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Transition écologique : ce discret retour au réel que marque la nouvelle feuille de route énergétique de la France
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PPE 2019

Le projet de Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) publié le 25 janvier acte le report de l’objectif de réduction du nucléaire, en raison de l’impossibilité d’y parvenir sans nous exposer à être privés d’électricité.

Jean-Pierre Riou

Jean-Pierre Riou

Jean-Pierre Riou est issu de l'Éducation nationale et s'est spécialisé dans la problématique des énergies renouvelables depuis plusieurs années. Après de nombreux échanges avec des spécialistes de la question, économistes, ingénieurs, chercheurs, experts, il a publié de nombreux articles, dans L'Expansion, la Revue de l'Institut de Recherche Économique et Fiscale (IREF Europe) et Contrepoints.

Jean-Pierre Riou tient également un blog.

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Atlantico: Le projet de Programmation Pluriannuelle de l’Énergie rendu public vendredi 25 janvier 2019 défend la transition du nucléaire vers le renouvelable. La synthèse publiée annonce ainsi : « Le développement des énergies renouvelables doit permettre de produire plus d’énergies à partir de sources présentes sur le territoire et de réduire progressivement la part du nucléaire. » L’objectif de la PPE est la réduction des émissions de CO2. Est-ce qu’une transition entre nucléaire et renouvelable est à même de le réaliser ?

Jean-Pierre Riou: La loi de transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) prévoyait la réduction de la part du nucléaire à 50% de l’électricité produite dès 2025, au lieu de 75% actuellement et visait à compenser cette réduction notamment par un objectif de 40% de l’électricité produite à partir d’énergies renouvelables (EnR) à horizon 2030.

C’est donc sans surprise que ce projet de PPE, dont l’objet est de mettre en œuvre cette loi, vise à doubler les capacités renouvelables électriques installées (en 2017) pour les amener à 36% de la production d’électricité en 2028.

Mais, après bien des débats, cette PPE acte le report de l’objectif de réduction du nucléaire en raison de l’impossibilité d’y parvenir sans nous exposer à être privés d’électricité.

Car si on peut programmer le fonctionnement d’un réacteur selon les besoins de la consommation, on ne contrôle pas celui du vent, qui alimente les éoliennes, pas plus qu’on ne programme l’heure de coucher du soleil.

Et il faut y voir la raison de la seule confirmation de la fermeture des 2 réacteurs  symboliques de Fessenheim, deux autres réacteurs devant être l’objet d’une fermeture anticipée en 2027 et 2028. D’autre part, il est mentionné que 2 réacteurs supplémentaires pourraient devoir fermer leurs portes pour raison économique dès 2025 2026, en fonction de l’impact des énergies renouvelables sur les cours du MWh.

Le texte prévient pourtant « Si la mise en service de l’EPR prenait du retard, les deux réacteurs de Fessenheim seront dans tous les cas arrêtés au printemps 2020, mais le calendrier de l’arrêt des tranches au charbon devrait être revu, afin de respecter le critère de sécurité d’approvisionnement ».

Car le 10 octobre 2018, les dix principales associations professionnelles européennes du secteur électrique, réunies à Berlin, avaient tiré la sonnette d’alarme sur ces problèmes de sécurité que le développement de l’intermittence de production des EnR faisait peser l’approvisionnement, et attiraient l’attention sur la nécessité d’augmenter les capacités programmables disponibles, à défaut de moyens de stockage suffisants.

En regard des enjeux climatique, le GIEC vient de rappeler l’intérêt du nucléaire en raison de ses très faibles émissions de CO2, dont il estime la moyenne du cycle complet à 12g/kWh, et 11g/kWh pour l’éolien. En raison de la sobriété en carbone du procédé d’enrichissement de l’uranium en France, l’étude 2014 de Ch. Poinssot & al chiffre même le cycle complet du nucléaire français à 5,45gCO2/kWh.

C’est pourquoi le remplacement du nucléaire par des éoliennes ne saurait en aucun cas participer à la lutte en faveur du climat.

Mais pire encore, les moyens thermiques qui compenseront les périodes sans vent ou sans soleil sont de nature à augmenter significativement les émissions de CO2 du parc électrique français, à l’inverse du résultat espéré.

Alors que l’action publique serait extrêmement efficace sur cette réduction en insistant davantage sur les économies d’énergie.

Le défaut des sources d’énergies renouvelables est qu’elles sont intermittentes et fatales. Ces deux spécificités ne vont-elles pas conduire à une augmentation des coûts de réseau ? N’est-ce pas le contribuable ou le consommateur qui devra payer, tôt ou tard, la facture ?

En 2015, le rapport Derdevet avait déjà relevé la nécessité de redimensionner le réseau électrique européen afin de lui permettre, non plus seulement d’alimenter les consommateurs, mais de refouler les excédents des énergies renouvelables « vers les niveaux de tension supérieure pour les répartir sur l’ensemble des territoires ». Le coût de cette restructuration qui se chiffre en centaines de milliards incombera effectivement au consommateur, notamment via le « Tarif d'Utilisation des Réseaux Publics d'Électricité » (TURPE), qui peut peser jusqu’à 46% sur les factures d’électricité et dans lequel sont notamment incluses les dépenses R&D du gestionnaire de réseau RTE.

Ces coûts s’ajoutent d’ailleurs à ceux des conditions d’achat des énergies renouvelables.

La Cour des Comptes a chiffré à 121 milliards les charges encore engagées par les seuls contrats déjà passé jusqu’à fin 2017 pour les EnR électrique (et biométhane).

Mais le plus grave est très probablement la perte de compétitivité des centrales programmables en raison des régimes partiels et à coups de fonctionnement que leur imposent les énergies intermittentes, et ce point est particulièrement sensible pour les réacteurs nucléaires. En effet, contrairement à une idée reçue, la plupart d’entre eux est capable de moduler sa puissance de 80%, en plus ou en moins, en moins de 30 minutes.

Et la puissance éolienne installée sera déterminante sur la rentabilité de ce parc, comme le remarque le rapport franco allemand« L'Energiewende et la transition énergétique à l’horizon 2030 »qui relève : « En France, le développement visé des énergies renouvelables et le réinvestissement dans le parc nucléaire au-delà de 50 GW comporterait un risque important de coûts échoués dans le secteur électrique. » Et tout en confirmant l’indispensable présence d’importantes capacités programmables, confirme une des raisons qui le pénalisera : « En 2030, un parc nucléaire maintenu à des niveaux élevés devra opérer plus fréquemment en suivi de charge, contribuant à la flexibilité du système électrique »

L’autre raison étant la baisse du cours du MWh provenant d’une situation rendue globalement surcapacitaire.

Comment expliquer alors ce projet ? Y a-t-il des intérêts privés à l’œuvre dans ce genre de planifications ?

Les intérêts privés sont incontournables et présents lors de toute décision politique. Et il convient de se garder du conspirationnisme qui consiste à voir la main des lobbies derrière chacune d’elle.

Qu’il s’agisse des laboratoires pharmaceutiques lors des campagnes de vaccination, ou des produits phytosanitaires lors de leurs autorisations de mise sur le marché, la défiance systématique de l’action publique nuit à l’évolution permise par les progrès de la science et des technologies.

Bien évidemment, chaque filière fait son possible pour être représentée au mieux dans les instances décisionnaires.

En l’occurrence, force est de constater que le fameux « lobby nucléaire » représente des entreprises presque entièrement détenues pas l’État, qu’il s’agit d’une filière à forte valeur ajouté et pourvoyeuse d’emplois hautement qualifiés sur la totalité de son cycle et qu’il ne semble pas que sa voix soit bien audible actuellement. Tandis que les éoliennes et panneaux photovoltaïques par eux mêmes sont presque exclusivement importés, largement exploités par des fonds privés et bénéficient d’une couverture médiatique incomparable.

Mais ce n’est pas à l’aune de cette différence qu’il convient de juger de la pertinence de leur planification.

La sortie du nucléaire des Allemands ne s’est pas faite sans un maintien de leurs centrales à lignite ou à charbon : n’y a-t-il pas une volonté de leur part, via leur appui au développement des énergies renouvelables, de faire croire à leur bonne conscience écologique ?

Les allemands ont une longue tradition antinucléaire. On peut même parler d’une coopération antinucléaire franco allemande dans la vallée du Rhin Supérieur qui fête son cinquantenaire cette année. Et l’Allemagne n’avait pas attendu le tsunami de Fukushima pour décider de se passer de l’atome.

En raison de sa grande dépendance au charbon, la politique climatique européenne imposait implicitement à l’Allemagne de miser sur les énergies renouvelables malgré leur intermittence et il n’y a aucune raison de douter de leur bonne foi, malgré l’évidence que leur réduction du nucléaire allait mécaniquement entraver leurs efforts visant à réduire leurs émissions.

Mais il ne semble pas que les allemands aient anticipé de telles difficultés pour fermer leurs centrales programmables, qu’ils n’ont encore pas réussi à réduire d’un seul MW en 15 ans, malgré le doublon intermittent de plus de 100 000 MW éolien/solaire. Car cette formidable puissance est susceptible de s’effondrer à moins de 1 % de sa capacité installée au moment où ils en auraient le plus besoin, comme ce 25 janvier, avec un passage à moins de 1 GW de puissance effective.

Par contre, la récente réforme du marché du carbone, qui s’accompagne déjà de l’envolée de son cours, pourrait amener l’Allemagne à une sortie accélérée du charbon. Mais, ainsi que l’analyse le spécialiste Hartmut Lauer, le gaz devrait tenir une large place pour le remplacer, dans la mesure où les gestionnaires de réseaux allemands craignent déjà de ne plus pouvoir faire face à leurs propres pics de consommation dès 2021, par manque de moyens programmables.

Et en tout état de cause, notre parc nucléaire confère désormais à la France un avantage compétitif sur ses voisins, qui sera d’autant plus important que le cours du carbone sera plus haut, ainsi qu’on doit s’y attendre.

C’est en regard de ces considérations qu’il faut s’interroger sur la pertinence du développement éolien dont l’effet pervers sera de forcer ce parc nucléaire à réduire sa puissance, pour cause de rentabilité, ainsi que le découvre désormais la PPE, et de devoir le remplacer, au moins partiellement, par le gaz qui ne demande pas de si lourdes contraintes sur la sécurité des investissements.

Et c’est en regard de cette réflexion qu’il faut s’efforcer d’interpréter les différentes incitations susceptibles d’infléchir notre politique énergétique.

A cet effet, le groupe des Républicains a acté le principe d’une Commission d’enquête à l’Assemblée Nationale sur les dessous de la Transition énergétique.

Le député Julien Aubert, instigateur de cette demande de transparence, vient de se demander dans les colonnes d’Atlantico« pourquoi depuis 20 ans on s’entête à investir à fonds  perdus dans ces énergies tout en détériorant notre nucléaire » en évoquant « tout un écosystème de cabinets et de consultants qui ont grandement prospéré à l’ombre de cette transition écologique ».

Il semble que la même question se pose au sein du Sénat.

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