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Syndrome du 1er mai : ce mal français dont la fièvre “Black Blocs + Gilets Jaunes” est le symptôme
©ALAIN JOCARD / AFP

Le rouge, le noir et le jaune

Le 1er mai est la fête du travail et le jour traditionnel d’action des syndicats. Mais ces derniers se font voler la vedette par les Gilets Jaunes et les Black Blocs cette année, et ce n’est pas que du fait de l’actualité.

Hubert Landier

Hubert Landier

Hubert Landier est expert indépendant, vice-président de l’Institut international de l’audit social et professeur émérite à l’Académie du travail et de relations sociales (Moscou).

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Sylvain Boulouque

Sylvain Boulouque

Sylvain Boulouque est historien, spécialiste du communisme, de l'anarchisme, du syndicalisme et de l'extrême gauche. Il est l'auteur de Mensonges en gilet jaune : Quand les réseaux sociaux et les bobards d'État font l'histoire (Serge Safran éditeur) ou bien encore de La gauche radicale : liens, lieux et luttes (2012-2017), à la Fondapol (Fondation pour l'innovation politique). 

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Atlantico.fr : Cette journée du 1er mai est l'occasion du traditionnel défilé des syndicats, mais les regards sont plus tournés vers les Black Blocs et les Gilets jaunes. Face à un syndicalisme réformiste grisonnant et en perte de vitesse, est-on passé avec les Gilets jaunes et les Black Blocs à quelque chose qui s'apparente plus à un néo anarcho-syndicalisme ? Qu'est-ce que cela dit de l'évolution du dialogue social ces dernières années ?

Sylvain Boulouque : Le dialogue social est atone depuis un certain nombre d'années et le politique a moins tendance à tenir compte de l'avis des centrales syndicales. D'un côté les syndicalistes et un certain nombre de personnes se retrouvent donc dans une impasse et de l'autre côté, d'autres personnes ont des pratiques syndicales plutôt révolutionnaires qui considèrent que comme il n'y a aucune possibilité de dialoguer, il faut se faire entendre par d'autres moyens. L'utilisation de la violence est l'un de ces autres moyens. 

Hubert Landier : A son arrivée à la présidence de la République, Emmanuel Macron a voulu se situer au-delà de l’opposition droite/gauche sur laquelle repose traditionnellement la politique française. Mais il a contribué à créer une nouvelle faille, celle qui oppose les élites au pouvoir, qu’il s’agisse du pouvoir politique, du pouvoir économique ou du pouvoir médiatique, et une partie importante de la population française, qui éprouve le sentiment de n’être pas entendue. D’où la crise des « Gilets jaunes ». 

Mais les Gilets jaunes représentent une famille sociologique très différente de celle des syndicats. Les syndicats représentent les salariés, principalement ceux des grandes entreprises et des services publics, et ils fonctionnent selon une organisation pyramidale qui leur vient de leur passé. Les gilets jaunes, eux représentent une population très composite, où l’on retrouve entre autres des salariés, mais également des artisans, des agriculteurs et des retraités. Et ils fonctionnent en réseau, sur Internet, d’une façon beaucoup plus informelle. Du côté syndical, le principe de la démocratie représentative, du côté des Gilets jaunes, la valorisation de la démocratie directe. Ces deux familles vont donc se retrouver ensemble ce 1er mai et on ne sait pas du tout comment ça va se passer. Le plus probable, c’est qu’elles ne se mélangeront pas. 

L’équation se trouve compliquée par l’intervention attendue des Black blocks. Celle-ci résulte indirectement de la politique du gouvernement à l’égard des Gilets jaunes. Le gouvernement a joué le pourrissement du conflit. Et chacun sait qu’un conflit qui dure trop longtemps sans déboucher sur un compromis acceptable par les parties en présence risque de déboucher sur des violences. Mais il faut ajouter que le gouvernement se sert de cette violence pour tenter de discréditer le mouvement auprès de l’ensemble de la population. Ceci dit, la ficelle est un peu grosse car les gens savent parfaitement distinguer les auteurs de violence d’un mouvement qui par ailleurs s’est montré très pacifique dans son ensemble. L’amalgame n’a pas pris.

Si on regarde ce qu'ont pu être des contestations violentes du même ordre dans l'histoire du dialogue social, quelles sont les conditions sociales qui ont entraîné ces violences ? Qu'est-ce qu'on peut retrouver dans les circonstances actuelles qui expliquerait cette incapacité à voir différents pans de la société communiquer ?

Sylvain Boulouque : Cette violence sociale peut se retrouver au 19ème ou au début du 20ème siècle, période lors de laquelle les affrontements avec les forces de l'ordre étaient légion. Il faut tout de même relativiser, ces affrontements étaient beaucoup plus violents et tragiques. L'une des origines du 1er mai en France, il faut le rappeler, vient des événements du 1er mai 1891 à Fourmies.  Ce jour-là l'armée a tiré sur des manifestants et des grévistes manifestant pour la journée de 8h.

Il y avait à l'époque une forme de dialogue social très ténue. Aujourd'hui les choses sont certes différentes mais nous sommes tout de même dans une non-forme de dialogue social, ce qui explique les revendications des éléments les plus révolutionnaires et leur mode d'expression plus violent. Le reste des manifestants fait preuve d'une forme d'empathie avec ces éléments plus violents dans la mesure où il y a peu de prise en compte et de résultats des revendications.

Hubert Landier : Le gouvernement, jusqu’ici, a répondu à la crise par des concessions toujours trop tardives etil n’a pas su convaincre de sa bonne foi. Il s’est situé essentiellement sur le plan économique. Ce qu’il ne peut pas, ou ne veut pas comprendre c’est que le conflit manifeste une opposition frontale entre les élites et cette partie de la population qui en subit les décisions.

Pour l’élite au pouvoir, il va de soi que le progrès passe par la croissance économique, la construction européenne et la mondialisation heureuse. Or, c’est un récit qui ne passe plus. L’élite, sur la foi des agrégats économiques et des indices statistiques calculés par l’INSEE, affirme que le pouvoir d’achat augmente alors que les gens constatent concrètement que leur revenu disponible tend à se rétrécir. D’où l’incompréhension qui s’est installée.

Ce que l’élite refuse de voir, c’est que la situation est pré-révolutionnaire. Il y a situation révolutionnaire quand les masses ne veulent plus entendre parler des élites qui occupent le pouvoir et se recommandent du « dégagisme ». Et évidemment, le pouvoir ne peut pas entendre cela. Il met en avant sa bonne volonté et des mesurettes supposées répondre aux revendications alors que pour les Gilets jeunes, ce n’est plus de cela qu’il s’agit. On leur avait promis, à l’issue du « Grand débat », un geste fort, un geste politique, et il n’est pas venu. Bien entendu, il n’est pas exclu que le mouvement finisse par s’essouffler. Mais le contentieux n’ayant pas été purgé, il rebondira à une prochaine occasion.

Quelle place a le gouvernement actuel dans ce sentiment d'incapacité à instaurer un dialogue ?

Sylvain Boulouque : Si l'on prend en compte la crise des Gilets jaunes, le fait que les centrales syndicales qui proposaient de dialoguer et de remettre à plat certaines choses n'aient pas été reçues ni écoutées par le pouvoir politique est un exemple de l'absence de ce dialogue social. Les corps sociaux intermédiaires, notamment syndicaux, ont été très peu écoutés ces dernières années. Cela facilite nécessairement le développement de groupes plus violents.

L'utilisation de la force policière participe aussi à souder et unifier les manifestants confrontés à une répression qui n'est pas toujours proportionnée ou dirigée correctement. Il y a une escalade chez les manifestants et chez les forces de l'ordre.

Les Blacks Blocs sont d'une certaine manière les héritiers de la violence que pouvaient pratiquer les syndicalistes révolutionnaires au début du 20èmesiècle. Nous sommes face au même profil, plusieurs groupes bigarrés faisant preuve de violence au sein de la frange anticapitaliste de la gauche. 

Hubert Landier : La France est un pays paradoxal. Les Français adorent être gouvernés par un souverain protecteur, qui guérit les écrouelles, assure à chaque famille la poule au pot hebdomadaire et exerce la justice assis sous son chêne. Mais quand il manque à ses obligations, qu’il devient lointain, qu’il n’écoute plus son peuple au point de lui recommander de manger de la brioche quand il n’y a plus de pain, on lui coupe la tête. Voilà où on en est. Il ne s’agit plus de savoir si c’est Turgot ou Necker qui a raison, il s’agit d’autre chose. A partir de là, on peut s’attendre à tout, y compris à ce qu’il ne se passe rien.

S’il veut éviter de survivre dans l’impuissance pendant encore trois ans, il faut donc qu’Emmanuel Macron renverse la table avec une mesure qui soit à la hauteur des circonstances. Jusqu’à présent, il ne l’a pas fait. Rappelons ici le jugement formulé par Edouard Philippe dans Libération (18 janvier 2017) : « Macron, qui n’assume rien mais promet tout, avec la fougue d’un conquérant juvénile et le cynisme d’un vieux routier ».Il lui faut se comporter en homme d’Etat, non pas en politicien habile ou en économiste avisé (plus ou moins). Il n’est pas certain qu’il en soit capable.

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