une vraie place dans la nation irakienne. Il y avait des gens qui avait intérêt à aider l'EI, non par idéologie ou par religion mais par dégoût du comportement sectaire du gouvernement chiite de Bagdad. Et sans ce soutien, l'EI serait resté minoritaire et ne serait pas devenu ce qu'il est aujourd'hui. Par ailleurs, si l'islam radical s'est développé en Syrie, c'est parce que la société a implosé. C'est comme une maladie : un corps vit toujours avec ses microbes mais quand il est affaibli, il tombe malade. L'écroulement de la Syrie et l'implosion de l'Irak n'ont rien à voir avec des problèmes économiques. Ce constat est tout aussi vrai pour la Libye, le Yémen, le Soudan ou encore la Somalie. Prenons par ailleurs l'exemple de l'Algérie, ce pays ne manque pas de moyens. Ils ont du pétrole et du gaz. Comment expliquer dès lors que malgré tout cet argent ils n'ont pas pu développer une économie fleurissante et faire baisser le chômage? Pourquoi sont-ils toujours aussi dépendants de leurs ressources pétrolières et gazières? Là encore ce n'est pas un plan Marshall qui va les aider. Je rappelle que la reconstruction de l'Europe était possible car il y avait quelque chose à reconstruire. Les Américains n'ont pas construit d'Europe. Au Moyen-Orient et en Afrique, tout reste encore à faire.          

A quelles conditions un tel plan pourrait-il fonctionner ? Sur quels principes pourrait-il s'articuler ?

Alexandre Del Valle : Je pense que le vrai plan Marshall est celui qui consistera à favoriser le développement économique et social en même temps que l’éducation ; celui qui liera les aides financières au respect de certaines règles et valeurs fondamentales, bref, un plan Marshall qui sera destiné à endiguer non plus le communisme mais l’islamisme radical, ce qui impliquera d’utiliser tout le poids stratégique de l’Occident et des pays inquiets de la menace islamiste pour faire pression sur les pays qui financent et diffusent les métastases islamistes-salafistes dans le monde musulman, en Afrique et même dans nos sociétés. Ce nouveau plan Marshall devra permettre de rendre à nouveau légitimes dans le monde arabo-musulman des valeurs progressistes et séculières universelles qui sont hélas trop souvent assimilées au joug euro-américain occidental…   

Gil Mihaely : Il faut d’abord avoir des sociétés dotées d'états, d’une culture politique solide, des institutions qui fonctionnent plus ou moins dans l’intérêt général. Sinon, cela va enrichir un petit groupe sans impact réel sur la vie de l’écrasante majorité de la population.

Concrètement, si l'on décide demain de faire un plan Marshall de ce type, on se retrouvera avec une minorité de gens qui va détourner ces ressources pour s'enrichir personnellement. Et l'économie du pays n'en profitera donc pas. Le but recherché de lancer des Trente Glorieuses dans les pays du Moyen-Orient et d'Afrique ne sera pas obtenu. C'est comme si le plan Marshall avait été détourné par la famille de Gaulle ou ceux qui étaient au pouvoir à l'époque et que l'on se retrouvait aujourd'hui avec une France qui n'a pas évolué depuis les années 50. Or ce n'est pas le cas. Il y a eu un enrichissement mais celui-ci ne s'est pas cantonné à quelques individus. Il y avait aussi des paysans qui avaient juste besoin d'un tracteur pour augmenter leurs rendements. Si l'on donne des tracteurs en Afrique, qui dit qu'on ne les retrouvera pas rapidement plein de rouilles et entièrement désossés? L'exemple de l'aide au développement est parlant. Il suffit d'entendre les spécialistes de l'aide humanitaire parler des difficultés de faire parvenir de la nourriture à des femmes et des enfants qui crèvent de faim. Tout cela est lié aux problèmes de corruption, d'inefficacités et de carences que l'on retrouve à tous les niveaux de l'Etat. Et encore une fois ce n'est pas ici une question de moyens. Il faudrait donc avoir affaire à des Etats bien plus solides et reposant bien moins sur la corruption pour espérer qu'un plan Marshall n'est ne serait-ce qu'une chance d'avoir des bénéfices.  

De quels montants parlerait-on ? Quels en seraient les bénéficiaires prioritaires ? Et qui devrait financer ?

Alexandre Del Valle : Les bénéficiaires prioritaires devraient être selon moi les pays les plus réceptifs, les plus motivés, les plus clairs et loyaux envers le monde libre hostile à l’islamisme radical, donc ceux qui sont le capables d’utiliser des fonds de façon conforme au but consistant à favoriser un développement social et économique massif de pays faisant face à la menace islamo-terrorisme.

Pour ce qui concerne le montant, si l’on se réfère au projet porté par Jean-Louis Borloo, qui plaide pour un plan Marshall destiné à l'électrification de l'Afrique (600 millions d’Africains n’ont accès ni à l’eau courante, ni aux moyens de s'éclairer la nuit), il faudrait au moins 200 milliards d’euros pour électrifier le continent.

Un plan Marshall d’envergure plus large nécessiterait donc au moins dix fois plus. Ceci ne pourrait être possible qu’en mobilisant non seulement l’Europe et l’Amérique du Nord, mais aussi les pays riches et émergeants d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine. Or en cette période de crise et de nouvelles rivalités Est-Ouest, les conditions de cet effort solidaire global sont encore loin d’être réunies, quand on voit que l’on arrive même pas à régler le problème de la dette grecque… 

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