Tempête de radicalité : et pendant ce temps-là, le macronisme est-il vraiment si modéré…?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président Emmanuel Macron prononce un discours alors qu'il organise un dîner à l'Elysée, le 30 septembre 2021 dans le cadre de la cérémonie de clôture de la saison Africa2020.
Le président Emmanuel Macron prononce un discours alors qu'il organise un dîner à l'Elysée, le 30 septembre 2021 dans le cadre de la cérémonie de clôture de la saison Africa2020.
©LUDOVIC MARIN / PISCINE / AFP

LREM

Le macronisme a-t-il été le résultat d’une volonté de dégagisme du peuple français ? La manière parfois cassante de s'adresser aux Français d’Emmanuel Macron est-elle le signe d'une certaine radicalité du discours et des actes ? La réforme de l’assurance-chômage témoigne notamment d'une volonté jusqu'au-boutiste d’Emmanuel Macron. En choisissant de publier tardivement les décrets d’application de ses lois, le chef de l’Etat semble mettre les Français devant le fait accompli.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Emmanuel Macron s’est présenté comme le candidat de la « disruption » celui qui dénonçait un système qui « a cessé de protéger ceux qu’il devait protéger »  et que l’organisation politique vivait « pour elle-même, plus préoccupée par sa survie que par les intérêts du pays ». Cinq ans après, il est l’heure d’analyser si le macronisme a tenu ses engagements de rempart contre les extrêmes et de rempart anti-démocratie. En étant élu contre les autres partis, le macronisme a-t-il été le résultat d’une volonté de dégagisme du peuple français ? À quel point cette volonté d’être contre les partis traditionnels a été brutale ?

Christophe Bouillaud : Effectivement, la campagne électorale d’Emmanuel Macron en 2016-17 se fonde sur un discours fortement hostile aux partis traditionnels qui ont dominé la vie politique française depuis les années 1970. Il s’inscrit dans ce qu’on a pu appeler alors le « dégagisme »,  qui n’est jamais que la version millésime 2017 du « Sortez les sortants ! »  des années 1950.

Cet affichage d’une volonté de faire table rase de tous les politiciens qui auraient selon lui mal gouverné le pays depuis 1970 ne doit cependant pas faire oublier qu’Emmanuel Macron n’aurait pas pu réussir sans le soutien de toute une série de professionnels de la politique des plus traditionnels : ses premiers soutiens dans l’aile droite du Parti socialiste comme Gérard Collomb ; ensuite, un parti entier, le MODEM de François Bayrou, lointain héritier de près d’un siècle de tradition partisane démocrate-chrétienne ; et enfin, une fois acquise son élection à la Présidence, le ralliement de toute une série d’ambitieux venus de la droite républicaine pour booster une carrière bien trop terne à leurs yeux (Edouard Philippe, Bruno Le Maire, etc.).

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Autrement dit, il ne faut pas confondre le discours de renouvellement et la réalité du renouvellement. Comme l’a justement dit Rachida Dati, le personnel de la majorité actuelle n’est rien d’autre qu’une collection de traîtres venus des partis traditionnels de gauche, du centre et de droite. La brutalité à l’égard de l’ancienne classe politique reste donc toute relative.

Les mouvements de contestations nombreux durant sa présidence ont-ils été causés par une politique peu consciente des problèmes des classes populaires ? Sa manière parfois cassante de s'adresser aux Français est-elle le signe d'une certaine radicalité du discours et des actes ?

Oui, clairement, la révolte des Gilets jaunes, essentiellement menée par des membres des classes populaires, aurait sans doute pu être évitée si l’exécutif avait compris à quel point le problème posé par le coût de l’essence et du diesel représente un point de fixation pour une grande partie des classes populaires habitant loin de leurs lieux de travail. Il me semble pourtant que la plupart des économistes avaient prévenu bien avant cette crise qu’une augmentation de l’essence et du diesel, liée à la volonté de taxer le CO2 pour lutter contre le réchauffement climatique, ne pouvait être socialement accepté qu’en mettant en place des compensations pour les personnes les plus défavorisées. Nicolas Hulot, lui-même, prétend avoir averti l’exécutif alors qu’il était encore Ministre de cette difficulté.

De même, la hausse de la CSG sur les retraites a failli le fâcher définitivement avec cette part cruciale de l’électorat, parce qu’Emmanuel Macron et son entourage se sont laissés prendre au piège d’un discours, largement présent dans les médias dominants, présentant tous les retraités comme les nouveaux nantis de ce pays. Cette vision pour le moins simpliste s’est heurtée de front à la réalité d’une France retraitée bien plus diverse que le portrait que les grands médias en font.  Emmanuel Macron a alors semblé découvrir la réalité des « petites retraites » dans ce pays, ainsi que les grosses dépenses qu’occasionnent la vieillesse à tout un chacun.

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Enfin, n’oublions pas que, si la France comme le reste du monde n’avait pas été confrontée à la pandémie de Covid-19, la réforme des retraites d’Emmanuel Macron serait entrée en vigueur. Or le moins que l’on puisse dire, c’est que cette dernière n’était pas exactement ce qu’attendaient les classes populaires,  la plupart des syndicats de salariés ou certaines professions comme les avocats. N’eut été la pandémie, le passage en force aurait inévitablement eu lieu. Et, d’ailleurs, si la pandémie de Covid-19 ne réapparait pas cet hiver, la tentation de l’exécutif sera grande de frapper encore un grand coup sur ce point, même si, désormais, même le MEDEF lui-même se passerait bien d’un tel rebondissement bien apte à mettre tout le monde du travail en émoi.

On pourrait multiplier les exemples, mais force est de constater que le pouvoir d’Emmanuel Macron est inspiré par une grande radicalité, au moins pour tout ce qui concerne le cœur de son programme économique et  social.  Il prétend en plus que ce programme vise à la préservation du « modèle social français », alors qu’il n’en est en fait que l’euthanasie. Il s’agit en réalité d’adapter la France à un modèle néo-libéral de société – ce même modèle si favorable aux classes populaires, si propice à l’apaisement des tensions sociales et politiques, qu’il  a fini par donner un Trump aux Etats-Unis ou le Brexit au Royaume-Uni. Il faut ajouter que le problème politique, voire moral, du macronisme, est de ne pas annoncer clairement aux Français  la couleur, de leur mentir sur ses intentions réelles – ou, tout au moins, de mentir aux plus naïfs d’entre eux. Margaret Thatcher ou les autres néo-libéraux du nord de l’Europe  des années 1980-90 ont en général clairement explicité leur philosophie. Ils ont joué carte sur table, et ils ont emporté les élections sur ce message. C’est  ce qui manque toujours en France, un parti qui se dise libéral et qui l’assume clairement. On pourrait faire les mêmes remarques sur la tendance du macronisme à faire du  « greenwahsing » en permanence.  Or ce mensonge du macronisme sur les intentions est délétère. Un politicien doit à l’électorat, particulièrement à l’électorat populaire, la congruence entre ses propos et ses actes. Il ne faut pas s’étonner ensuite si l’on se retrouve avec un peuple français particulièrement défiant, et refusant du coup pour une part de se faire vacciner par absence de confiance dans les autorités publiques.

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Les institutions de la Vème République étaient sans doute plus solides avant Macron. Le fait que ce dernier ait poussé l’autoritarisme, certes autorisé par les formes légales même du régime, jusqu’à un point jamais vu depuis la fin de la Guerre d’Algérie, a plutôt affaibli le régime. Macron a montré à quel point l’on peut gouverner la France, pourvu qu’on ait une majorité parlementaire fidèle et qu’on se soit assuré de la fidélité des forces de l’ordre par un clientélisme de bon aloi à leur égard, sans tenir compte des corps intermédiaires, des collectivités locales, des oppositions,  des usages les mieux établis. Je ne suis pas sûr par exemple que la destruction programmée de tous les grands corps de l’Etat (préfectorale, etc.) et de toutes les inspections générales au profit d’un vaste « mercato » de la haute fonction publique ouvert à toutes les promotions politiques du moment soit véritablement rendre service à la stabilité de nos institutions et à la République au sens historique du terme.

De fait, d’une part, l’exercice du pouvoir par Emmanuel Macron a largement délégitimé le régime auprès de toute une partie de la population,  partie dont les Gilets jaunes ne représentent que la face émergée, d’autre part, sa manière de réformer les politiques publiques et de réformer l’Etat ouvre grand les portes à une possible future dictature au sens fort du terme. Macron a certes raison de dire que nous ne sommes pas en dictature. Par contre, à cause de sa manière d’accentuer encore la tendance à l’hyper-présidentialisme déjà présent dans la Vème République depuis des lustres, les instruments légaux de cette possibilité sont désormais bien en place et l’affaiblissement des contre-pouvoirs bien entamée.

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La réforme de l’assurance-chômage témoigne-t-elle d'une volonté jusqu’au-boutiste d’Emmanuel Macron ? En choisissant de publier tardivement les décrets d’application de ses lois, cherche-t-il à mettre la classe politique et les Français devant le fait accompli ?

En tout cas, Emmanuel Macron considère par cette publication tardive des décrets que les syndicats de salariés constituent des réalités totalement négligeables pour lui. Rappelons en effet que tous les syndicats de salariés, y compris la CFDT très en pointe sur ce dossier, se sont déclarés hostiles à cette réforme de l’assurance-chômage. Il ne fait pas de doute en effet qu’elle va diminuer fortement  l’indemnisation de beaucoup de chômeurs, souvent parmi les plus précaires.  C’est, selon le gouvernement lui-même, une manière d’obliger les chômeurs à accepter n’importe quel travail. Puisque, selon ce dernier, le travail ne manque pas vraiment en France, c’est seulement une absence de volonté d’occuper les postes vacants qui est en cause.

Bien sûr, cela peut satisfaire une grande partie de l’électorat qui pense très sincèrement que 99% des chômeurs – sauf bien sûr leur belle-fille qui galère, la pauvre… - sont des fainéants qui se complaisent dans leur assistanat. Or la réalité est tout de même un peu différente : il y a vraiment pas mal de gens dans ce pays qui sont au chômage, prêt à accepter tout ce qu’on leur propose et qui restent pourtant sans emploi.  Cette réforme de l’assurance-chômage, en dehors de ces aspects comptables, en dehors du fait qu’elle met hors-jeu les syndicats, vise aussi à afficher que le chômage n’est dans le fond affaire que de choix individuels. Il suffirait en somme de « traverser la rue », selon la formule macronienne bien connue, pour avoir un emploi.  C’est bien cette individualisation des responsabilités qui est ici en jeu. C’est là un marqueur fort du macronisme qui se trouve ainsi réaffirmé à quelques mois des présidentielles. Toute discussion politique à propos du chômage est ainsi forclose par avance, puisque que ce n’est qu’une affaire strictement individuelle. C’est là sans doute une belle manière de nier tout un monde d’expérience des classes populaires et moyennes dans ce pays depuis des décennies.  En somme, pour nos gouvernants, il suffit de réformer l’assurance-chômage, et hop, le chômage disparait. Magique.

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