Ukraine : à quoi ressemblera le jour après une (probable) attaque de la Russie ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des soldats ukrainiens sur la ligne de front à l'extérieur de la ville de Debaltseve, dans l'est de l'Ukraine, dans la région de Donetsk, le 24 décembre 2014
Des soldats ukrainiens sur la ligne de front à l'extérieur de la ville de Debaltseve, dans l'est de l'Ukraine, dans la région de Donetsk, le 24 décembre 2014
©SERGEI SUPINSKY / AFP

Crise ukrainienne

L’Occident se prépare déjà face au scénario d'une incursion militaire russe sur le territoire ukrainien.

Michael Lambert

Michael Lambert

Michael Eric Lambert est analyste renseignement pour l’agence Pinkerton à Dublin et titulaire d’un doctorat en Histoire des relations internationales à Sorbonne Université en partenariat avec l’INSEAD.

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Atlantico : Depuis ces dernières semaines, la tension monte à la frontière russo-ukrainienne. Le gouvernement russe a lancé des manœuvres militaires et il aurait déployé plus de 100 000 militaires et des armes lourdes. La Russie assure qu’elle n’a pas l’intention d'envahir l'Ukraine, mais l’Occident se prépare déjà à une incursion militaire sur le territoire ukrainien. Si offensive il y a, différents scénarios d’attaque russe sont-ils possible ? Certaines offensives sont-elles inenvisageables pour l’armée russe ?

Michael Lambert : La présence de troupes russes à la frontière avec l'Ukraine avait pour but d'intimider Kiev pour la faire renoncer à ses ambitions de se rallier à l'OTAN. Malgré les pressions russes, Kiev s'est retrouvé soutenu politiquement et militairement par de nombreux pays occidentaux, dont les États-Unis, les pays baltes (rappelons que l'Estonie est un leader mondial en matière de cyberdéfense), la Pologne, la République tchèque et, de manière tout à fait exceptionnelle, l'Espagne, qui a envoyé des navires en mer Noire, et la France, qui se rapproche de l'Ukraine en renforçant sa présence en Roumanie.

Ce qui est plus préoccupant, c'est de constater que des pays neutres non membres de l'OTAN - l'Irlande, la Suisse, la Suède et la Finlande - commencent à s'interroger sur la possibilité de renforcer leurs capacités militaires face à la Russie, ce qui conforte la crédibilité d'une guerre sur le continent.

Il existe quatre scénarios possibles pour porter atteinte à la souveraineté ukrainienne :

1 - Le scénario le plus probable est un renforcement de la présence russe dans l'est du pays, avec une reconnaissance diplomatique du Donbass et un rattachement à la Russie sur un modèle similaire à celui de la Crimée en 2014. Cette option ne conduirait pas à une guerre entre l'Occident et la Russie, mais serait préjudiciable à la souveraineté ukrainienne, qui perdrait une partie de son territoire.

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2 - Le deuxième scénario est une invasion depuis la mer Noire. Bien que moins probable que la première option, il serait dans l'intérêt stratégique du Kremlin de commencer une incursion rapide par la mer pour bloquer les approvisionnements occidentaux en Ukraine, paralyser une partie du commerce maritime et des exportations, et pour entrer rapidement en Transnistrie où se trouvent les pro-russes (que Moscou pourrait également reconnaître diplomatiquement). Dans cette situation, sans même prendre le contrôle de l'ensemble du pays, l'Ukraine perdrait tellement économiquement qu'elle ne serait plus que l'ombre d'elle-même. Le Kremlin contrôlerait la mer Noire où la Russie est déjà présente à Ochamchire et Gudauta en Abkhazie, en plus du territoire national russe. Une attaque par la mer serait accompagnée de pressions de la part des troupes russes en Biélorussie et en Ukraine orientale.

3 - Le troisième scénario est celui d'une attaque depuis la Biélorussie, où l'Ukraine est moins préparée car Kiev concentre ses troupes dans l'est du pays. Cette approche aurait l'avantage de couper l'Ukraine de ses alliés européens membres de l'Otan (Pologne, Slovaquie, Hongrie, Roumanie) qui partagent une frontière avec elle. Il faut rappeler que la Russie dispose d'une suprématie militaire terrestre sur l'OTAN grâce aux équipements dont le T-14 Armata (en production), systèmes de défense S-400, et grâce à la résilience psychologique des troupes russes, dont beaucoup sont habituées aux conflits terrestres depuis la guerre de Tchétchénie. Cette option serait surprenante par rapport au scénario classique d'une attaque depuis l'est de l'Ukraine, ce qui la rend intéressante pour le Kremlin.

4 - Le dernier scénario est celui d'une blitzkrieg russe, c'est-à-dire un scénario d'invasion rapide depuis la Biélorussie, la mer Noire, le Donbass, et surtout avec le soutien des transnistriens dont on oublie l'importance stratégique avec Cabasna. Dans la logique d'une invasion totale, c'est le scénario le plus probable, mais on ne sait pas comment l'Otan réagirait, puisque beaucoup de décisions se prendraient de manière impulsive.

Avant toute attaque militaire, nous observerons une série de cyber-attaques (ce qui explique l'importance du soutien estonien à l'Ukraine), un renforcement de la présence des troupes russes en Transnistrie (raison pour laquelle les services de renseignement doivent garder un œil sur cette zone), et un renforcement de la présence des mercenaires russes en Ukraine. Ce dernier élément a commencé et une partie des mercenaires du groupe Wagner en Afrique sont maintenant de retour en Ukraine comme ce fut le cas lors de la crise de Crimée avec les "hommes verts", nom qui leur avait été donné à l'époque.  

Il faut rappeler que la Russie ne souhaite pas envahir l'Ukraine, elle ne le fera que si Kiev poursuit son rapprochement avec l'OTAN. 

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Quelles pourraient être les réponses occidentales face à ces scénarios d’attaque ? Quelles sont les positions actuelles des Européens et des Etats-Unis concernant cette hypothèse ? 

L'OTAN n'interviendra pas en Ukraine en cas de conflit, pour la simple raison que Kiev n'est pas membre de l'Alliance, et plusieurs membres de l'OTAN n'appliqueront pas l'article 5 du traité de Washington car cela conduirait à un affrontement avec une puissance nucléaire.
En revanche, une attaque entraînerait des sanctions économiques occidentales contre la Russie, ainsi que des livraisons massives d'équipements militaires à l'Ukraine, à la Moldavie et à la Géorgie. De surcroît, elle pousserait deux pays neutres, la Suède et la Finlande, à entamer un processus d'intégration à l'OTAN, dont elles ne sont pas membres. La Russie gagnerait ainsi en influence en mer Noire, mais elle en perdrait en mer Baltique.

Pour les États-Unis, cela légitimerait une présence militaire américaine accrue en Europe, et pour les Européens, cela dynamiserait les ambitions de modernisation de leurs armées avec une augmentation du PIB alloué à des projets militaires ambitieux, notamment des avions de 5e génération, des drones et des missiles hypersoniques. 

Si attaque il y a, est il possible que le discours et les actes changent du côté occidental ?

Naturellement, les pays neutres - la Finlande et la Suède (éventuellement l'Irlande, malgré les tensions avec le Royaume-Uni) - se rapprocheraient immédiatement de l'OTAN (des débats à ce sujet ont lieu en ce moment même au parlement finlandais).

En outre, le monde occidental sera définitivement coupé de la Russie, et une approche plus proactive de l'intégration de la Moldavie et de la Géorgie sera quasi immédiate.

En Occident, cela ferait prendre conscience de l'importance des armées et il y aurait une remilitarisation des sociétés avec un PIB alloué à la défense qui pourrait avoisiner les 5% dans certains pays. 

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À quoi l’Ukraine pourrait-elle ressembler à la fin du scénario ? Serait-il possible qu’elle soit séparée en plusieurs zones d’influence  ?

Comme lors de la crise de 2014 en Crimée, un afflux massif de réfugiés ukrainiens vers les pays occidentaux sera le symptôme le plus marquant. Les réfugiés ukrainiens se dirigent généralement vers le Canada, l'Allemagne, l'Estonie et la République tchèque où ils trouvent des emplois et s'intègrent rapidement.

Après une invasion militaire, les pertes économiques pour l'Ukraine seraient considérables, avec une chute drastique de la démographie, déjà en berne (actuellement à 1.2 enfants par femme), et il faudrait renouveler les infrastructures détruites. La Russie régnerait donc sur un pays sans réel potentiel économique, avec quelques épicentres pour le tourisme comme à Odessa.

Une résistance de la population ukrainienne de la partie ouest du pays est probable, ce qui rendra difficile l'occupation du pays par la Russie et entraînera une radicalisation chez certains citoyens avec des attentats et des violences contre les civils.

C'est pourquoi la Russie n'envisage d'envahir l'Ukraine qu'en dernier recours, si Kiev poursuit sa démarche de rapprochement avec l'OTAN.

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