Syndrome de Munchausen : ces victimes de l’oppression et du racisme qui n’étaient pas qui elles disent être...<!-- --> | Atlantico.fr
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Le phénomène de patients feignant des maladies afin d’attirer l’attention est solidement documenté à travers le syndrome de Munchausen.
Le phénomène de patients feignant des maladies afin d’attirer l’attention est solidement documenté à travers le syndrome de Munchausen.
©JEFF PACHOUD / AFP

Imposture

Le phénomène de patients feignant des maladies afin d’attirer l’attention est solidement documenté. Il semblerait qu’il se soit aussi développé dans les rangs des nouveaux guérilleros de la justice sociale avec des personnes n’ayant pas du tout les origines qu’elles affichent...

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V.

Ses recherches portent essentiellement sur l'attention, la douleur, et dernièrement, la différence des sexes.

Ses travaux l'ont mené à écrire deux livres (L'attention, PUF; Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel) et de nombreux articles dans des revues scientifiques. En 2018, il a publié le livre L'amour à l'épreuve du temps (Albin-Michel).

 

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Atlantico : En quoi consiste initialement le syndrome de Munchausen ? Peut-il se manifester par autre chose que la simulation d'une maladie ?

Jean-Paul Mialet : Le syndrome de Munchausen est une rareté. Pour illustrer le sujet, parlons du seul cas que j’ai rencontré dans ma carrière. C’était une infirmière, multi explorée dans différents services médicaux pour une anémie grave. De façon inconstante, on retrouvait du sang dans ses urines, mais aucune lésion anatomique n’avait été décelée. De plus ce saignement ne pouvait à lui seul expliquer l’anémie profonde. La clef de l’énigme se trouvait sur ses avant-bras : on y notait des traces de piqûres. Elle se prélevait régulièrement du sang en le mêlant parfois à ses urines. Cette observation donne une idée du mystère : il s’agit de maladies que se fabriquent certains patients, sans raison apparente.

Le terme de simulation n’est pas approprié : les simulateurs majorent ou inventent des symptômes pour en tirer profit et échapper à une situation qu’ils redoutent. L’hypocondrie est également de nature très différente. Les hypocondriaques sont des imaginatifs qui se torturent l’esprit et non le corps : ils s’inventent des maladies toujours nouvelles qui les terrorisent. Alors que dans leur parcours de soin, les patients atteints du syndrome de Munchausen vont jusqu’à affronter sans trembler des chirurgies exploratrices.

Ni simulateurs, ni malades imaginaires, malades réels fabriquant leur maladie et en souffrant sans en retirer un bénéfice évident, qui sont donc ces patients ?

Revenons aux origines. Au 18° siècle, un écrivain Inspiré par un aristocrate connu pour raconter ses faits de guerre avec beaucoup d’exagération, le baron de Munchausen, en fait le héros d‘aventures rocambolesques : enfourchant un boulet de canon, il voyage jusqu’à la lune ;  à son retour il est avalé par un poisson géant ; plus tard son cheval est coupé en deux et il remplace ses jambes par des branches de laurier... Ce conte aux péripéties inimaginables pousse un psychiatre anglais, en 1951, à choisir son nom pour qualifier une série de patients qui ont en commun de raconter des histoires fantastiques pour expliquer un état maladif dont, en réalité,  ils sont  les auteurs. L’un de ses patients, par exemple, se prétendait ancien sous marinier torturé par la Gestapo, l’autre se disait ancien chanteur à l’Opéra, entré dans la Résistance…

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Bien qu’il y ait volontiers une part importante d’affabulation chez les patients atteints du syndrome de Munchausen, cette désignation attire l’attention sur la part du  trouble qui n’est peut-être pas essentielle. Une caractéristique qui paraît tout aussi pertinente est l’appétence de ces patients pour le monde médical : ils connaissent très bien les termes médicaux, sont parfois eux-mêmes impliqués dans des activités de soin ; lorsqu’on les hospitalise, ils sont très à l’aise avec les autres malades et le personnel, mais leur sociabilité hors de l’hôpital est pauvre et ils ne reçoivent jamais de visite. Bref, si certains d’entre eux sont inventifs et mythomanes, beaucoup se contentent de vivre silencieusement leur mal et d’imposer aux médecins la maladie qu’ils se sont crées. De mon côté, ma patiente n’était pas trop bavarde.

Avec ce syndrome étrange, on a donc affaire à une fragilité proche d’un trouble de l’identité : il s’agit non pas de mimer une maladie, mais de la vivre. Le statut de malade confère une place au milieu d’une famille, la famille hospitalière, et permet de bénéficier de soins comme un enfant. Outre les avantages de ce repli régressif, il y a les bénéfices d’un sentiment de toute puissance perverse : l’énigme que pose la maladie est un défi au corps médical, et le patient se trouve ainsi au centre d’un jeu dont il tire les ficelles.

Aux Etats-Unis où la question raciale prend des proportions très importantes, certaines personnes ont pu "s'inventer" des origines pour ainsi se dire victimes d'une oppression au même titre que d'autres personnes issues des minorités. Qu'est-ce que ces personnes essayent de combler ? Un manque d'attention ? Une volonté de faire partie des "opprimés" ?

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Récemment en effet, plusieurs escroqueries à l’identité ont défrayé la chronique aux Etats-Unis. Il s’agissait dans la plupart des cas d’individus d’un haut niveau éducatif, souvent universitaires, s’attribuant de fausses origines qui les plaçaient dans le camp des « opprimés ». Ils sont nombreux ; bornons nous aux deux exemples qui ont fait le plus de tapage : Jessica Krug et Rachel Doleza. Jessica Krug est une professeure d’histoire de l’Université Georges Washington spécialisée dans la  formation de l’identité noire, et auteur de livres influents. Elle se dit d’origine noire et s’est attribuée des racines variées - d’abord africaines, puis américaines, puis caribéennes. Partant vivre à New York, elle se proclame afro-latino, se fait appeler Jessica La Bombalera, adopte des coiffures et tenues ethniques, parle avec un fort accent porto-ricain et s’implique dans le combat des minorités. Elle s’acharne à défendre l’identité des communautés détruites par la culture dominante. Quelques temps plus tard, elle avouera qu’elle ment depuis toujours et qu’elle est d’origine juive, née au Kansas… Autre universitaire, Rachel Dolezal est enseignante d’histoire africaine à Washington. Elle se colore en noir la peau du visage, arbore une chevelure crépue et se fait appeler Nkechi Amare Diallo. Jusqu’à ce que l’on découvre qu’elle est la fille d’une famille blanche – famille qu’elle déteste et qui, selon elle, la traitait comme une esclave…  A chaque fois, ces escroqueries à l’identité apparaissent comme une appropriation de l’identité d’une minorité dont on dit partager la souffrance. Excès d’empathie ou intérêt personnel ? Appartenir au camp des opprimés peut offrir un avantage promotionnel pour une carrière universitaire. Et se proclamer noir permet en ces temps d’âpres luttes contre l’oppression du blanc dominant, de figurer parmi les personnalités remarquées, aux avant-postes du combat.

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Mais un autre exemple mérite d’être cité pour montrer, en sortant du microcosme universitaire, jusqu’où peut aller l’emprunt d’identité. En avril 2018, deux enfants rescapés d’Auschwitz, Binjamin Wilkomirski et Laura Grabowskifurent invités à jouer un duo musical composé par Laura, dédié à tous les enfants juifs morts pendant l’Holocauste. Wilkormiski avait écrit quelques années auparavant un livre exposant ses souvenirs d’enfant déporté à l’âge de trois ans dans un camp de concentration polonais. Il y décrivait sa séparation de sa mère et la mère de substitution qui l’avait soutenu dans le camp et lui avait permis de survivre. Après la guerre, il avait été adopté par une famille suisse. Le livre eut un grand succès et fut traduit dans plusieurs langues. Une lectrice, Laura Grabowski, lui écrivit pour lui dire qu’elle le reconnaissait : ils étaient dans le même camp et avaient même une amie commune, Ana, dont ils évoquèrent ensemble le souvenir. Tous deux avaient également des troubles sanguins consécutifs à des expériences qu’avait mené le médecin nazi Joseph Mengele, et qui avaient rendu stérile Laura. En réalité, tout cela s’avéra n’être qu’une imposture. Wilkormiski avait bien été adopté par une famille suisse, mais il n’était ni juif, ni rescapé des camps. Quant à Laura, elle s’appelait en fait Laurel Wilson et était née à Seattle en 1941. Avant de se prétendre rescapée d’un camp, elle s’était déjà proclamée rescapée d’abus sataniques et avait écrit un livre à ce sujet.

Terminons par un dernier exemple, en rapport avec l’attentat du 11 septembre celui-là. Pendant longtemps, une conférencière pour les touristes du Centre de visiteur du World Trade center, Alicia Head, fascinait son public en racontant sa tragédie. Elle avait rampé au milieu des débris et des flammes pour se mettre en sécurité et s’échapper du 78° étage où elle travaillait. Sur son chemin, un homme mourant lui avait donné son alliance en lui demandant de la transmettre à sa veuve, un autre avait éteint les flammes de sa robe en feu : Alicia s’étai promis d’en remettre un morceau à ses parents pour qu’ils aient en main l’une des dernières choses que leur fils avait touché. Malheureusement tous ces souvenirs étaient des affabulations : Alicia était en Espagne au moment de l’attentat.

Après ce tour d’horizon, voyons comment répondre à la question : qu’est-ce que ces personnes essayent de combler ? Dans un raccourci un peu brutal, je dirai : un vide narcissique. Il s’agit d’occuper une place, et si possible une grande place. Aucun n’a fait le tour de la lune sur un boulet de canon, mais tous ont eu un premier rôle dans des tragédies – ou, pour les universitaires, un rôle majeur dans des combats d’avant-garde. Cette place, qui satisfait une avidité narcissique, est conquise par le mensonge et vécue dans le mensonge. Dans le passé de ces individus, on trouve souvent les signes d’un malaise ancien, d’une mauvaise inscription familiale et d’un besoin qu’ils avaient d’échapper à leur condition. Mais il ne s’agit pas à proprement parler de mythomanie : ils vivent l’histoire qu’ils se sont fabriquée. Et si le besoin de reconnaissance justifie toutes les tromperies, il n’y a pas d’avidité financière : aucun de ces exemples n’a cherché à tirer de sa situation un profit matériel.

Cela relève-t-il d'un nouveau type de syndrome de Munchausen, révélateur de notre époque ? D'une façon générale, les troubles psychiques évoluent-ils en fonction de l'air du temps ?

Le syndrome de Munchausen ne concerne en principe que l’escroquerie à la maladie. Stricto sensu, on ne devrait en réserver le nom qu’à des malades « factices ». Mais comme on l’a vu, ce syndrome va bien au delà de la simple imposture médicale : il recouvre un besoin d’être reconnu à tout prix comme malade. Avec une volonté farouche d’être adopté, d’appartenir à la grande famille soignants-soignés, et d’y occuper une place de choix, grâce à des comportements manipulateurs.

Il est clair qu’on peut trouver de nombreux points de rapprochement avec les exemples que nous avons cités. Dans tous ces cas, il ne s’agit pas simplement de mensonges ou de mythomanie, mais d’une identification à une histoire qui confère une place à part. Paul Ricoeur attribue dans l’identité une grande place au récit que l’on se raconte sur soi-même et qu’il appelle l’identité narrative. Ce qui fait l’unité de ces différents exemples  - de malades comme des imposteurs -, c’est, au fond, la priorité donnée à l’identité narrative. Pour quelle raison cette priorité ? Sans doute parce qu’enfin, le récit correspond aux attentes, ces dernières ayant toujours été déçues.

Puisque nous parlons d’attentes, élargissons le sujet comme vous le proposez et disons un mot des attentes culturelles : ces dernières, à une époque donnée, colorent les attentes individuelles. Songeons par exemple à l’épilepsie. Il fut un temps où les troubles épileptiques représentaient le prototype de la perte de contrôle de soi effrayante - certains en faisant même un état de « possession ». A cette époque, des manifestations à l’allure de crises d’épilepsie étaient fréquentes chez les patients psychiatriques. Aujourd’hui, l’épilepsie n’occupe plus la même place dans l’imaginaire collectif ; elle a perdu son aura d’agitation mystérieuse. Or il se trouve qu’à présent, les crises mimant l’épilepsie ne se voient plus chez les patients psychiatriques. Il y a donc en effet une coloration culturelle de la pathologie. Au train où vont les choses, et avec l’aide des réseaux sociaux, verra-t-on bientôt des patients souffrant des oppresseurs de tous poils comme ils ressentaient autrefois les stigmates du Christ ?

Mais le risque, lorsqu’on présente ces exemples criants d’imposture, est de déconsidérer les causes qu’ils prétendent servir et de passer de l’outrance au déni. Comme beaucoup de démocraties, les Etats Unis sont agités par de nombreux conflits – c’est le prix de la liberté - qui nécessiteraient une réflexion apaisée, surtout parmi ceux qui font métier de réfléchir. Sans aller plus loin dans l’analyse, notons que l’émergence de ces nombreux et spectaculaires « Munchausen » d’intellectuels universitaires témoigne de façon préoccupante de l’échauffement idéologique qui envahit, outre atlantique, les lieux en principe destinés à former la réflexion et dépasser la passion.

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