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Supprimer l’Ena, un trompe l’oeil ?
©PATRICK HERTZOG / AFP

Fausse bonne idée

Emmanuel Macron devrait annoncer, selon les informations de RTL et du Monde, qu'il envisage de supprimer l'ENA afin de supprimer le mode de gouvernance technocratique.

Jean-Marc Boyer

Jean-Marc Boyer

Jean-Marc Boyer est diplômé de Polytechnique et de l’Ecole Nationale de la Statistique et de l’Administration Economique (ENSAE). Il a commencé sa carrière en tant que commissaire contrôleur des assurances puis a occupé différentes fonctions à l’Inspection Générale des Finances (IGF), à la Commission de Contrôle des Assurances et à la direction du Trésor. Il est cofondateur de GLM et de la Gazette de l’Assurance.

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Atlantico : Emmanuel Macron devrait annoncer, selon les informations de RTL et du Monde, qu'il envisage de supprimer l'ENA. La mesure viserait à supprimer le mode de gouvernance technocratique - dont le Président lui-même est issu. Mais si la suppression de la structure éducative pouvait changer profondément le système en place, serait-ce suffisant pour répondre aux critiques visant l'élitisme français ?

Jean-Marc boyer : S’il ne s’agit pas d’un ballon d’essai, ce serait une mesure démagogique pour calmer la colère populaire à l’encontre d’élites, supposées déconnectées du monde réel. Cela reviendrait à accorder une nuit du 4 août contre les privilèges de la principale caste d’aristocrates de l’adolescence. Cette demande vient d’ailleurs non seulement des gilets jaunes extrémistes mais aussi du grand débat, pourtant plus large et plus policé.

Cela ne réglerait pas la question du stock d’énarques administrateurs civils, préfets, des grands corps d’Etat, en disponibilité voire en détachement dans la politique ou dans les entreprises publiques (sans prises illégales d’intérêt puisque c’est le réseau qui s’auto-désigne et pas directement les bénéficiaires). La suppression supposée du flux d’énarques mettrait 40 ans à prendre pleinement effet avant de libérer la gouvernance du pays.

Les critiques populaires, mais aussi celles des entrepreneurs lassés des « sévices publics », portent sur les contraintes fiscalo-administrées. En parallèle de l’arrêt du flux des hauts fonctionnaires honnis, il faudrait aussi la suppression des bureaucraties assises sur des prébendes, et des systèmes clientélistes faits de dérogations fiscales et d’octrois de financements.

Une telle mesure ne devrait pas faire que des heureux. Le Président pourrait-il d'ailleurs vraiment risquer de mener une telle réforme ?

La mesure heurtera la haute administration et la macronie, comme N. Loiseau qui a dirigé cette école sans en être issue. Mais la macronie relève du « en même temps ». E. Macron n’avait pas hésité dans sa promotion de l’ENA à porter plainte contre l’Etat et à critiquer sa caste dans son livre « Révolution ». F. Bayrou et B. Le Maire, tous les deux également anciens élèves, s’étaient dits favorables à la suppression de leur école.

Mais, la plupart des anciens élèves exerceront un puissant lobbying, jusqu’au Premier ministre, qui avait exprimé la fierté de sa formation. Le report du discours présidentiel pour cause d’incendie à Notre-Dame est une première opportunité pour les apparatchiks d’avancer leurs pions en plaidant la transmutation de l’annonce fuitée en renforcement de leurs réseaux.

Jusqu’à présent, les réformes réclamées ou mises en œuvre, comme le déménagement à Strasbourg de l’ENA par E. Cresson sous F. Mitterrand, n’ont en rien diminué la progression des réseaux énarchiques. La tentative de dissolution de Polytechnique, dans un gloubi-boulga universitaire avec B. Attali, s’est soldée par un accroissement du périmètre de l’X et une diversification de ses filières.

Le projet de loi réformant la fonction publique sera explosif en tout état de cause. D’autant que si l’ambition est au rendez-vous, il faudra aussi moderniser les autres formations de fonctionnaires (ENM pour la Justice, INET pour les collectivités locales, les écoles formant les corps techniques d’Etat, etc).

Si l'ENA venait à être supprimée, que faudrait-il faire pour la remplacer sans en créer une copie-conforme ? Qu'est-ce qu'il faut particulièrement casser dans la haute administration que les réformes de l'ENA (dont certaines menées par Mme Loiseau) n'ont pas réussi à obtenir ?

Il est à craindre que cette « suppression » annoncée ne cache le projet d’une structure encore plus tentaculaire, d’autant que l’ENA s’est étendue en mastères, en cycles internationaux et en formations continues. A tout le moins, on subodore le subterfuge de « tout changer pour que rien ne change », selon G.T. di Lampedusa.

Or, si la France avait sans doute besoin de retrouver une structure étatique après-guerre, aujourd’hui, le besoin est inverse. Le pays a déjà trop de prélèvements obligatoires, de lois et de règlements, qui l’handicapent dans la compétition internationale.

Le risque est d’avoir une nouvelle structure plus étendue sous couvert d’élargissement social. Or, on sait que la greffe de ZEP à Sciences-Po à été un échec culturel. L’égalité des chances est un leurre, puisque l’on continue à adouber des jeunes socialement parvenus et respectueux de la doxa germanopratine de leurs examinateurs.

Enfin, on ne peut pas véritablement parler de technocrates de l’ENA puisque, faute d’écoles pratiques obligatoires après l’ENA, les élèves sortent sans compétences dans le domaine qu’ils doivent administrer. De plus, ils ne sont incités ni à se former par la suite, ni à performer puisque le mérite dans ses fonctions n’est pas pris en compte. Le système actuel relève simplement de rentes scolaires. Former en continu des élites utiles et restant motivées serait la condition d’un service public efficace.

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