Starship, la fusée qui pourrait changer le destin de l’humanité ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Nouveau monde
Starship, la nouvelle promesse d'Elon Musk et de SpaceX.
Starship, la nouvelle promesse d'Elon Musk et de SpaceX.
©Loren Elliott / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Révolution des transports

Les possibilités offertes par la nouvelle fusée de SpaceX sont colossales.

Tomas  Pueyo

Tomas Pueyo

Tomas Pueyo est Chef product officer chez Ankorstore et créateur du site Uncharted Territories. Il est titulaire d'un MBA de Stanford et de deux MSc en ingénierie - de l'École Centrale Paris et de l'ICAI Madrid.

Voir la bio »

Ce vendredi 28 juillet, SpaceX a effectué le premier test complet du nouveau système de déluge d’eau censé réparer le problème d’éclatement du béton sous la rampe de lancement survenu lors du premier décollage de la fusée Starship en avril dernier. Alors que Starship a explosé quelques minutes après son décollage lors de sa dernière tentative. Peut-on penser que sa viabilité n’est qu’une question de temps ?

Tomas Pueyo : La première question relève d’un principe physique, qui réside dans la faisabilité ou non de la chose. Et il n'y a absolument rien dans les lois de la physique qui affirme que cela est impossible. Ensuite, c'est une question de performance industrielle des entreprises d'Elon Musk. Cela fait déjà un certain temps, plus de 15 ans, qu'il annonce qu'il va mettre en œuvre quelque chose. Peu de gens le prennent au sérieux, et il y arrive d’une manière ou d’une autre. Ainsi, la question qui se pose est la suivante : réussira-t-il à lancer la fusée et l’envoyer en orbite terrestre basse ? Mais a priori, la réponse est oui. La temporalité, elle, est incertaine.

Selon vous, comme vous l’expliquez dans Uncharted Territories, Starship va changer l’humanité prochainement. Pourquoi ? Comment ?

Tomas Pueyo : Pour cela, il est nécessaire de comprendre l'impact des transports et les coûts associés. Aujourd'hui, nous avons tendance à négliger certains aspects. On oublie trop souvent le coût du carburant par kilomètre, mais en réalité, cela a un impact énorme. Prenez l'exemple de Paris, la capitale de la France. Sa situation le long de la Seine et de la Marne n'est pas une simple coïncidence. Ces rivières ont historiquement favorisé le commerce entre les régions hautes et basses de la Seine et de la Marne. Même avant l'ère romaine, des routes commerciales existaient, convergeant vers Paris. Les Romains ont d'ailleurs amélioré ces routes en les pavant. Les rivières ont toujours été cruciales car elles permettaient un transport très abordable, environ dix fois moins cher qu'une route terrestre, et encore moins cher qu'une voie maritime. C'est pourquoi Paris est devenue une ville centrale, de même que de nombreuses autres grandes villes françaises, toutes situées le long de cours d'eau pour les mêmes raisons.

Imaginons maintenant que le coût de transport diminue de moitié. Dans ce cas, avec les mêmes dépenses, nous pouvons parcourir le double de distance. Cependant, la surface desservie augmente quatre fois, car elle est proportionnelle au carré de la distance. Donc quand le coût de transport est divisé par deux, la valeur du marché se multiplie par huit au total.

C’est ce qui s’est passé à l'âge des découvertes portugaises et espagnoles. Les Portugais ont réussi à explorer des endroits autrefois inaccessibles grâce à la caravelle et à la compréhension des vents et courants atlantiques. Cela a ouvert d'énormes marchés, tout comme le fera éventuellement le vaisseau spatial Starship. Initialement, le coût par kilogramme était de 60 000 à 70 000 dollars par kilo, mais Starship pourrait le réduire à 1 500. Cela change tout. Un scientifique me disait récemment qu’envoyer un satellite auparavant coûtait aussi cher que ce qu’il rapportait. Les coûts de lancement de satellites ont fortement diminué, permettant de produire davantage de satellites à moindre coût. Cette évolution a transformé l'industrie, permettant aux entreprises de se concentrer sur de nouveaux marchés, ouvrant des opportunités considérables pour l'humanité, comme cela a déjà été le cas dans le passé.

Qu’est-ce qui, dans les caractéristiques de Starship, pourrait avoir cet aspect « game changer » pour l’humanité ?

Tomas Pueyo : La capacité : le nombre de tonnes qu'elle peut transporter. Si je ne me trompe pas, elle peut déjà transporter 100 tonnes, et cette capacité peut même atteindre 150 tonnes. Cependant, les coûts ne sont pas sensiblement plus élevés. La fusée est un peu plus chère, mais pas de manière significative. Son coût n'augmente pas de 50 %, par exemple. De plus, ce principe s'applique de la même manière à la relation entre le volume et le poids des cargaisons qui augmentent beaucoup plus rapidement que les coûts. Par conséquent, le coût par kilogramme serait tout à fait avantageux.

Une fois de plus, c'est une question de coût par kilogramme, mais cela diffère du transport ordinaire ou routier. Un exemple historique très intéressant est celui des anciens empires, dont l'étendue correspondait approximativement à 30 jours de trajet depuis leur capitale. L'empire romain, par exemple, englobait une zone qui prenait 30 jours de transport terrestre ou maritime depuis Rome. Cela se vérifie également pour les empires perses, égyptiens et autres. Cette réalité met en lumière l'importance du temps et de l'argent.

Voyons cela de manière plus simple : si le coût au kilogramme pour accéder à l'orbite terrestre basse est de 1 000 000 euros, cela signifie que le trajet vers l'orbite terrestre pour une seule personne pesant 80 kilos, cela totalise déjà 8 millions d'euros. Il faut prendre en compte la nourriture, les besoins personnels, la fusée, etc.

Toutefois, si les coûts diminuent suffisamment alors des options deviennent réalisables. La réduction des coûts ouvre la voie à des possibilités qui auraient été hors de portée autrement : envoyer des outils de forage, financer l’installation d’une colonie, etc.

Quelles possibilités pourraient s’ouvrir avec le développement et la viabilisation de Starship ?

Tomas Pueyo : Il y a des conséquences à court terme et à long terme. À court terme, cela permet de lancer des objets en orbite terrestre basse. Cela soulève la question des opportunités qui s'ouvrent alors. Parmi celles-ci, des applications évidentes dans le domaine de l'énergie. Actuellement, il y a des fuites de gaz des gazoducs et leur localisation reste un mystère. Les avions effectuent des survols, mais c'est complexe. Désormais, avec des photographies prises à intervalles réguliers, analysées à différentes longueurs d'onde, on peut déterminer avec précision la composition du sol et d'autres éléments.

Cela s'applique également à l'environnement. Les forêts peuvent être surveillées avec des détails impressionnants, identifiant où elles sont détruites ou non. Dans le secteur agricole, cette technologie est d'une importance immense. Les propriétaires terriens peuvent identifier les besoins en nutriments, en eau, et apporter des solutions ciblées.

Cette technologie trouve aussi des applications dans la logistique militaire, en surveillant les mouvements des forces, en traçant les mouvements ennemis.

Cela engendre de nouvelles interrogations à moyen terme. Les images satellites haute définition en temps réel du monde soulèvent des questions éthiques et de sécurité. À plus long terme, des perspectives s'ouvrent pour la colonisation de Mars, rendue possible par des innovations comme le vaisseau spatial Starship. Bien que coûteux, des personnalités comme Elon Musk pourraient financer ces projets.

Enfin, la notion de miner les astéroïdes, bien que stimulante, demeure une perspective lointaine. Aucun astéroïde n'est encore connu pour contenir des matériaux en quantité et en qualité suffisantes pour justifier l'exploitation spatiale.

Selon le site Space.com, la NASA aurait demandé à Starship de réfléchir à la possibilité de transformer la fusée en station spatiale. Est-ce réaliste ? Est-ce ce à quoi Starship devrait tendre ?

Tomas Pueyo : Ce serait possible. Ce qui est intéressant, c'est que les ingénieurs spatiaux n'ont pas encore tout à fait saisi comment leur monde a été transformé par Starship. Auparavant, tout au long de leur carrière, ils se consacraient à économiser chaque gramme, car chaque gramme avait un coût exorbitant. Ils passaient leur temps à optimiser, à gratter un gramme ici, un gramme là. Ils investissaient des centaines, voire des milliers d'heures, à chasser chaque gramme superflu. Mais désormais, avec la capacité d'envoyer près de 150 tonnes, cette obsession n'a plus de sens. L'accès à l'espace est devenu « banal ». Les coûts continueront à baisser, ce qui signifie que la focalisation sur ces petits détails n'est plus nécessaire.

Cette évolution a des implications profondes. Avant, on considérait comme impossible d'envoyer des engins pour exploiter les ressources des astéroïdes. Cependant, aujourd'hui, nous n'aurions plus besoin de concevoir des machines spécifiquement légères pour cette tâche, car nous pourrions simplement adapter des machines existantes à cette fin. Cela change complètement la donne.

Avec une capacité de 150 tonnes est un volume considérable : il devient extrêmement facile d'intégrer des charges qui étaient inimaginables autrefois. Cette nouvelle perspective nous invite à repenser toutes nos idées préconçues. Par exemple, l'idée d'utiliser cette fusée pour construire une station spatiale peut sembler plausible. Cependant, il se peut que SpaceX, la société derrière la fusée, opte pour une mentalité plus novatrice. Les difficultés d'acheminement vers l'espace ont historiquement poussé à la réutilisation, mais désormais, cette fusée a gagné une nouvelle valeur qui pourrait lui permettre de justifier des aller-retours.

Est-ce que Starship marque l'avènement du spatial privé ?

Tomas Pueyo : Ce qui distingue Starship, c'est sa capacité à réduire encore davantage les coûts, mais il est vrai que SpaceX avait déjà réussi cela avec ses fusées précédentes, notamment Falcon 9. En observant les chiffres de performance de SpaceX, le nombre d'objets envoyés dans l'espace augmente de manière exponentielle en l'espace de 10 ans, grâce aux réalisations de SpaceX et, plus récemment, d'entreprises comme Blue Origin.

Il n'y a pas une distinction nette entre "avant" et "après" Starship, mais il y a bien eu un shift avec l’arrivée SpaceX. Auparavant, les coûts spatiaux étaient si élevés que le secteur privé peinait à les justifier. Les missions spatiales étaient souvent financées par des motifs politiques, comme la course à la Lune. Même le système GPS a été déployé principalement pour des raisons militaires. Il y avait peu de domaines commerciaux viables, comme la télévision par satellite, qui pouvaient justifier les investissements.

Cependant, grâce à la réduction des coûts de lancement, de nouvelles opportunités commerciales se sont ouvertes. De nombreuses entreprises peuvent désormais gagner de l'argent dans l'espace, ce qui transforme le paysage économique. Bien que le financement public ne diminue pas nécessairement, la part privée dans l'exploration spatiale augmente rapidement. Cela ne signifie pas que les investissements publics diminuent, au contraire. Les coûts plus bas stimulent l'investissement global, mais le secteur privé joue un rôle de plus en plus central dans cette évolution, accélérant la transition vers une exploration spatiale davantage axée sur le commerce et l'innovation.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !