Subventions "illégales" d'Airbus : nouveau bal d'hypocrites entre Etats-Unis et Union européenne à l'OMC<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
L'hypocrisie est inhérente aux relations internationales. Le comportement d'un État est toujours d'accuser les autres États de protectionnisme et de se présenter en la matière comme "irréprochable".
L'hypocrisie est inhérente aux relations internationales. Le comportement d'un État est toujours d'accuser les autres États de protectionnisme et de se présenter en la matière comme "irréprochable".
©wikipédia

Ouuuh les vilains... !

Depuis la première saisie de l'OMC en 2004, les Etats-Unis n'ont cessé d'accuser les pays membres de l'UE de subventionner illégalement Airbus au détriment de son concurrent américain Boeing. Ce dernier est lui-même accusé par l'UE d'être subventionné par le gouvernement fédéral américain. L'aviation n'est pas le seul secteur concerné par ce type de disputes au sein de l'organisation, loin de là.

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën est professeur émérite d'économie à l'Université PSL-Dauphine. Il est spécialiste d’économie internationale et a publié de nombreux ouvrages et articles sur la mondialisation. Il est également l'auteur d'un récit romancé (en trois tomes) autour de l'économiste J.M. Keynes : "Mr Keynes et les extravagants". Site : www.jean-marcsiroen.dauphine.fr

 

Voir la bio »

Atlantico : Dans un rapport de l'OMC paru jeudi dernier, l'organisation, saisie par les Etats-Unis, considère comme "illégales" les subventions dont a bénéficié Airbus de la part des pays membres de l'UE face à son concurrent américain Boeing. Qu'est-ce qui est exactement reproché à l'UE ? Peut-on considérer que, dans ce cas, l'OMC joue son rôle ?  

Jean-Marc SiröenDans ce cas, il est reproché aux pays européens membres du consortium d'Airbus de ne pas avoir respecté, au sein de l'organisation, l'accord sur les subventions. Ces dernières sont réglementées dès lors qu'elles peuvent avoir un impact sur le commerce international : un gouvernement ne peut pas subventionner des biens destinés à l'exportation ou une production susceptible d'être exportée, ce qui est le cas de l'aéronautique. Il existe, bien évidemment, des marges d'interprétation quant à savoir ce qu'est ou non une subvention. C'est tout le travail des juges et experts de l'OMC d'apprécier cette qualification. Ici, il s'agit d'un problème lié à des prêts à taux préférentiel considérés comme une forme de subvention des États européens à Airbus. Dans cette affaire, c'est précisément l'organe des règlements des différends qui intervient, en charge de veiller à la bonne application des accords signés par les États-membres. Les décisions de cet organe ne sont donc pas discrétionnaires. 

Ce rapport est le résultat d'une saisie de l'OMC par les Etats-Unis. L'UE souhaite contre-attaquer afin de montrer que Boeing a également été subventionné par les Etats-Unis. Parce que nombreux sont les Etats au sein de l'OMC à subventionner certains secteurs de leur économie (dont les Etats-Unis), ne peut-on pas souligner finalement l'hypocrisie des Etats-membres de l'organisation ? Dans quelle mesure le cadre/système actuel permet-il cela ? A qui cela profite-t-il ?

D'une manière générale, l'hypocrisie est inhérente aux relations internationales. Le comportement d'un État est toujours d'accuser les autres États de protectionnisme et de se présenter en la matière comme "irréprochable". Ce qui est certain, c'est que tous les pays au sein de l'OMC subventionnent, mais à des niveaux différents. Encore une fois, seules les subventions impactant le commerce international sont sanctionnées ; de ce fait, et dans ce cas, l'OMC est dans son rôle.

L'OMC ne peut pas s'autosaisir ; c'est l'un de ses États-membres qui doit la solliciter lorsqu'un manquement aux accords de l'organisation est constaté. En général, les pays saisissent l'OMC que lorsqu'ils sont sûrs de gagner car une plainte déposée à l'OMC représente un certain coût dans la mesure où il est instruit.

Aussi bien les États-Unis que l'Union européenne ont été autant de fois des plaignants que des accusés dans le cadre des différends commerciaux dans lesquels ils ont été impliqués. Il en va de même pour les cas qu'ils ont remportés et ceux qu'ils ont perdus ; cela est donc plutôt équilibré.

Même si les rendus de décision ne sont pas toujours établis en faveur de l'Union européenne, on peut quand même se féliciter du fait que l'OMC, en tant qu'organisation internationale, a une procédure de règlement des différends qui, finalement, est assez bien acceptée par les États, et qui n'est plus source de mécontentements systématiques, même si certains jugements peuvent être contestés. 

Quelles peuvent-elles être les conséquences de cette décision, aussi bien pour les pays-membres de l'UE que pour les Etats-Unis ? Quel impact pourrait-elle avoir sur les négociations relatives au TAFTA/TTIP notamment ? 

En cas de non-accord entre les États-Unis et l'Union européenne, les conséquences prévisibles pourraient aller jusqu'à des sanctions commerciales autorisées par l'OMC de la part des États-Unis. La réciproque est également valable : il est tout à fait probable que les États-Unis soient condamnés par l'OMC pour les mêmes motifs, même si les fins de subventions aux États-Unis sont différentes de celles des quatre pays membres du consortium d'Airbus.

Pour ce qui est du TAFTA – qui est déjà bien mal engagé – il peut être prévu un mode de règlement des différends qui soit spécifique à ce traité de libre-échange, et qui permettrait donc de traiter les différends dans le cadre du TAFTA et non plus dans celui de l'OMC. Dans le cadre de l'Alena, les États-Unis montrent qu'ils ont plutôt recours à l'OMC plutôt qu'au mode de règlement des différends de l'Alena avec le Mexique et le Canada. Ce qui est certain, c'est que cette affaire ne va pas améliorer le climat dans le contexte des négociations liées au TAFTA. Mais là encore, on pourrait parler d'hypocrisie car les dirigeants américains sont bien au fait des tenants du dossier, dans la mesure où cela fait près de quarante ans que cela dure. 

Certains commentateurs considèrent cela comme une victoire pour l'administration Obama. Dans quelle mesure ? Cette décision pourrait-elle être utilisée par les deux candidats à la Maison Blanche ? A quelles fins ? 

Le représentant américain au commerce a réagi avec beaucoup de satisfaction après que ces subventions ont été déclarées "illégales" par l'OMC. Cela n'est aucunement indépendant du climat actuel aux États-Unis lié à l'élection présidentielle. Il s'agit de montrer que les États-Unis sont capables d'obtenir satisfaction au sein de ces "affreuses" organisations internationales qui menacent la souveraineté des États-Unis. C'est d'ailleurs probablement pour cette raison que l'Union européenne réagit relativement peu, dans la mesure où je doute qu'elle souhaite déranger actuellement le président Obama dans sa stratégie anti-Trump.

Propos recueillis par Thomas Sila

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !