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Tentative de rattrapage du fiasco El Khomri : les liaisons dangereuses entre François Hollande et les syndicats
©wikipédia

Collusions toxiques

Parmi les opposants au projet de loi El Khomri, figurent en première ligne les syndicats. Afin de calmer leur mécontentement et d'éviter une trop forte mobilisation lors de la journée de grève prévue le 9 mars, François Hollande souhaite s'orienter vers le dialogue, sans pour autant remettre en cause le projet. Un moyen de signifier le contrôle qu'il exerce encore sur les partenaires sociaux.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Dans l'accélération du temps politique produite par la loi El-Khomri, une énigme suscitera à l'avenir de longs commentaires: par quelle bizarrerie de comportement un texte aussi explosif a-t-il pu être préparé sans concertation avec les organisations syndicales ? Compte tenu des ambitions du texte, l'idée que le Conseil des ministres ait pu être saisi du texte sans une consultation formelle et organisée des syndicats laisse perplexe sur la prise de responsabilité au sein de l'exécutif. Cette perplexité est d'autant plus forte que la remise du rapport Badinter avait donné lieu à une communication rassurante sur le fait que la loi ne changerait pas le droit existant.

La loi El-Khomri et un Président coupé des réalités

Dès son arrivée à l'Elysée, François Hollande a donné à ses soutiens historiques le sentiment de vouloir se protéger de la réalité en constituant une équipe de "technos", et notamment d'énarques, assez peu expérimentés mais sûrs d'eux-mêmes et dominateurs. C'est une tare du pouvoir en France, et singulièrement des gouvernements socialistes, de procéder ainsi, par la constitution d'une cour aristocratique qui se glisse entre le souverain et son bon peuple.

Avant Hollande, Jospin était tombé pour la même raison, en obéissant au même vice : ne plus voir la réalité qu'à travers le prisme d'une noblesse de robe peu au fait de la réalité. Ce vice semble pourrir Hollande par la racine : en dehors des dîners improvisés chez des journalistes subventionnés, le président est coupé de son peuple et ne connaît plus grand chose de la vraie vie des Français.

L'apparente légèreté avec laquelle l'exercice El-Khomri a été abordé en constitue la conséquence vraisemblable.

La loi El-Khomri et un Premier ministre autoritaire

La faute de François Hollande a probablement consisté à déléguer à outrance la préparation et le pilotage de ce texte à Matignon. Manuel Valls a-t-il transformé Myriam El-Khomri en simple télégraphiste ? La ministre a-t-elle été dépouillée de toute marge de manoeuvre dans la conduite d'une opération qui se transforme pour elle en chemin de croix politique ? Son conseiller politique démissionnaire sur ce dossier le soutient. La réalité est probablement plus nuancée, et une grande partie du texte semble avoir aussi été rédigée par la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle.

Une chose est sûre malgré tout : Manuel Valls n'est pas un familier des questions sociales. Son style bonapartiste, ses idées très jacobines-libérales, ne cadrent pas spontanément (c'est le moins qu'on puisse dire), avec les habitudes du paritarisme. En l'espèce, l'idée d'appliquer la loi Larcher, c'est-à-dire de demander aux partenaires sociaux une "délibération sociale" sur ce projet de loi, ne paraît pas l'avoir effleuré.

La loi El-Khomri et la grande peur présidentielle

Entre un Président trop loin de ses dossiers sensibles, et un Premier ministre trop éloigné des réalités sociales, le projet de loi El-Khomri facialement porté par une ministre ignorante des relations sociales était bien mal embouché. Assez rapidement, l'entourage CFDT de François Hollande, maladroitement tenu à l'écart de Matignon par un cabinet qui ne comprend rien à la réalité syndicale française, a actionné toutes les manettes nécessaires pour arrêter un train devenu fou. Il n'est toutefois pas sûr qu'il y arrive.

Un des leviers majeurs sur les décisions de François Hollande tient à la Grande Peur quinquennale de la grève générale, du dérapage social incontrôlé, ce que la gauche mélenchonienne appelle le "mouvement social". La perspective que, comme en 68 ou en 36, les Français "débraient" et se rebellent de façon spontanée contre l'ordre social fait partie des grandes angoisses qui hantent les nuits du gouvernement depuis de nombreuses années, et tout particulièrement celles de François Hollande.

On ne le dit pas assez, mais, de droite comme de gauche, le pouvoir exécutif est traversé par les mêmes angoisses shakespeariennes. Le spectre d'un peuple français entrant en rébellion a déterminé bien des revirements élyséens, que ce soit sous Sarkozy ou sous Hollande, et même probablement davantage encore sous Hollande. Alors que Sarkozy tenait assez virilement les syndicats en respect, Hollande a cru, parce qu'il est de gauche, être aimé d'eux sans contreparties. L'histoire lui montre qu'un patron de gauche peut être bien plus haï et vilipendé qu'un patron de droite.

La loi El-Khomri face à un Hollande dépassé

Face à cette Grande Peur, Hollande devrait rapidement enterrer les aspects les plus saillants de ce texte touffu qu'il n'a probablement pas lu, et encore moins compris s'il l'a lu.

C'est en effet un secret de polichinelle : Hollande n'a jamais mis les pieds dans une entreprise (sauf pour des visites de complaisance qui relèvent de la propagande et non de l'apprentissage), et il ne comprend que goutte aux questions de droit du travail. En dehors du prêt-à-penser généraliste véhiculé par Terra Nova sur les bienfaits de la démocratie sociale, il n'a aucune idée qui tienne la route sur ces sujets.

Au vu de sa parfaite incompétence sur l'ensemble des domaines qui concernent l'économie et la croissance du pays qu'il préside, il devrait donc sagement enterrer le texte et laisser son successeur gérer les dégâts de ses palinodies. Il pourra se dire qu'il a sauvé l'essentiel : son pouvoir, le temps de finir son mandat, en écartant un "mouvement social".

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