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Terrorisme, démocratures aux frontières européennes... Comment adapter la sécurité de la France et de l’Europe aux nouvelles menaces
©Reuters

Refondation

Seules des stratégies globales peuvent répondre aux nouveaux risques. Elles doivent mobiliser tous les pans de l'action publique mais aussi la société civile et se déployer au niveau national et européen.

Nicolas Baverez

Nicolas Baverez

Nicolas Baverez est docteur en histoire et agrégé de sciences sociales. Un temps éditorialiste pour Les Echos et Le Monde, il analyse aujourd'hui la politique économique et internationale pour Le Point.

Il est l'auteur de Lettres béninoises et de Chroniques du déni français aux Editions Albin Michel.

 
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Atlantico : Dans quelle mesure le dispositif français de sécurité est-il inadapté aux principales menaces actuelles, et notamment à celle du terrorisme ?

Nicolas Baverez : Le dispositif français de sécurité comme le dispositif européen se trouvent largement en porte-à-faux par rapport à des risques qui ont changé de nature et d'intensité. Dans les années 1970, le terrorisme était piloté par les Etats. Puis est apparu Al-Qaïda qui conservait une structure pyramidale et hiérarchique. Le terrorisme s’est transformé avec l'Etat Islamique : il est à la fois intérieur et extérieur. L’organisation montre une grande capacité à se régénérer, y compris après l’élimination de certains de ses dirigeants. Elle se déploie au Moyen-Orient et en Afrique mais aussi au cœur des sociétés développées. Nos pays sont des théâtres d’opération et des bases de combattants qui peuvent opérer à l’étranger ou sur notre sol. Le recrutement, la propagande et la radicalisation utilisent massivement les réseaux sociaux. Les services français et européens n'étaient pas préparés à affronter cette menace qu’ils n’ont pas anticipée...

Par ailleurs, le terrorisme n'est pas le seul risque. Des menaces viennent aussi des autres puissances, et notamment de ces nouveaux régimes que l'on peut qualifier de "démocratures". La Russie et la Turquie en sont emblématiques. Ces régimes sont dirigés par des hommes forts qui contrôlent l’exercice du suffrage universel, la société, l'économie et les médias. Ils déploient une propagande massive à l’intérieur comme à l’extérieur. Ils cultivent un nationalisme exacerbé, souvent associé aux passions religieuses. Ils se rejoignent dans leur détestation et leur opposition aux démocraties dont ils utilisent les faiblesses et les divisions. Ils ont un tropisme marqué pour la violence et excellent dans la conduite des conflits hybrides - comme on le voit en Ukraine ou dans les tentatives de déstabilisation des Etats baltes -. Les démocraties, qui se sont à tort persuadées de leur triomphe avec l’effondrement de l’Union soviétique, ont été prises de court et peinent à répondre à la politique de puissance et aux coups de force de ces régimes. 

Face à ces évolutions, les systèmes de sécurité français et européen ont été pris à revers. Leur stratégie, leur doctrine, leurs organisations, les moyens qu’ils mobilisent se sont révélés largement caducs. Ainsi, en dépit de la remontée des risques stratégiques, l'Europe a poursuivi son désarmement unilatéral jusqu’en 2015 quand les dépenses militaires augmentaient de 255% dans le monde depuis les années 1990. Le budget de défense européen ne représente qu'un tiers de celui des Etats-Unis. Quant à la France, elle ne consacre que 1,5% du PIB à sa défense et 0,7% à la sécurité intérieure alors qu’elle affecte 34% de sa richesse nationale aux transferts sociaux.

Quelles sont selon vous les actions à mettre prioritairement en œuvre pour refonder la sécurité nationale ?

Seules des stratégies globales peuvent répondre aux nouveaux risques. Elles doivent mobiliser tous les pans de l'action publique mais aussi la société civile. Elle doivent se déployer au niveau national mais aussi européen.

Au niveau national, plusieurs actions peuvent être prises. La première priorité consiste à créer un Conseil de sécurité nationale auprès du président de la République qui aura pour vocation d’élaborer cette stratégie globale. Deuxièmement, si un million de personnes travaillent dans la sécurité en France - ce qui est loin d'être négligeable -, on constate d'énormes problèmes de coordination à tous les niveaux (entre les services de renseignement, entre sécurité intérieure et extérieure). Pour pallier ce problème, il faudrait créer un centre opérationnel permanent auprès du ministère de l'Intérieur pour tout ce qui concerne la sécurité sur le territoire national. Il faut par ailleurs regrouper et réorganiser les services de renseignement et unifier les forces d'intervention qui sont éclatées entre le GIGN, le RAID et la BRI.

Parallèlement, la mobilisation des forces économiques et sociales mais aussi des citoyens est très importante. Les entreprises sont des cibles mais aussi des acteurs de la sécurité : elles ont besoin de sécuriser un certain nombre de lieux pour leurs salariés et leurs clients ; mais elles se trouvent aussi, pour certaines d'entre elles, à la pointe de la recherche dans des secteurs comme le cyber - la recherche dans ce secteur étant aujourd'hui largement privée -. Les entreprises devront donc réinvestir le champ de la sécurité. C'est vrai aussi des citoyens. La sécurité est l'affaire de tous : les citoyens doivent se réengager dans la sécurité à travers la formation à la gestion des situations d'urgence, à travers l'engagement dans les réserves, à travers l'acceptation de la réorientation d’une partie - au reste minime - des dépenses de l'Etat-providence vers l'Etat régalien. L’objectif consiste à porter le budget de la défense jusqu'à 2% du PIB en 2025, comme la France en a pris l'engagement au sein de l'Otan, et à accroître le budget de la sécurité intérieure jusqu'à 1% du PIB.

La dimension européenne est aussi très importante. Il existe un paradoxe : si les citoyens européens plébiscitent l'Europe en matière de sécurité, cette dernière est pour l'instant un vide stratégique. Nous préconisons la création d'une Union européenne pour la sécurité qui aurait pour mission la coordination de la lutte contre le terrorisme,  la protection des infrastructures essentielles et le contrôle des frontières extérieures de l'Union. Cela permettra de répondre à la très grande inquiétude des citoyens européens qui s'est exprimée lors du référendum sur le Brexit, lors des élections régionales allemandes et qui va continuer à s'exprimer lors du cycle électoral qui va démarrer cet automne en Autriche et en Italie jusqu'à l'automne prochain lors des élections législatives en Allemagne.

Qui aujourd'hui, au sein de la majorité ou de l'opposition, vous semble avoir le discours le plus pertinent sur la question de la sécurité nationale ?  

L'enjeu de la sécurité nationale dépasse les clivages partisans. A huit mois de l'élection présidentielle - au cours de laquelle les Français décideront de leur destin et de celui de la nation - et au moment où la sécurité est avec la relance de la croissance et de l'emploi le thème le plus important pour l'avenir de notre pays, nous avons souhaité mettre à la disposition de tous - les dirigeants politiques qui sont au pouvoir ou dans l'opposition mais aussi les citoyens - à la fois un constat précis de la situation, une analyse des faiblesses actuelles et surtout des propositions pour y remédier. Il me semble que cette logique qui mêle à la fois une connaissance du sujet et des propositions pour gérer les risques est le meilleur antidote aux embardées populistes et au risque de démagogie. Par ailleurs, la France, qui reste en Europe, après le Brexit, le seul membre permanent du conseil de sécurité, la seule puissance nucléaire, la seule nation à pouvoir projeter des forces et commander des opérations complexes, dispose d’une responsabilité majeure dans la défense de la liberté et de la souveraineté du continent. C’est aussi une formidable chance pour elle de retrouver son rang. 

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