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Le testament de Kim Jong-il
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Requiem pour un Jong

Et si Kim Jong-il avait laissé un testament ? Sans attendre que les historiens le rendent public, Pierre Rigoulot, spécialiste de la Corée du Nord, s'est essayé à cet inventaire fictif, posthume et non dénué d'humour...

Pierre Rigoulot

Pierre Rigoulot

Pierre Rigoulot est historien et directeur de l'Institut d'histoire sociale

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Mon nom est Kim Jong-il. Je dirige la Corée du Nord d’une poigne de fer depuis une vingtaine d’années. Mon père avait prévu de son vivant déjà que je lui succéderai. Et il m’a fait monter peu à peu dans l’appareil du pouvoir. Il y a bien eu quelques réticences de la part de deux ou trois vieux maréchaux gâteux. Mais les camps ne sont pas faits pour les chiens et on les envoya travailler derrière des barbelés.

Mon père est mort en 1994. J’ai mis quelque temps à rabattre le caquet de membres de la famille qui s’imaginaient avoir des dispositions pour gouverner. J’ai appelé « période de deuil », le temps nécessaire à laver notre linge sale et je m’installai. La vie était belle. Je faisais venir des oranges bio du Portugal, du cognac de France, des filles de Suède, des films des États-Unis. Je faisais afficher un peu partout que mon père, c’est moi et que moi, c’est mon père, histoire de ne pas perdre un gramme de son aura.

Je suis le seul à accéder à toutes les informations du monde entier. C’est le top niveau, le niveau 10. Les autres, selon leur place dans la hiérarchie, ont accès au niveau 9, comme certains ministres, au niveau 8, comme certains généraux, etc. jusqu’au bas peuple qui est bien obligé de se contenter des âneries que mon appareil de propagande lui distille - la radio, la télé et les journaux lui disent tous la même chose : nous vivons sous un régime qui va de succès en succès, les gens sont heureux, les étrangers nous envient.

Certes, nous sommes encore l’objet de menaces, mais les bombes atomiques que j’ai fait exploser en 2006 et 2009 sont là pour rappeler qu’il ne faut pas trop chatouiller notre armée de plus d’un million d’hommes. Le pourcentage de soldats par rapport à l’ensemble de la population impressionne toujours et il n’est pas près de baisser. Puisque ces idéalistes de Corée du Sud et du monde occidental nous livrent de quoi empêcher toute la population de crever de faim, je peux consacrer le peu de devises que j’ai pour acquérir de quoi équiper mon armée.

Bref, tout irait bien si je n’avais pas eu cet accident cérébral, le 14 août 2008. J’ai été bien soigné, il est vrai. Des médecins occidentaux préoccupés des droits de l’Homme que je suis et d’un beau paquet de dollars que je leur avais promis, se sont précipités à mon chevet. Je l’ai échappé belle. Pendant que mes services de propagande assuraient que j’allais bien et même très bien, j’étais dans un drôle d’état, avec des crises d’hallucinations de temps à autre, qui m’effrayaient beaucoup. 

Je suis à peu près rétabli (à l'heure où j'écris ces lignes, NDLR) mais je vois bien, malgré les communiqués rassurants, que mes médecins ne sont pas convaincus que je fasse de vieux os. Il faut donc penser à partir un jour ou l’autre. J’aimerais que ce soit après Castro qui fait le fier d’avoir tenu 50 ans au pouvoir alors que mon père est mort au bout de 46 ans, de 1948 à 1994. Ca lui rabattrait le caquet à ce grand barbu-là…

A qui je dois léguer les clefs ? Mon grand couillon de fils aîné s’étant fait prendre il y a quelques années avec un passeport dominicain mal imité à Tokyo, alors qu’il allait visiter le Parc de Disneyland, tant pis pour lui. Les deux autres sont un peu jeunes et j’ai eu la faiblesse de les faire éduquer dans des écoles suisses. Ils ont l’air d’apprécier le chocolat Nestlé et les votations à tout bout de champ. Très peu pour nous. C’est ce que j’explique au plus jeune, Kim Jong-un, le seul à pouvoir diriger parce que le deuxième de ses frères me semble décidément trop efféminé. Il devra se méfier de mon beau-frère, Chang Song Taek, son oncle donc. Celui-là m’étonnera toujours. Il veut bien faire le boulot mais ne veut pas du titre ni des avantages. Je devrais le surveiller un peu plus. Le Parti ? L’armée ? Les uns louchent du côté de la Russie, les autres du côté de la Chine. Ce serait bientôt le bordel si on les laissait faire.

En attendant, je mets mes petites bombes à l’abri, et les déserteurs (en Occident on les appelle des réfugiés) qui parlent de « régime tyrannique » à Pyongyang n’émeuvent pas trop les foules et les chefs d’Etat en Occident. Un dirigeant qu’on appelle l’ « étoile polaire de l’humanité » ou quelque chose d’approchant, ne doit pas mourir vraiment. Et puis, si j’ai une nouvelle attaque, les médecins français reviendront. (1)

(1) Les médecins français n’ont pas eu le temps de venir. Kim Jong-il est mort.

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